Les Amours de Tristan/Les justes reproches

Les Amours de TristanP. Billaine, A. Courbé (p. 101-102).


LES IVSTES REPROCHES.

ODE.



CLorinde ie le cognoy bien
Mes ſoins n’obtiendront iamais rien
D’vne ingratitude ſi noire.
Ma plainte aigriſt voſtre rigueur,
Et bien loing d’eſtre en voſtre cœur,
Si ie ſuis en voſtre memoire
C’eſt pource que vous faites gloire
De me voir mourir en langueur.

I’ay beau par mille inuentions
Vous deſcouurir mes paßions
Et les rigueurs de voſtre Empire :
I’ay beau vous monstrer mes deſirs
Et vous conter mes déplaiſirs ;
Vous ne faites iamais que rire
De mon trouble & de mon martyre,
De mes pleurs & de mes ſouſpirs.

Si i’approche de vostre lict
Quand voſtre beau corps l’embellit
Et met les Graces à leur aiſe :
Dés que ie regarde vos bras,
Si bancs, ſi polis, & ſi gras,
Dont la neige augmente ma braiſe,
De crainte que ie ne les baiſe,
Vous les retirez dans vos draps.

Mes pleurs ont fait aſſez d’effort
Ie ne ſçay plus rien que ma mort,
Qui puiſſe adoucir voſtre haine :
Puiſque c’est inutilement
Que ie vous conte mon tourment,
Belle ingrate, belle inhumaine,
Il faut ſortir de cette peine
Par la porte du monument.