Plon-Nourrit et Cie (2p. 39-42).


XIV


Quatre jours plus tard, il arrivait au château avec sa compagnie.

— Sire prud’homme, cria-t-il au guetteur, ne nous laisserez-vous entrer ?

— Qui êtes-vous ?

— Je suis le roi Artus.

— Et qui est cette dame-là ?

— C’est la reine.

— Sire, pour vous et pour la reine, je ferai selon mon pouvoir, dit le guetteur.

Et il envoya un valet prévenir le nouveau seigneur du château que le roi Artus était devant la porte.

Le blanc chevalier se hâta de monter à cheval et d’aller à la rencontre du roi. Il se fait ouvrir la porte, il sort, voit la reine, et tout soudain tombe en extase : les yeux fixés sur elle, il fait reculer son cheval jusque sous la voûte sans même s’en apercevoir. Le guetteur, croyant bien faire, laisse aussitôt tomber la herse ; et le blanc chevalier demeure là, hors de sens, à contempler à travers les barreaux celle qui fut toujours la fleur de toutes les dames.

— Sire, s’écrie Keu courroucé, vous agissez comme un vilain !

Mais le blanc chevalier ne l’entend même point. Alors Saraide, la pucelle de la Dame du Lac, le secoue par le pan de son manteau, et tant qu’il revient en son droit sens.

— Sire, demande-t-il à Keu, que dites-vous ?

— Je dis que vous offensez mon seigneur et ma dame de leur fermer la porte au nez, et moi de ne pas seulement me répondre !

À ces mots, le blanc chevalier fut tellement dolent que pour un peu il fût devenu fou. Il tire son épée, crie au guetteur en jurant :

— Ne t’ai-je pas commandé de laisser entrer madame la reine ?

— Sire, jamais vous ne m’en avez parlé.

— Si tu n’étais si vieux, je te couperais la tête ! Ouvre, et ne t’avise plus de clore cette porte.

Ayant dit, il se sauve au galop vers le château.

Cependant le roi, la reine et leur compagnie passaient les deux enceintes et pénétraient dans les cours, où ils virent un étrange spectacle : car toutes les fenêtres étaient garnies de dames, de demoiselles, de chevaliers et autres gens qui pleuraient à chaudes larmes, en silence.

— Maintenant que je suis dedans, dit le roi étonné, je n’en sais pas plus que lorsque j’étais dehors.

— Sire, dit la reine, il n’y a ici que des gens qui souffrent. Espérons que celui qui nous en a tant montré, nous en montrera davantage.

À ce moment, le blanc chevalier traversait la cour sur son cheval, tout armé, le heaume en tête, la lance au poing et l’écu aux trois bandes sur le dos, résolu de s’éloigner à jamais du château. Et, en le voyant partir, tous ceux qui silencieusement pleuraient aux fenêtres se mirent soudain à crier de toutes leurs forces :

— Roi, prenez-le ! Roi, prenez-le !

— Que voulez-vous ? demanda le roi, stupéfait, en s’approchant.

— C’est par lui seul que peuvent être défaits les enchantements du château !

Mais, quand le roi se retourna, le chevalier aux blanches armes était déjà sorti de la Douloureuse Garde et s’éloignait par la sombre forêt, aussi vite que son cheval pouvait galoper.

Cependant, Saraide s’était approchée de la reine.

— Dame, lui dit-elle tout bas, ce chevalier a nom Lancelot du Lac, fils du roi Ban de Benoïc. Souvenez-vous-en.