Les Adieux (Félix Milliet)

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Les Adieux (Félix Milliet)
M. Giard & E. Brière (p. 92-93).

LES ADIEUX

Lorsque, banni du doux pays de France,
Sous d'autres cieux j'errais en fugitif,
Suisse, je vins, le cœur plein d'espérance,
Sur ton beau sol poser mon pied furtif.
Je m'écriai : Salut et sois bénie,
Terre de Tell !... Je me sens abrité.
Et cependant, chassé de l'Helvétie,
Je vais au loin chercher la liberté.

Depuis un an, dans un modeste asile,
Cherchant le calme et l'oubli de nos maux,
Je respirais... De l'exil on m'exile.
Pour le proscrit il n'est point de repos.
Je ne voulais, pour renaître à la vie,
Rien qu'un peu d'ombre et de sécurité,
Et cependant, chassé de l'Helvétie,
Je vais au loin chercher la liberté.


Qu'ai-je donc fait ?... En songeant à la France,
Ma lyre, un jour, fut l'écho de mon cœur ;
Elle vibra l'hymne de la vengeance,
Elle maudit l'Empire et l'Empereur.
Mais, en pleurant sur la France asservie,
Ai-je forfait à l'hospitalité ?
Et cependant, chassé de l'Helvétie,
Je vais au loin chercher la liberté.

Puisqu'il le faut, adieu, belle Genève,
Avec regret je quitte ton ciel pur.
Adieu, Léman... j'ai fait plus d'un beau rêve.
Les yeux fixés sur ton limpide azur.
J'entrevoyais la divine Harmonie
De ses bienfaits comblant l'humanité.
Et cependant, chassé de l'Helvétie,
Je vais au loin chercher la liberté.

Et vous, amis, qui d'un destin funeste
Auriez voulu conjurer le pouvoir,
En vous quittant, l'espérance me reste ;
Au lieu d'adieu, je vous dis : Au revoir !
Car l'heure est proche où la démocratie
Luira pour tous, soleil de vérité ;
Lors je viendrai dans la belle Helvétie,
Chanter encor l'hymne de liberté.

(De Mayence à Cologne, à bord du ’

Gutcmberg. le 16 mai 1853. )