XXIX.

Au retour d’une de ces excursions où j’observe Paris nocturne, aujourd’hui 5 avril, à une heure du matin, je suivais la rue du Mont-Thabor afin de gagner le boulevard et de là le quartier où j’habite.

En traversant la rue Saint-Honoré, j’avais aperçu un groupe de gardes nationaux rangés sur le trottoir. De telles rencontres sont communes, je ne pris point garde à celle-ci. Dans la rue du Mont-Thabor, personne, le silence, la solitude. Tout-à-coup, à quelques pas devant moi, une porte s’ouvrit, un homme en sortit, et s’éloigna précipitamment dans la direction opposée à l’église. Cette sortie avait l’air d’une fuite. Je m’arrêtai, attentif. Bientôt, par la même porte, s’élancèrent deux gardes nationaux ; ils se mirent à courir, avec des cris, après le fuyard qui avait peu d’avance, le ratrappèrent sans peine, et le ramenèrent pendant que les gardes que j’avais vus rue Saint-Honoré accouraient au bruit. Les exclamations, les injures de toutes sortes, m’apprirent que l’homme arrêté et repris était M. l’abbé Deguerry, curé de la Madeleine. On le fit rentrer dans la maison, la porte fut refermée, le silence se rétablit.

Ce matin, j’ai appris que monseigneur Darboy, archevêque de Paris, avait été arrêté à peu près à la même heure et dans des conditions analogues.

On cite encore d’autres arrestations faites dans le monde ecclésiastique. Le curé de Saint-Séverin, le cure de Saint-Eustache, auraient été appréhendés, le premier, dans son domicile, le second, au moment où il sortait de son église. Le curé de Notre-Dame-des-Victoires dovaii être arrêté également ; prévenu à temps, il a pu semettri en sûreté.

Conduit à l’ex-préfecture de police (pourquoi ex-préfecture ? Il me semble qu’elle ne fonctionne pas moins que si elle était tout simplement une préfecture ?), monseigneur Darboy a été interrogé par le citoyen délégué Rigault.

Il faut dire que M. Rigault commence à faire parler de lui depuis quelques jours. C’est un homme qui avait évidemment une vocation sincère pour le métier qu’il a choisi, car il arrête, il arrête, il arrête. On ne dispute pas des vocations ni des couleurs. D’ailleurs, jeune, froid, correct, amer. Mais son flegme n’exclut pas, comme on va le voir, une aimable gaieté.

C’est donc par le citoyen Rigault qu’a été interrogé l’archevêque de Paris. Je ne suis pas démesurément curieux, mais je voudrais savoir ce que le membre de la Commune a pu demander à monseigneur Darboy. Celui-ci n’ayant apparemment commis qu’un crime, celui d’être prêtre, et n’ayant sans doute aucune envie de le dissimuler, on ne s’explique pas très-bien sur quoi a pu porter l’interrogatoire. Il faut supposer que M. Rigault a trouvé dans son imagination des ressources particulières pour soutenir l’entretien, et que sa vocation de juge d’instruction n’est pas moins réelle que sa vocation de policier. Quoi qu’il en soit, les journaux de la Commune enregistrent avec une admiration peu dissimulée ce fragment de dialogue :

— Mes enfants ! aurait dit à un moment l’archevêque de Paris, dont les cheveux sont blancs.

— Citoyen, interrompit le délégué Rigault qui n’a pas trente ans, vous n’êtes pas devant des enfants, mais devant des magistrats.

C’était tapé, cela ! et je conçois l’enthousiasme que M. Rigault inspire aux membres de la Commune. Mais cet excellent citoyen ne s’est pas borné à cette fière interruption. Je puis affirmer (et j’ai les meilleures raisons pour me croire bien informé) qu’il a ajouté :

— D’ailleurs, elle est trop vieille, celle-là ! il y a dix-huit cents ans que vous nous la faites !

Ceci, on en conviendra, n’était pas moins spirituel qu’élégant, et c’est bien ainsi que devait s’exprimer l’aimable délégué qui, l’autre jour, ayant autorisé, dans un moment de clémence peut-être exagéré, un abbé à visiter un prisonnier à la Conciergerie, lui donna un laisser-passer ainsi conçu : « Laissez-passer le nommé X., se disant serviteur d’un nommé Dieu. » Ah ! que de grâce et quel esprit !