Les Amours de Tristan/Les vains efforts

Les Amours de TristanP. Billaine, A. Courbé (p. 93-94).


LES VAINS EFFORTS.

STANCES.



MON Ame, deffend toy du deſir aueuglé
      Qui d’vn mouuement déreiglé
Souz des fers eſclatans te veut rendre aſſeruie ;
Et d’vn ſage conſeil reiette le poiſon
      Qui pourroit nous oster la vie
      Nous ayant osté la raiſon.

Conſidere qu’Amour auecque des apas
      Nous veut déguiſer mon treſpas
En t’offrant en victime aux plus beaux yeux du Monde :
Et qu’entrer au Dedale où tu vas t’égarant
      Eſt vouloir s’embarquer ſur l’Onde
      Quand le naufrage eſt apparant.

Celle qui tient ma vie & ma mort en ſes mains
      Rebute les vœux des Humains
Comme indignes deuoirs dont ſa Grandeur s’irrite ;
Et l’on ne peut ſans crime aimer en ſi haut lieu
      Si ce n’eſt qu’auec le merite
      On ait la naiſſance d’vn Dieu.

Bornons donc nos deſirs, & croyons ſagement
      Tout ce que nostre iugement
Peut apporter d’vtile au ſoin qui nous poſſede :
Eſtouffons au berceau ces penſers amoureux,
      Et par vn ſi cruel remede
      Euitons vn mal dangereux.

Mais, ô laſche Conſeil, de qui la trahison
      Me veut tirer d’vne priſon
Que mon ambition prefere à cent Couronnes ;
En vain par la terreur tu m’en croy dégager ;
      Va t’en glacer d’autres perſonnes
      Qui s’eſtonnent pour le danger.

De moy, nulle raiſon ne ſçauroit m’empeſcher
      De ſeruir vn obiect ſi cher :
Le peril qui s’y trouue augmente mon courage.
Et ſi dans ce deſſein ie trouue mon Cercueil
      Ma vie au moins en ce naufrage
      Fera bris contre vn bel eſcueil.

Encore que mes ſoins m’attirent ſon meſpris
      Ma foy ne ſera point ſans prix.
Et i’auray de la gloire auec de la diſgrace ;
Car on dira touſiours en parlant de mon ſort,
      Daphnis eut vne belle audace,
      Et mourut d’vne belle mort.