Les Amours de Tristan/Inquiétudes

Les Amours de TristanP. Billaine, A. Courbé (p. 49-50).


INQVIETUDES.

STANCES.



D'Où vient qu’vn penſer indiſcret
M’entretien touſiours en ſecret
D’vn ſujet qui m’eſt ſi contraire :
Et conuaincu de trahiſon,
Ne sçauroit iamais ſe diſtraire
De me preſenter du poiſon ?

Quel doux & cruel mouuement
Veut rendre ainſi de mon tourment
Mes volontez meſmes complices ?
Et flatant de nouueaux deſirs
Souz l’apparance des delices,
Me déguiſe les desplaiſirs ?

Apres tant de regrets confus,
Et tant d’aiguillons apperceus
Souz le trompeur eſclat des Roſes,
Suis-ie bien aſſez mal-heureux,
Pour permettre aux plus belles choſes
De me rendre encore amoureux ?

Apres tant de viues douleurs,
Apres tant de ſang & de pleurs
Que i'ay verſez deſſus ma flame ;
Auray-ie l'indiſcretion
De liurer encore mon Ame
Au pouuoir de ma paßion ?

Ô prudente & forte Raison !
Qui m'as tiré d'vne priſon
Où ie reſpandois tant de larmes ;
Ie n'ay recours qu'à ta bonté,
Veille encore prendre les armes
Pour deffendre ma liberté.

I'apperçois deſia mon treſpas
Couuert des innocens appas
Que Philis ſçait mettre en vſage ;
Philis, ce chef-d'œuure des Cieux,
Qui n'a de dovceur qu'au viſage,
N'y d'amour que dans ſes beaux yeux.

Ô ! Raiſon, celeste flambeau
Acheue vn ouurage ſi beau :
Mais quoy, tu perds ceſte victoire,
Et mal-gré tes ſages propos,
L'obiect qui regne en ma memoire
Vient encore troubler mon repos ?