Les Amours de Tristan/L’Amant secret

Les Amours de TristanP. Billaine, A. Courbé (p. 56-57).


L’AMANT SECRET.

STANCES



DOVCE & paiſible nuict, Deïté ſecourable,
      Dont l’empire eſt ſi fauorable
À ceux qui ſont laſſez des longs trauaux du iour :
Chacun dort maintenant ſous tes humides voiles,
Mais mal-gré tes pauots, les eſpines d’Amour
M’obligent de veiller auecque tes Estoiles.

Tandis qu’vn bruict confus regne auec la lumiere,
      Ma paßion est priſonniere ;
Ie crains d’eſtre apperceu, i’ay peur d’estre eſcouté :
Il faut que ie me taiſe, & que ie dißimule,
Mais ſous ton cours muet ie prens la liberté
D’entretenir les feux de celuy qui me bruſle.

Ie dirois qu’auiourd’huy leur fatale puiſſance
      Auroit trahy mon innocence,
Et forcé mon eſprit d’aimer ſi hautement ;
N’eſtoit qu’en ſi beau lieu mon ame eſt enchainée,
Qu’on peut à voir mes fers iuger facilement
Que i’aime par raiſon plus que par deſtinée.

I'adore, ie l'aduouë, vne Beauté diuine
      De qui la celeſte origine
Condamne mes deſirs de trop d'ambition :
Mais quoy ? de quelque erreur dont ſon eſprit m'accuſe,
Ses appas ſont ſi doux, que iamais paßion
Ne fut ſi temeraire & ſi digne d'excuſe.

Sa bouche & ſes beaux yeux ont des traicts indomptables
      Et des charmes ineuitables,
Il n'eſt rien de ſi doux, il n'est rien de ſi fort,
Ô Dieux ! qu'il m'eſt ſenſible en touchant ſa loüange
De n'auoir en mes maux que le ſeul reconfort
De ſeruir vn Tyran qu'on prendroit pour vn Ange.

Mais que ce dur glaçon qu'elle porte dans l'Ame,
      Reſiſte touſiours à ma flame,
Et que plus ie la prie elle m'exauce moins :
Ie luy veux conſeruer vne ardeur ſi fidelle
Ne deuſſay-ie obtenir iamais rien de mes ſoins
Que la ſeule faueur de mourir aupres d'elle.

Cependant mille voix dont ma fin m'est predite
      M'annoncent qu'il faut que ie quitte
Cét Obiect que ie ſers avec ſi peu de fruit,
Destin, veille ceſſer de me faire la guerre,
Et monstre ta clémence à dißiper vn bruit
Qui m'eſt außi mortel qu'vn eſclat de Tonnerre.