Les Amours de Tristan/Le Désespoir

Les Amours de TristanP. Billaine, A. Courbé (p. 63-65).


LE DESESPOIR.

STANCES.



CELLE que i’ay placée entre les Immortels,
Et que ma paßion maintient ſur les Autels,
La perfide a payé ma foy d’ingratitude :
Aux traits de ſa rigueur ie ſers touſiours de blanc
Et ſon meſpris n’ordonne à mon inquietude
Que des ſouſpirs de flame, & des larmes de ſang.

Encore que mes vers déguiſans ſon orgueil
Par de ſi beaux efforts la ſauuent du cercueil,
La faiſant adorer de l’un à l’autre Pole ;
L’inhumaine qu’elle est, ſe rit de mon treſpas.
Et me pouuant guerir d’vne ſeule parole,
Fait meſme vanité de ne la dire pas.

Puiſque d’vn ſi beau ioug ie ne puis m’affranchir,
Et que tous mes deuoirs ne peuuent la fleſchir,
Par vn dernier effort contentons ſon enuie :
Ceſſons d’estre l’Obiect de tant de cruautez,
Et ſortans de ſes fers en ſortant de la vie,
Teſmoignons vn courage égal à ſa beauté.

Affreuſe Deïté, Démon paſle & deffait,
Qu’on n’inuoque iamais qu’en vn tragique effet,
Où l’unique ſalut eſt de n’en point attendre.
Deſeſpoir ie t’inuoque au fort de mes malheurs,
Par ton ſecours fatal vien maintenant m'apprendre
Comment on doit guerir d’incurables douleurs.

Auance toy, de grace, ô fantoſme inhumain !
Fais vn traict de pitié d’vne barbare main,
Et produis mon repos en finiſſant ma vie ;
Ie ne redoute point ce funeste appareil :
Car ne pouuant plus voir les beaux yeux de Sylvie
Ie ne veux iamais voir la clarté du Soleil.

Ah ! ie te voy venir accompagné d’horreur,
La triſteſſe, l’ennuy, la rage, & la fureur
N’enuironnent ton corps que de fer & de flame,
Tu tiens de l’Aconit & portes au coſté
Le poignard qui finiſt les regrets de Pirame,
Et celuy dont Caton ſauua ſa liberté.

Sur vn ruiſſeau de ſang qui coule ſous tes pas,
L’image du deſpit, & celle du treſpas
Brauent le ſort iniuste, & la rigueur indique ;
Et me monstrant les maux que ie dois eſprouuer,
La honte & la colere à l’enuy me font ſigne
Qu’il faut que ie me perde afin de me ſauuer.

Mourons pour ſatisfaire à l’inhumanité
De ce cruel eſprit qui tire à vanité
De trahir mon amour & ma perſeuerance :
Monſtrons à cette ingrate en forçant ma priſon,
Qu’en des extremitez où manque l’Eſperance
On ne manque iamais de fer ou de poiſon.

Ainſi diſoit Terſandre en regardant les Cieux,
Mille triſtes hiboux paſſoient deuant ſes yeux,
Faiſant autour de luy mille plaintes funebres :
Il tenoit vn poignard pour ouurir ſon cercueil,
Et la nuict deſployant ſa robe de tenebres,
N'attendoit que ſa mort pour en prendre le deuil.