LXXXV.

Ce qu’on entend en mer quand le navire va sombrer, l’horrible craquement qui précède l’effondrement dans l’abîme, n’est pas un présage plus certain de la perte de l’équipage, que ne le sont de la chute des hommes de la Commune les tiraillements, les efforts contradictoires qui détraquent à cette heure le gouvernement de l’Hôtel de Ville. Écoutez ! le navire craque ! Tous commandent, nul n’obéit. Celui-ci se défie de celui-là ; l’un dénonce l’autre, Rigault songe à les faire arrêter tous les deux. Il y a une majorité qui n’est pas unie et une minorité qui ne s’entend guère avec elle-même. Vingt et un membres se retirent ; ils font bien. Je trouve avec joie parmi leurs noms ceux des quelques hommes que Paris aime encore et que, grâce à cette retraite, il n’apprendra pas à mépriser. Mais pourquoi un prétexte à leur démission ? N’était-il pas plus simple et plus conforme à leur pensée de dire nettement : « Nous sortons d’ici parce que nous savons maintenant que c’est un mauvais lieu ; nous avons été abusés comme vous, mais nous y voyons clair à notre tour ; une bonne cause a été perdue par des fous qui l’ont follement servie ; nous partons, perce qu’en restant une seconde de plus, maintenant que nos yeux sont ou- verts, nous serions criminels. » Ces paroles auraient éclairé tant de misérables qui vont à la mort et qui croient qu’ils font bien de mourir ! Quant à ceux qui restent, ils doivent bien sentir que le pouvoir leur échappe. Ils n’ont pas pu arrêter ou garder Rossel ; on dirait qu’ils n’osent pas toucher à lui, parce qu’il a eu raison non pas de dire ce qu’il pensait, mais de penser ce qu’il a dit. Pendant qu’ils hésitent, l’œuvre militaire de Versailles s’achève. Vanves pris, Montrouge démantelé, des brèches ouvertes au Point-du-Jour, à la porte Maillot, à Saint-Ouen, il ne leur restera bientôt plus qu’à choisir entre la fuite ou les épouvantables excès d’une monstrueuse agonie. Puissent-ils fuir ! Qu’ils s’en aillent, loin, bien loin, hors du châtiment, méprisés, épargnés, oubliés s’il se peut ! On raconte que le Comité central essaye maintenant de se substituer à la Commune élue selon sa volonté. Née par lui, cette révolution mourra avec lui.