XLIII.

Savez-vous ce que c’est ou plutôt ce que c’était que l’abbaye de Cinq-Pierres ? Vous lisez bien, de Cinq-Pierres, et non pas de Saint-Pierre. Gavroche, qui aime le calembourg et parle volontiers argot, avait appelé ainsi un tas de moellons qui se trouvait devant la prison de la Roquette et sur lequel, les matins d’exécution capitale, on avait coutume de hisser la guillotine. Le bourreau, c’était l’abbé de Cinq-Pierres, car Gavroche est aussi logique qu’ingénieux. Eh bien, l’abbaye n’existe plus, il n’y a pas plus de pierres que sur la main devant la prison de la Roquette. Voilà qui est excellent. Quant à la guillotine elle-même, vous savez ce qu’on en a fait. Ah ! nous l’avons échappé belle ! Imaginez-vous que cet infâme, que cet abominable gouvernement de Versailles, s’était avisé, du temps qu’il siégeait à Paris, de faire construire par des charpentiers anonymes, une nouvelle guillotine délicieusement perfectionnée ; c’est absolument comme j’ai l’honneur de vous le dire. Il vous sera aisé de vous en convaincre en lisant la proclamation du « sous-comité en exercice. » Qu’est-ce que c’est que le « sous-comité en exercice ? » J’avoue que je suis à ce sujet d’une ignorance profonde, mais qu’importe ! En ce temps où les comités poussent comme des champignons, il serait absurde de prendre l’air étonné pour un comité et à plus forte raison pour un sous-comité de plus ou de moins. Voici la proclamation : « Citoyens, informé qu’il se faisait en ce moment une nouvelle guillotine… » Mon Dieu, oui, pendant que vous dormiez sur vos deux oreilles, n’ayant d’autre inquiétude que celle d’être envoyé à la Conciergerie par les membres de la Commune, on fabriquait une guillotine. Heureusement, le sous-comité ne dormait pas, lui ! « …payée et commandée… » Ils l’avaient payée ? En es-tu bien sûr, bon sous-comité ? Ce gouvernement avait tellement l’habitude de faire du tort au pauvre monde ! « … par l’odieux gouvernement déchu illotine plus portative et accélératrice). » Hein ? que dites-vous de cela ? est-ce que ça ne vous fait pas venir la chair de poule ? accélératrice ! comprenez bien, c’est à dire que guillotiner en une seule matinée douze ou quinze cents patriotes eût été un simple jeu pour l’abbé de Cinq-Pierres. Et portative ! quelque chose comme une guillotine de poche. Quand les membres du gouvernement auraient fait une tournée en province, ils auraient emporté leur guillotine dans leur portefeuille, et si, à Lyon, à Marseille, ou dans quelque autre grande ville, ils avaient rencontré un certain nombre de « bons bougres », en un clin d’œil, couic ! plus de bons bougres ! Canailles, val Mais continuons à lire : « Le sous-comité du onzième arrondissement… » Ah ! ça, il y a donc un sous-comité dans chaque arrondissement ? « … a fait saisir ces instruments serviles de la domination monarchique… » Attrapez, monsieur Thiers ! « … et en a voté la destruction pour toujours. » Très-bien intentionné, le sous-comité, mais pas littéraire du tout. « En conséquence, la combustion va en être faite sur la place de la Mairie, pour la purification de l’arrondissement et la conservation de la nouvelle liberté. » Et en effet, on a brûlé une guillotine, le 9 avril, à dix heures du matin, devant la statue de Voltaire.

La cérémonie, du reste, n’a pas manqué d’une certaine étrangeté. Au milieu d’une foule compacte, hommes, femmes, enfants, qui montraient le poing à l’odieuse machine, des gardes nationaux du 137e bataillon jetaient dans de vastes flammes les fragments brisés de la guillotine ; tout cela pétillait, craquait, flamboyait, et la statue du défenseur de Calas, enveloppée de fumée, devait prendre plaisir à respirer cet encens. Quand il ne demeura plus qu’un brasier rouge, la foule poussa des cris de joie, et, pour ma part, j’approuvais pleinement ce qu’on venait de faire et l’approbation des assistants. Mais, entre nous, parmi les personnes qui étaient là, n’y en avait-il pas beaucoup qui, plus d’une fois, et avec non moins d’empressement, s’étaient rangées autour de la guillotine dans une intention assez différente de celle de la voir brûler ? Et puis, si, en réduisant en cendres cet instrument de mort, on a voulu faire entendre que le temps où des hommes tuaient des hommes était enfin passé, il me semble qu’on ne devrait pas s’en tenir là. Pendant que nous y sommes, brûlons les fusils, voulez-vous ?