Les Amours, galanteries et passe-temps des actrices/08

, Une Bayadère de l’opéra
A Couillopolis. 1700 [i.e. ca 1833] (p. 52-58).




CHAPITRE VIII.

Mademoiselle Jenny Dupré.


Qui aurait jamais pensé cela de cette petite sainte Nitouche de l’Arétin, dit Jenny Dupré ; bien que je me sois toujours défiée du feu de son œil noir, par la connaissance que j’ai de ces deux vers d’un de nos vaudevillistes :

Quand le feu gagne la fenêtre,
C’est qu’il fait chaud dans la maison.

Ah ! bien, ma foi moi, je n’y vais pas par quatre chemins. Tout le monde sait que je ne manque pas d’aventures : j’aime l’article. Est-ce ma faute, après tout, n’est-ce pas plutôt celle de la nature ; on m’a surnommée dans le temps la boîte à la ch.... p.... Il y avait exagération, car je ne l’avais jamais que par intervalles et non continuellement, comme on a bien voulu le supposer. Quoi qu’il en soit, je vais essayer de vous rapporter une des mille et une occasions de ma vie où j’ai eu du plaisir :

Tout aussi bien que Léontine, j’eus un adorateur parmi les étudians, mais celui-là était un étudiant en droit : il s’était amouraché de moi dans le rôle de simplette du Chaperon-Rouge. Pendant longtemps je laissai sans réponse les billets langoureux qu’il m’adressait, lorsqu’un jour il lui vint dans l’idée de changer de style dans sa déclaration, et son billet, que j’ai toujours conservé depuis, était d’une si grande originalité, qu’il me fit impression, et qu’il commença à me disposer un peu plus favorablement pour mon jeune poursuivant d’amour : son billet était ainsi conçu :


Adorable Jenny.

J’avais cru d’abord que vous étiez comme beaucoup d’autres femmes, et que les belles phrases dont j’ai jusqu’ici assaisonné mes déclarations, pourraient me mériter vos faveurs : à défaut de quibus, je vois que je me suis trompé et je me ravise. Vous le savez, pauvre étudiant en droit, je vis au jour le jour avec le peu d’argent que mes parens veulent bien m’accorder pour poursuivre mes études. Je n’ai donc pas de richesse à vous offrir ; en revanche, si vous êtes désireuse d’apprendre, je me charge de vous instruire dans ma profession, et de vous faire connaître quelle différence il y a entre le fait et le droit, et nous étudierons ensemble, vous prenant en main les Pandectes de Justinien, et moi cherchant à approfondir les écrits de Confucius. Je vous réponds d’avance que vous serez satisfaite des objets que je soumettrai à votre judicieuse analyse.

Comme je vous l’ai dit, mesdames, l’originalité de ce billet m’a frappé, et de ce moment je n’eus plus de cesse que je ne me fusse mise en rapport d’intimité avec son auteur ; je me rendis chez lui, je trouvai mon mauvais sujet couché sur son lit dans un doux far niente, n’ayant d’autre vêtement sur le corps que sa chemise. En me voyant entrer, il se prit à sourire. Ah ! ah ! dit-il, à ce qu’il paraît, mon épître a fait son effet, farceuse que vous êtes. Eh bien, je tiendrai ce que j’ai promis. Puis il ajouta en se levant et en s’avançant gaiement vers moi : Mais il faut vous avertir que nulle gêne ne doit se mêler à nos leçons. Et en disant ces mots, je sentis qu’il détachait les agraffes de ma robe. Pour moi, curieuse de voir jusqu’où tout cela irait, je le laissai tranquillement faire. Bientôt je me trouvai dans le même état que lui, n’ayant plus sur moi d’autre vêtement que mon corset et ma chemise ; puis il m’entraîna vers son lit et se rejetant dessus pendant qu’il m’obligea à rester debout à côté de lui. — Tiens, me dit-il en riant, voici les Pandectes de Justinien, et il prit ma main droite qu’il plaça sur son outil, et je vous avouerai, mesdames, qu’il ne m’avait pas trompée, je fus contente de ce qu’il offrait à mon analyse, jamais objet plus merveilleux n’avait frappé mon regard. De son côté, il s’occupa, comme il l’avait dit aussi, à ouvrir le livre de Confucius. À cet effet, passant une main derrière mes fesses qui étaient à découvert (car le polisson m’avait attaché ma chemise à mon corset, en la relevant jusqu’à sous mes bras) et son doigt se plaçant à l’entrée du temple des plaisirs, j’éprouvai bientôt un chatouillement et un plaisir qu’il me serait difficile à définir. Quant à mon jeune étudiant, je le voyais se mourir de volupté sous les pollutions de ma main, exercée à ce doux jeu. Bientôt je ne pus plus durer à côté du lit, et je me jetai dans les bras amoureux de mon jeune amant, où je ne tardai pas à trouver d’indicibles jouissances. Oh ! le polisson ! Quelles aimables roueries il sut mettre en œuvre ! Mes cuisses, mes tétons, ma bouche, mes aisselles, mes jarrets, tout fut pour lui autel à sacrifier, et je ne sortis de chez lui, qu’impregnée de semence des pieds à la tête. Non, de ma vie je n’eus autant de plaisir que ce jour-là, et depuis, quand nous nous rencontrons, mon étudiant et moi, nous nous sourions mutuellement au souvenir de ce bienheureux moment et nous nous trouvons encore heureux.