XV.

Tout va bien ; dans quelques heures peut-être tout ira mieux. On se réjouit d’avance d’une pacification désormais probable, presque certaine. Il fait du soleil ; les boulevards se couvrent de promeneurs, de promeneuses même aux figures épanouies. D’où vient ce contentement ? D’une affiche placardée au même instant sur tous les murs de Paris. Je la copie avec joie ; je la copierais plutôt deux fois qu’une.

« Chers concitoyens,

« Je m’empresse de porter à votre connaissance que, d’accord avec les députés de la Seine et les maires élus de Paris, nous avons obtenu du gouvernement de l’Assemblée nationale :

« 1o La reconnaissance complète de vos franchises municipales ;

« 2o L’élection de tous les officiers de la garde nationale, y compris le général en chef ;

« 3o Des modifications à la loi des échéances ;

« 4o Un projet sur les loyers, favorable aux locataires, jusques et y compris les loyers de 1,200 francs.

« En attendant que vous confirmiez ma nomination, ou que vous m’ayez remplacé, je resterai à mon poste d’honneur pour veiller à l’exécution des lois de conciliation que nous avons réussi à obtenir, et contribuer à l’affermissement de la République !

« Paris, 23 mars.


« Le Vice-Amiral, Commandant provisoire,
« Saisset. »


À la bonne heure ! cela est net, précis, opportun, complet. L’Assemblée nationale a compris que, dans une cité comme Paris, une révolution à laquelle participe un tiers environ de la population, ne peut pas avoir pour but unique de tuer et de dévaliser ; que si, parmi les réclamations de la foule, il y en a d’illégitimes ou de prématurées, il y en a néanmoins plusieurs auxquelles il est équitable de faire droit. Paris n’a jamais tout à fait tort. Certes, parmi les auteurs et les manœuvres de la sédition du 18 mars, il est plus d’un coupable. Il faudra rechercher et punir les assassins du général Lecomte et du général Clément Thomas. Sur le massacre de la rue Vendôme, toutes les honnêtes gens exigeront une enquête sérieuse et minutieuse. Mais, on peut et il faut le dire, on ne compte pas que des ivrognes et des énergumènes parmi les fédérés, chefs ou soldats. Quelques hommes s’enivrant dans les débits de liqueurs — j’ai eu peut-être tort d’insister moi-même dans ces notes sur le côté « beuverie » du mouvement insurrectionnel — quelques hommes ivres ne doivent pas nous autoriser à traiter d’ivrognes cent mille hommes parmi lesquels il y a certainement des gens honorables et convaincus de la justice de leurs revendications. Ces chefs improvisés, inconnus, que la révolution a choisis, sont-ils tous indignes d’estime et dénués de capacités ? Il y a peut-être chez eux des forces vives et nouvelles, qu’il sera juste et même nécessaire d’utiliser. Les idées qu’ils représentent doivent être étudiées, et, si on les reconnaît bonnes, mises en pratique. C’est ce que l’Assemblée a compris et c’est ce qu’elle fait. Par des concessions qui, loin de diminuer son prestige, l’augmentent, elle met en demeure tous les cœurs et tous les esprits honnêtes — soldats ou chefs — de se rallier à elle. Ceux qui, après la proclamation du vice-amiral Saisset, refuseraient encore de reconnaître le Gouvernement, ne seraient plus des gens agissant en faveur de Paris et de la République, mais de coupables émeutiers poursuivant, par la plus criminelle des voies, la satisfaction de passions inavouables. Ainsi le bon grain va être séparé de l’ivraie. Oh ! cette ivraie, s’il le faut, nous l’arracherons sans pitié. Hier, avant-hier, place de la Bourse, place des Victoires, dans tout le quartier de la Banque, on était résolu à résister — à le résister seulement, car nul de nous, je l’affirme, n’aurait tiré un coup de fusil sans avoir été provoqué ; — mais à cette résolution même se mêlait une horrible tristesse, et un peu d’hésitation aussi. Nous savions que nos balles — si nous avions été attaqués — auraient pu frapper bien des innocenta, égarés sans doute, mais innocents ; peut-être, au moment suprême, le fusil nous serait-il tombé des mains. Aujourd’hui, rien de pareil. En reconnaissant nos droits, l’Assemblée s’est mise dans son droit ; nous considérons désormais toute rébellion contre son autorité accrue par l’emploi qu’elle en fait, comme un crime digne d’un châtiment immédiat. Auparavant, craignant d’être abandonnée ou mal compris par elle, nous avions formé le projet d’obéir à nos maires et à nos députés librement élus par nous ; mais, par sa judicieuse conduite, le Gouvernement nous prouve qu’il n’a point cessé d’être digne de notre confiance. Qu’il commande donc ! nous obéirons.

À vrai dire, ce revirement dans l’attitude de l’Assemblée est aussi singulier qu’heureux. Elle parlait, hier encore, d’un autre style. La réception que la majorité a faite à nos maires ne permettait guère d’espérer un dénoûment aussi favorable aux intérêts de tous. Mais qu’importe ce qui s’est passé ? Pas de récriminations. Réjouissons-nous du bien présent, sans songer aux malheurs qui semblaient imminents. On raconte de toutes parts que les députés de la Seine et les maires, munis de pleins pouvoirs, règlent en ce moment même les conditions de l’accord. On parle des élections municipales pour le 2 avril ; ainsi disparaîtrait promptement toute cause de dissidence. À merveille ! Paris est content. Les boutiques se rouvrent. On se promène. La place Vendôme garde encore son aspect renfrogné, mais tout cela va finir. Quel beau temps ! On se parle sans se connaître, on se sourit, un peu plus on s’embrasserait. C’est aujourd’hui vendredi, non, c’est dimanche. Ah ! cette brave Assemblée !