Les 120 journées de Sodome/30

Numérisation : Jean Franval (p. 221-226).

(XXX)

Vingt-sixième journée

Comme rien n’était plus délicieux que les punitions, que rien ne préparait autant de plaisirs, et de ces sortes de plaisirs qu’on s’était promis de ne goûter que là, jusqu’à ce que les récits permissent, en les développant, de s’y livrer avec plus d’étendue, on imagina tout pour tâcher de faire tomber les sujets dans des fautes qui procurassent la volupté de les punir. Pour cet effet, les amis s’étant assemblés extraordinairement ce matin-là pour raisonner sur cette affaire, on ajouta différents articles aux règlements, dont l’infraction devait nécessairement occasionner des punitions. D’abord, on défendit expressément aux épouses, aux jeunes garçons et aux filles, de péter ailleurs que dans la bouche des amis ; dès que cette envie leur prenait, il fallait sur-le-champ en aller trouver un et lui administrer ce qu’on retenait ; une forte peine afflictive fut infligée aux délinquants. On défendit, de même, absolument l’usage des bidets et des torchements de cul : il fut ordonné à tous les sujets, généralement et sans aucune exception, de ne se jamais laver et de ne jamais sur toute chose torcher son cul en revenant de chier ; que lorsque leur cul serait trouvé propre, il faudrait que le sujet prouvât que c’était un des amis qui le lui avait nettoyé, et qu’il le citât. Moyennant quoi, l’ami interrogé ayant la facilité de nier le fait quand il le voudrait, se procurait à la fois deux plaisirs : celui de torcher un cul avec sa langue, et celui de faire punir le sujet qui venait de lui donner ce plaisir… On en verra des exemples. Ensuite on introduisit une cérémonie nouvelle : dès le matin, au café, dès qu’on entrait dans la chambre des filles, et de même quand, après cela, on passait dans celle des garçons, chacun de ces sujets devait, l’un après l’autre, aller aborder chacun des amis, et lui dire à haute et intelligible voix : « Je me fous de Dieu ! Voulez-vous mon cul ? Il y a de la merde. » Et ceux ou celles qui ne prononceraient pas, et le blasphème, et la proposition à haute voix, seraient sur-le-champ inscrits sur le fatal livre. On imagine aisément combien la dévote Adélaïde et sa jeune élève Sophie eurent de la peine à prononcer de telles infamies, et c’est ce qui divertissait infiniment. Tout cela réglé, on admit les délations ; ce moyen barbare de multiplier les vexations, admis chez tous les tyrans, fut embrassé avec chaleur. Il fut décidé que tout sujet qui porterait une plainte contre un autre gagnerait la suppression de la moitié de sa punition à la première faute qu’il commettrait ; ce qui n’engageait à rien du tout, parce que le sujet qui venait en accuser un autre ignorait toujours où devait aller la punition dont on lui promettait de gagner moitié ; moyen en quoi il était très aisé de lui donner tout ce qu’on voulait donner, et de lui persuader encore qu’il avait gagné. On décida et l’on publia que la délation serait crue sans preuve, ensuite qu’il suffirait d’être accusé n’importe par qui pour être à l’instant inscrit. On augmenta, de plus, l’autorité des vieilles, et sur leur moindre plainte, vraie ou non, le sujet était condamné sur-le-champ. On établit, en un mot, sur le petit peuple toute la vexation, toute l’injustice qu’on pût imaginer, sûrs de retirer des sommes d’autant plus fortes de plaisirs que la tyrannie aurait été le mieux exercée. Cela fait, on visita les garde-robes. Colombe se trouva coupable ; elle s’excusa sur ce qu’on lui avait fait manger la veille entre ses repas et qu’elle n’avait pu y résister, qu’elle était bien malheureuse, que c’était la quatrième semaine de suite qu’elle était punie. Le fait était vrai, et il ne fallait en accuser que son cul, qui était le plus frais, le mieux tourné et le plus mignon qu’on pût voir. Elle objecta qu’elle ne s’était pas torchée, et que ça devait au moins lui valoir quelque chose. Durcet examina, et lui ayant effectivement trouvé un très gros et très large placard de merde, on l’assura qu’elle ne serait pas traitée avec autant de rigueur. Curval qui bandait s’en empara, et lui ayant complètement torché l’anus, il se fit apporter l’étron, qu’il mangea en se faisant branler par elle, et entremêlant le repas de force baisers sur la bouche et d’injonctions positives d’avaler à son tour tout ce qu’il lui rapportait de son propre ouvrage. On visita Augustine et Sophie, auxquelles il avait été recommandé, après leurs selles poussées de la veille, de rester dans l’état le plus impur. Sophie était dans la règle, quoiqu’elle eût couché chez l’évêque, ainsi que sa place l’exigeait ; mais Augustine était de la plus grande propreté. Sûre de sa réponse, elle s’avança fièrement, et dit qu’on savait bien qu’elle avait couché, suivant sa coutume, chez M. le duc, et qu’avant de s’endormir il l’avait fait venir dans son lit, où il lui avait sucé le trou du cul pendant qu’elle lui branlait le vit avec la bouche. Le duc interrogé dit qu’il ne se souvenait point de cela (quoique cela fût très vrai), qu’il s’était endormi le vit dans le cul de la Duclos, qu’on pouvait approfondir le fait. On mit à cela tout le sérieux et toute la gravité possible ; on envoya chercher Duclos qui, voyant bien ce dont il s’agissait, certifia tout ce qu’avait avancé le duc, et soutint qu’Augustine n’avait été appelée qu’un instant au lit de monseigneur, qui lui avait chié dans la bouche pour y revenir manger son étron. Augustine voulut soutenir sa thèse, et disputa contre la Duclos, mais on lui imposa silence, et elle fut inscrite, quoique parfaitement innocente. On passa chez les garçons, où Cupidon fut trouvé en faute : il avait fait, dans son pot de chambre, le plus bel étron qu’on pût voir. Le duc s’en empara et le dévora, pendant que le jeune homme lui suçait le vit. On refusa toutes les permissions de chapelle, et on passa au salon à manger. La belle Constance, qu’on dispensait quelquefois d’y servir à cause de son état, se trouvant bien ce jour-là, y parut nue, et son ventre, qui commençait un peu à enfler, échauffa beaucoup la tête de Curval, et comme on vit qu’il commençait à manier un peu durement les fesses et le sein de cette pauvre créature, pour laquelle on s’apercevait chaque jour que son horreur allait en doublant, sur ses instances et d’après l’envie qu’on avait de conserver son fruit au moins jusqu’à une certaine époque, on lui permit de ne plus paraître ce jour-là qu’aux narrations, dont elle n’était jamais exempte. Curval se remit à dire des horreurs sur les pondeuses d’enfants, et protesta que s’il était le maître il établirait la loi de l’île de Formose, où les femmes enceintes avant trente ans sont pilées dans un mortier avec leur fruit, et que, quand on ferait suivre cette loi-là en France, il y aurait encore deux fois plus de population qu’il n’en faudrait. On passa au café ; il était présenté par Sophie, Fanny, Zélamir et Adonis, mais servi d’une très singulière façon : ce fut avec leur bouche qu’ils le firent avaler. Sophie servit le duc, Fanny Curval, Zélamir l’évêque, et Adonis Durcet. Ils prenaient les gorgées dans leur bouche, se la rinçaient avec, et la rendaient ainsi dans le gosier de celui qu’ils servaient. Curval, qui était sorti de table très échauffé, rebanda de nouveau à cette cérémonie, et quand elle fut achevée, il s’empara de Fanny et lui déchargea dans la bouche, en lui ordonnant d’avaler, sous les peines les plus graves, ce que fit ce malheureux enfant sans même oser sourciller. Le duc et ses deux autres amis firent péter ou chier, et, la méridienne faite, on vint écouter Duclos, qui reprit ainsi la suite de ses récits :

« Je vais couler rapidement, dit cette aimable fille, sur les deux dernières aventures qui me restent à vous conter de ces hommes singuliers qui ne trouvent leur volupté que dans la douleur qu’on leur fait éprouver, et puis nous changerons de matière si vous le trouvez bon. Le premier, pendant que je le branlais, nu et debout, voulait que par un trou fait au plafond, on nous jetât tout le temps que devait durer la séance, des flots d’eau presque bouillante sur le corps. J’eus beau lui représenter que, n’ayant pas la même passion que lui, j’allais pourtant comme lui m’en trouver la victime, il m’assura que je n’en ressentirais aucun mal, et que ces douches-là étaient supérieures pour la santé. Je le crus, et me laissai faire ; et comme c’était chez lui, je ne fus pas maîtresse du degré de chaleur de l’eau : elle était presque bouillante. On n’imagine pas le plaisir qu’il éprouva en la recevant. Pour moi, tout en l’opérant le plus promptement que je pus, je criais, je vous l’avoue, comme un matou que l’on échaude : ma peau en pela, et je me promis bien de ne jamais retourner chez cet homme. »

« Ah ! parbleu, dit le duc, il me prend envie d’échauder comme cela la belle Aline. — Monseigneur, lui répondit humblement celle-ci, je ne suis pas un cochon. » Et la franchise naïve de sa réponse enfantine ayant fait rire tout le monde, on demanda à Duclos quel était le second et dernier exemple qu’elle avait à citer du même genre.

« Il n’était pas tout à fait si pénible pour moi, dit Duclos : il ne s’agissait que de se cuirasser la main d’un bon gant, puis de prendre avec cette main du gravier brûlant dans une poêle, sur un réchaud, et, la main ainsi remplie, il fallait frotter mon homme avec ce gravier presque en feu, depuis la nuque du col jusqu’aux talons. Son corps était si singulièrement endurci à cet exercice qu’il semblait que ce fût du cuir. Quand on en était au vit, il fallait le prendre et le branler au milieu d’une poignée de ce sable brûlant ; il bandait fort vite ; alors, de l’autre main, je plaçais sous ses couilles la pelle toute rouge et préparée à dessein. Ce frottement d’une part, cette chaleur dévorante dont ses testicules étaient dévorés, peut-être un peu d’attouchements sur mes deux fesses, que je devais toujours tenir très présentées pendant l’opération, tout cela le faisait partir, et il déchargeait, ayant bien soin de faire couler son sperme sur la pelle rouge et de le considérer brûler avec délices. »

« Curval, dit le duc, ceci est un homme qui ne me paraît pas aimer la population plus que toi. — Cela m’en a l’air, dit Curval ; je ne te cache pas que j’aime l’idée de vouloir brûler son foutre. Oh ! je vois bien toutes celles qu’elle te donne, dit le duc ; et fût-il même éclos tu le brûlerais avec le même plaisir, n’est-ce-pas ? — Ma foi, je le crains fort, dit Curval, en faisant je ne sais quoi à Adélaïde qui lui fit jeter un grand cri. — Et à qui en as-tu, putain, dit Curval à sa fille, à piailler de la sorte ?… Ne vois-tu pas que le duc me parle de brûler, de vexer, de morigéner du foutre éclos ; et qu’es-tu, je t’en prie, sinon un peu de foutre éclos au sortir de mes couilles ? Allons, poursuivez, Duclos, ajouta Curval, car je sens que les pleurs de cette garce-là me feraient décharger, et je ne veux pas. »

« Nous voici, dit cette héroïne, à des détails qui, portant avec eux des caractères de singularité plus piquants, vous plairont peut-être davantage. Vous savez que l’usage, à Paris, est d’exposer les morts aux portes des maisons. Il y avait un homme dans le monde qui me payait douze francs par chacun de ces appareils lugubres où je pouvais le conduire dans ma soirée. Toute sa volupté consistait à s’en approcher avec moi le plus près possible, au bord même du cercueil, si nous pouvions, et là, je devais le branler en sorte que son foutre éjaculât sur le cercueil. Nous en allions courir comme cela trois ou quatre dans la soirée, suivant le nombre que j’en avais découvert, et nous faisions la même opération à tous, sans qu’il me touchât autre chose que le derrière pendant que je le branlais. C’était un homme d’environ trente ans, et j’ai eu sa pratique plus de dix ans, pendant lesquels je suis sûre de l’avoir fait décharger sur plus de deux mille cercueils. »

« Mais disait-il quelque chose pendant son opération ? dit le duc. Adressait-il quelque parole à vous ou au mort ? — Il invectivait le mort, dit Duclos ; il lui disait : “Tiens, coquin ! tiens, bougre ! tiens, scélérat ! emporte mon foutre avec toi dans les enfers !” — Voilà une singulière manie, dit Curval. — Mon ami, dit le duc, sois sûr que cet homme-là était un des nôtres et qu’il n’en restait sûrement pas là. — Vous avez raison, monseigneur, dit la Martaine, et j’aurai l’occasion de vous représenter encore une fois cet acteur-là sur la scène. » Duclos, alors profitant du silence, reprit ainsi :

« Un autre, poussant beaucoup plus loin une fantaisie à peu près semblable, voulait que j’eusse des espions en campagne pour l’avertir, chaque fois que l’on enterrait, dans quelque cimetière, une jeune fille morte sans maladie dangereuse (c’était la chose qu’il me recommandait le plus). Dès que je lui avais trouvé son affaire, et il me payait toujours la découverte très cher, nous partions le soir, nous nous introduisions dans le cimetière comme nous pouvions, et allant tout de suite au trou indiqué par l’espion, et dont la terre était le plus fraîchement remuée, nous travaillions promptement tous deux à écarter avec nos mains tout ce qui couvrait le cadavre ; et dès qu’il pouvait le toucher, je le branlais dessus pendant qu’il le maniait partout, et surtout sur les fesses, s’il le pouvait. Quelquefois il rebandait une seconde fois, mais alors il chiait et me faisait chier sur le cadavre, et déchargeait par-dessus, en palpant toujours toutes les parties du corps qu’il pouvait saisir. »

« Oh ! pour celle-là, je la conçois, dit Curval, et s’il faut ici vous faire ma confession, c’est que je l’ai faite quelquefois dans ma vie. Il est vrai que j’y ajoutais quelques épisodes qu’il n’est pas encore temps de vous dire. Quoi qu’il en soit, elle me fait bander ; écartez vos cuisses, Adélaïde… » Et je ne sais ce qui se passa, mais le canapé cria, plia sous le faix, on entendit une décharge très constatée, et je crois que tout simplement et très vertueusement, M. le président venait de faire un inceste. « Président, dit le duc, je parie que tu as cru qu’elle était morte. — Oui, en vérité, dit Curval, car je n’aurais pas déchargé sans cela. » Et Duclos, voyant qu’on ne disait plus mot, termina ainsi sa soirée :

« Pour ne pas vous laisser, messieurs, dans des idées aussi lugubres, je vais clore ma soirée par le récit de la passion du duc de Bonnefort. Ce jeune seigneur, que j’ai amusé cinq ou six fois, et qui pour la même opération, voyait souvent une de mes amies, exige qu’une femme, armée d’un godemiché, se branle nue devant lui, et par-devant et par-derrière, trois heures de suite sans discontinuer. Une pendule est là qui vous règle, et si l’on quitte l’ouvrage avant la révolution juste de la troisième heure, on n’est point payée. Il est en face de vous, il vous observe, vous tourne et retourne de tous les côtés, vous exhorte à vous évanouir de plaisir, et si, transportée par les effets de l’opération, vous veniez réellement à perdre connaissance dans le plaisir, il est bien certain que vous hâteriez le sien. Sinon, à l’instant précis où l’horloge frappe la troisième heure, il vous approche et vous décharge sur le nez. »

« Par ma foi, dit l’évêque, je ne vois pas, Duclos, pourquoi tu n’as pas préféré de nous laisser sur les idées précédentes que sur celle-là. Elles avaient quelque chose de piquant et qui nous irritait puissamment, au lieu qu’une passion à l’eau rose, comme celle par laquelle tu finis ta soirée, ne nous laisse rien dans la tête. — Elle a bien raison, dit Julie, qui était avec Durcet ; « pour mon compte, je l’en remercie, et on nous laissera toutes coucher plus tranquilles, quand on n’aura pas dans la tête de ces vilaines idées que Mme Duclos avait entamées tout à l’heure. — Ah ! cela pourrait peut-être bien vous tromper, belle Julie ! dit Durcet, car, moi, je ne me souviens jamais que de l’ancien quand le nouveau m’ennuie, et pour vous le prouver, ayez la bonté de me suivre. » Et Durcet se jeta dans son cabinet avec Sophie et Michette, pour décharger je ne sais trop comment, mais d’une manière pourtant qui ne plut pas à Sophie, car elle poussa un cri terrible et revint rouge comme une crête de coq. « Oh ! pour celle-là, lui dit le duc, tu n’avais pas envie de la prendre pour morte, car tu viens de lui faire donner un furieux signe de vie ! — Elle a crié de peur, dit Durcet ; demande-lui ce que je lui ai fait, et ordonne-lui de vous le dire tout bas. » Sophie s’approcha du duc pour le lui dire. « Ah ! dit celui-ci tout haut, il n’y avait là ni de quoi tant crier, ni de quoi faire une décharge. » Et comme le souper sonna, on interrompit tous propos et tous plaisirs, pour aller jouir de ceux de la table. Les orgies se célébrèrent avec assez de tranquillité, et on fut se coucher vertueusement, sans qu’il y eût même aucune apparence d’ivresse, ce qui était extrêmement rare.