XLVI.

Une note du Journal officiel de Versailles vient d’indigner à juste titre a plupart des journalistes pari- siens. Voici cette note : « Les fausses nouvelles les plus audacieuses sont répandues dans Paris, où aucun journal indépendant ne peut plus paraître. » De ces quelques lignes on peut conclure qu’aux yeux du gouvernement de Versailles, tous les journaux dont les rédacteurs en chef n’ont pas abandonné leur poste, se sont entièrement soumis à la Commune et ne pensent ou ne disent que ce qu’elle veut bien leur permettre de dire ou de penser. Il y a là une très-coupable calomnie. Non, grâce à Dieu, la presse parisienne n’a pas renoncé à son indépendance, et si l’on veut bien, comme il est juste de le faire, ne pas tenir compte d’un tas de petites gazettes qui naissent et meurent çà et là et de quelques feuilles rédigées par des membres de la Commune, — on sera forcé de reconnaître au contraire que, depuis le 18 mars, la grande majorité des journaux a fait preuve d’une indépendance très-hautaine et d’une grande bravoure. Chaque jour, sans se laisser intimider ni par les menaces, ni par les suppressions à main armée, ni par les arrestations, elle a dit leur fait aux membres de la Commune, sans réticences ni périphrases. Certes, la presse française, en général, a eu des torts graves, ces dernières années ; elle n’est pas tout à fait irresponsable des malheurs qui viennent d’accabler le pays, mais, ces torts, elle les répare à cette heure, elle les fait du moins oublier par son attitude aussi ferme que dangereuse en face des hommes de l’Hôtel de Ville. Oui, elle juge, condamnant ce qui est condamnable, résistant aux violences, essayant d’éclairer la population. Parfois aussi — et c’est peut-être là son grand crime aux yeux du gouvernement de Versailles — elle se permet de ne pas approuver pleinement tous les actes de l’Assemblée nationale ; quelques journaux vont jusqu’à insinuer que le gouvernement n’est peut-être pas tout à fait innocent des calamités actuelles ; — mais qu’est-ce que cela prouve ? que la presse n’est pas plus la servante de l’Assemblée que l’esclave de la Commune ; en un mot, qu’elle est indépendante.

Et quelles sont les fausses nouvelles dont parle le Journal officiel de Versailles, et contre lesquelles il semble vouloir nous prémunir ? Croit-il que nous soyons assez niais pour ajouter foi aux cris de victoire que poussent chaque matin les affiches de la Commune ? Suppose-t-il que nous ne voyons plus dans les députés que de simples anthropophages, mangeant tous les jours, à la table d’hôte de l’hôtel des Réservoirs, des bifteacks de communeux et des côtelettes de fédéré ? Point du tout, nous démêlons fort bien la vérité parmi les exagérations des gens de l’Hôtel de Ville, et, cette juste appréciation des choses, nous la devons précisément aux journaux que l’Officiel accuse si inconsidérément.

Mais peut-être ne sont-ce pas seulement les fausses nouvelles que redoute l’assemblée de Versailles ; elle ne serait peut-être pas fâchée que nous ignorions les vraies nouvelles aussi, et gageons que, si elle le pouvait, elle ne manquerait pas de supprimer ces journaux mal appris qui — sans être pourtant le moins du monde des journaux communeux — se permettent d’affirmer que depuis six jours les obus de Versailles tombent sur les Ternes, sur les Champs-Élysées, sur l’avenue de Wagram, et nous ont déjà coûté autant de sang et de larmes que les obus prussiens, d’épouvantable mémoire !