Plon-Nourrit et Cie (2p. 77-78).


XXVI


Le lendemain, à l’aube, la dame de Malehaut se fit amener le prisonnier. Quand il fut devant elle, il se voulut asseoir à ses pieds ; mais elle lui fit prendre place à ses côtés, et elle lui dit :

— Sire chevalier, je vous ai tenu en très douce prison et vous devez m’en savoir gré. Je vous prie encore une fois de me dire qui vous êtes et ce que vous vous proposez ; et si vous désirez que cela reste secret, assurez-vous que personne n’en saura rien.

— Dame, me dussiez-vous couper la tête, je ne le dirais point.

— Eh bien, apprenez-moi quelle est la dame que vous aimez d’amour, ou vous ne sortirez jamais de ma prison, ni par rançon, ni par prière.

— Dame, vous ne le saurez point, car je ne vous répondrai pour rien au monde.

Elle feignit d’être fort courroucée (mais ce n’était qu’un faux semblant), et parlant comme une femme irritée :

— Dites-moi donc si vous pensez faire autant d’armes que vous en fîtes hier, ou bien je ne vous laisserai jamais aller.

— Dame, répondit-il en pleurant, je vois bien qu’il me faut acquitter une honteuse rançon si je veux sortir de cette geôle. Puisque vous l’exigez, je vous avouerai que, si cela m’est commandé, je pense faire aujourd’hui plus d’armes que je n’en fis jamais.

— C’est assez.

Elle fit préparer des armes noires, un destrier noir, une cotte d’armes noire, une armure noire pour le cheval. Et Lancelot partit, obscur comme la nuit.