Les Amours de Tristan/Résolutions d’aimer

RESOLVTIONS d’aimer.

STANCES.



PVIS qu’Amour dans ſes yeux ne ſe peut éuiter,
      Ie ne ſçauraois plus reſister ;
Car ie ne trouue pas de gloire à me deffendre,
        Ny de honte à me rendre.

Qu’elle ait de la pitié, qu’elle ait de la rigueur,
      Philis est Reine de mon cœur ;
C’est inutilement que ma raiſon s’oppoſe
        Aux loix qu’elle m’impoſe.

Vouloir vaincre l’ardeur qu’elle ſçait allumer,
      Et ſe diuertir de l’aimer,
Seroit vouloir en vain, d’vne erreur obstinee
        Vaincre ſa deſtinee.

Seruons la donc mon Ame, & ſans plus differer,
      Faiſons nous autant admirer
Par la fidelité de noſtre obeïſſance,
        Qu’elle par ſa puiſſance.

Ie connois ſon humeur, & ſçay que ſa beauté
      Se plaiſt dans vne cruauté
Qui ſe mocque touſiours des ſoupirs & des larmes
        Que font naiſtre ſes charmes.

Mais toute ceſte glace augmente mon ardeur,
      Et pour conſeruer leur odeur
Il eſt bien à propos que des Roſes diuines
        Ne ſoient point ſans eſpines.

Quand les difficultez irritent nos deſirs,
      Nous en gouſtons mieux les plaiſirs ;
Et la Palme que donne vne victoire aiſee
        Eſt touſiours meſpriſee.

Puis que pour de grands prix on fait de grands efforts,
      Il faut bien que pour des treſors
Qui pourroient ſatisfaire à la plus belle enuie,
        I'auanture ma vie.

Que s'il ne me ſuccede auecque du bon-heur,
      Pour le moins i'auray cét honneur
D'attaquer vn rampart que d'vn effort vulgaire
        On n'eſbranleroit guere.

I'auray ce reconfort, y trouuant mon cercueil,
      D'aborder le plus bel eſcueil
Contre qui les deſſeins du plus digne courage
        Puiſſent faire naufrage.

Il n'eſt rien de viſible à la clarté du iour
      Qui ne ſoit ſenſible à l'Amour ;
Les arbres les plus durs à trauers leur eſcorce
        En reſſentent la force.

Il n'eſt point de ſujet aimé parfaictement
      Qui n'en ait du reſſentiment ;
Et ceſte ardeur celeſte auec des traicts ſi rares
        Charme les plus barbares.

C'eſt cela qui me flatte, & me fait eſperer
      Que celle que i'oſe adorer
Ne s'obstinera pas à deffendre ſon ame
        D'vne ſi douce flame.

Auant que de ma mort ſes beaux yeux ſoient teſmoins,
      Ie luy veux rendre mille ſoins,
Qui meſme au ſentiment des ingrates perſonnes,
        Soient du prix des Couronnes.