XXV.

Ils attendent Garibaldi. Pour quoi faire ? Pour le mettre la tête de la garde nationale. Veuille le Ciel qu’il ne vienne pas ! D’abord, parce que sa présence, serait, à cette heure, un danger de plus, et, ensuite, parce que ce vieillard — cet admirable et vénéré vieillard — compromettrait inutilement sa gloire dans nos basses discordes. Si j’avais l’honneur — moi, citadin inconnu, — d’être au nombre de ceux qu’écoute le libérateur de Naples, j’irais sans hésitation vers lui et, après m’être incliné comme je le ferais devant quelque héros antique sorti de son sépulcre sacré, je lui dirais :

— Général, vous avez délivré votre patrie. À la tête de quelques centaines d’hommes, vous avez gagné des batailles et vous avez pris des villes. Votre nom fait songer à celui de Guillaume Tell. Partout où il y a eu des chaînes à rompre, des jougs à briser, vous y êtes accouru. Vous avez été, comme ces guerriers que vante Hugo dans la Légende des siècles, le champion de la justice. Vous avez été le chevalier errant de la liberté. Vous nous apparaissez, victorieux, dans une vision lointaine ; vous êtes légende. Eh bien ! il convient, pour la gloire de ce siècle, à qui manquent des héros, il convient que vous demeuriez ce que vous êtes. Restez au loin, afin de rester grand. Ce n’est point que votre gloire soit de celles qu’il ne faut voir que dans l’éloignement et qui perdent à être considérées de trop près. Non, mais vous seriez gêné parmi nous. Il n’y a pas ici assez d’espace pour que vous puissiez tirer librement votre épée. Nous sommes des gens habiles, compliqués, bizarres. Vous, vous êtes simple ; c’est votre grandeur. Nous sommes de notre temps, vous avez l’honneur d’être un anachronisme. Vous seriez inutile à vos amis, nuisible à vous-même. Que feriez-vous, géant qui combattez avec le glaive, contre des nains qui ont des canons ? Vous êtes le courage, ils sont la ruse, ils vous vaincraient. Il importe au dix-neuvième siècle que vous ne soyez pas vaincu. Ne venez pas, vous seriez pris, vous, naïf, dans la toile d’araignée des médiocrités adroites, et vos efforts grandioses pour vous en dépêtrer prêteraient à rire. Grand homme, on vous traiterait de bonhomme. »

Mais il est probable, si je tenais ce discours au général Garilbadi, que le général Garibaldi me mettrait poliment à la porte. D’autres conseillers, plus puissants, lui ont inspiré d’autres convictions. Amitiés dangereuses ! Il est profondément douloureux qu’aucun homme — si intelligent, si grand qu’il soit — ne puisse distinguer nettement la ligne où cosse la mission pour laquelle le Ciel l’a doué, et, dédaignant tente célébrité étrangère à sa véritable gloire, ne consente à demeurer tel qu’il sera admiré par l’avenir.