Plon-Nourrit et Cie (2p. 84-86).


XXIX


Gauvain l’avait suivi des yeux, tandis qu’il s’éloignait vers la colline. Quelle ne fut pas sa douleur quand il le vit revenir, le bras droit de Galehaut passé au cou ! Il en eut un tel chagrin qu’il pâma par trois fois.

— Regardez quel trésor vous avez perdu, dit-il au roi Artus. Celui-ci vous ôtera votre terre, qui aujourd’hui vous l’a garantie !

Cependant Galehaut menait Lancelot à sa tente, où, après l’avoir fait désarmer, il lui donna une robe très belle. Puis, quand ils eurent mangé, il fit faire dans sa propre chambre quatre lits dont un plus haut et plus large que les autres et orné de toutes les richesses qui peuvent être mises à un lit ; et c’est là que Lancelot dormit, tandis que trois sergents couchaient, pour l’honorer, dans les autres.

Au matin, il entendit la messe avec Galehaut, puis en revenant il lui rappela le don promis.

— Beau doux ami, dit le fils de la géante, vous ne me sauriez rien demander que je ne vous dusse octroyer.

— Sire, je vous requiers d’aller crier merci au roi Artus et de vous remettre en ses mains.

Galehaut fut bien ébahi ; mais il répondit :

— Las ! j’ai tant couru qu’il n’est plus temps de retourner !

Vêtu de sa meilleure robe, il se rendit à cheval, suivi de ses rois, de ses ducs et de ses comtes, vers la tente du roi Artus ; et, du plus loin qu’il vit le roi, il descendit, mit le genou en terre et joignit les mains :

— Sire, dit-il, je viens vous faire droit. Je me repens de vous avoir méfait et me remets à votre merci.

En entendant cela, le roi tendit de joie les bras vers le ciel, et s’empressa de faire lever Galehaut et de l’accoler. Après quoi, il n’est amitié que tous deux ne s’entrefirent, et, le soir, ils couchèrent dans la même tente.

Au matin, Galehaut revint à son pavillon pour avoir des nouvelles de son compagnon. Les sergents lui dirent que toute la nuit le noir chevalier avait pleuré à la dérobée, répétant :

— Hélas ! chétif que je suis, que faire !

Et, en effet, Galehaut vit qu’il avait les yeux rouges et la voix enrouée, et que les draps de son lit étaient tout mouillés de larmes. Alors il le prit par la main et, l’emmenant à l’écart, il lui demanda très doucement :

— Beau compagnon, d’où vient ce deuil que vous avez mené toute la nuit ?

Mais Lancelot lui répondit que souvent il se plaignait en dormant. Et, tandis qu’ils se rendaient tous deux à la messe, Galehaut eut beau insister autant qu’il put, l’autre ne lui voulut rien dire de plus.

Pourtant, au moment où le prêtre faisait trois parties du corps de Notre Seigneur Dieu, le fils de la géante prit à nouveau la main de son compagnon.

— Croyez-vous, dit-il, que ce soit là le corps du Sauveur ?

— Certes, je le crois bien.

— Beau doux ami, par ce corps que vous voyez en semblance de pain, je ne ferai de ma vie rien qui vous peine.

— Grand merci, sire. Vous n’avez déjà que trop fait pour moi. Je vous demande seulement de ne dire à personne où je suis.

— Soyez donc assuré que ce n’est point de moi qu’on le saura.