Les 120 journées de Sodome/12

Numérisation : Jean Franval (p. 114-122).

(XII)

Huitième journée

Les exemples de la veille en ayant imposé, on ne trouva ni ne put trouver personne en faute le lendemain. Les leçons se continuèrent sur les fouteurs, et comme il n’y eut aucun événement jusqu’au café, nous ne prendrons cette journée qu’à cette époque. Il était servi par Augustine, Zelmire, Narcisse et Zéphire. Les fouteries en cuisses recommencèrent ; Curval s’empara de Zelmire et le duc d’Augustine, et après avoir admiré et baisé leurs jolies fesses, qui avaient je ne sais trop pourquoi ce jour-là des grâces, des attraits, un vermillon qu’on n’y avait pas observés auparavant, après, dis-je, que nos libertins eurent bien baisé, bien caressé ces charmants petits culs, on exigea des pets. L’évêque qui tenait Narcisse en avait déjà obtenu ; on entendait ceux que Zéphire lançait dans la bouche de Durcet… Pourquoi ne pas les imiter ? Zelmire avait réussi, mais Augustine avait beau faire, beau s’efforcer, le duc beau menacer d’un sort pour samedi prochain pareil à celui qu’on avait éprouvé la veille, rien ne sortit, et la pauvre petite pleurait déjà quand une vesse vint enfin le satisfaire. Il respira, et content de cette marque de docilité du joli enfant qu’il aimait assez, il lui campa son énorme engin dans les cuisses et le retirant au moment de sa décharge, il lui arrosa complètement les deux fesses. Curval en avait fait tout autant avec Zelmire, mais l’évêque et Durcet se contentèrent de ce qu’on appelle la petite oie. Et la méridienne faite, on passa au salon, où la belle Duclos, mise ce jour-là avec tout ce qui pouvait le mieux faire oublier son âge, parut vraiment belle aux lumières, et si tellement que nos libertins, échauffés sur son compte, ne voulurent pas lui permettre de continuer que, du haut de sa tribune, elle n’eût fait voir ses fesses à l’assemblée. « Elle a vraiment un beau cul, dit Curval. — Et bon, mon ami, dit Durcet, je te certifie que j’en ai peu vu de meilleurs. Et, ces éloges reçus, notre héroïne rabaissa ses jupes, s’assit et reprit le fil de son histoire de la façon dont le lecteur va la lire, s’il se donne la peine de continuer, ce que nous lui conseillons pour l’intérêt de ses plaisirs.

« Une réflexion et un événement furent cause, messieurs, que ce qu’il me reste à vous conter maintenant n’est plus dans le même champ de bataille. La réflexion est bien simple : ce fut l’état malheureux de ma bourse qui la fit naître. Depuis neuf ans que j’étais chez Mme Guérin, quoique je dépensasse fort peu, je ne me trouvais pourtant pas cent louis devant moi. Cette femme, extrêmement adroite et entendant au mieux ses intérêts, trouvait toujours le moyen de garder pour elle au moins les deux tiers des recettes et imposait encore de grandes retenues sur l’autre tiers. Ce manège me déplut, et vivement sollicitée par une autre maquerelle, nommée Fournier, d’aller habiter avec elle, sachant que cette Fournier recevait chez elle de vieux débauchés d’un bien meilleur ton et bien plus riches que la Guérin, je me déterminai à prendre congé de celle-ci pour aller chez l’autre. Quant à l’événement qui vint appuyer ma réflexion, ce fut la perte de ma sœur ; je m’étais fortement attachée à elle, et je ne pus rester davantage dans une maison où tout me la rappelait sans la retrouver. Depuis près de six mois cette chère sœur était visitée par un grand homme sec et noir dont la physionomie me déplaisait infiniment. Ils s’enfermaient ensemble, et je ne sais ce qu’ils y faisaient, car jamais ma sœur ne me l’a voulu dire, et ils ne se plaçaient point dans l’endroit où j’aurais pu les voir. Quoi qu’il en soit, un beau matin, elle vient dans ma chambre, m’embrasse et me dit que sa fortune est faite, qu’elle est entretenue par ce grand homme que je n’aimais pas, et tout ce que j’en appris, c’est que c’était à la beauté de ses fesses qu’elle devait ce qu’elle allait gagner. Cela fait, elle me donna son adresse, fit ses comptes avec la Guérin, nous embrassa toutes et partit. Je ne manquai pas, comme vous l’imaginez bien, d’aller deux jours après à l’adresse indiquée, mais on n’y savait seulement pas ce que je voulais dire. Je vis bien que ma sœur avait été trompée elle-même, car d’imaginer qu’elle eût voulu me priver du plaisir de la voir, je ne le pouvais supposer. Quand je me plaignis à la Guérin de ce qui m’arrivait à ce sujet-là, je vis qu’elle en souriait malignement et qu’elle refusait de s’expliquer : je conclus donc de là qu’elle était dans le mystère de toute l’aventure, mais qu’on ne voulait pas que je la démêlasse. Tout cela m’affecta et me fit prendre mon parti, et comme je n’aurai plus occasion de vous parler de cette chère sœur, je vous dirai, messieurs, que, quelque perquisition que j’aie faite, quelque soin que je me sois donné pour la découvrir, il m’a été parfaitement impossible de jamais savoir ce qu’elle était devenue. »

« Je le crois bien, dit alors la Desgranges, car elle n’existait plus vingt-quatre heures après t’avoir quittée. Elle ne te trompait pas, elle était dupée elle-même, mais la Guérin savait ce dont il s’agissait. — Juste ciel ! que m’apprenez-vous, dit alors la Duclos. Hélas ! quoique privée de la voir, je me flattais encore de son existence. — Très à tort, reprit la Desgranges, mais elle ne t’avait pas menti : ce fut la beauté de ses fesses, la supériorité étonnante de son cul qui lui valut l’aventure où elle se flattait de trouver sa fortune et où elle ne rencontra que la mort. — Et le grand homme sec ? dit Duclos. — Il n’était que le courtier de l’aventure, il ne travaillait pas pour son compte. — Mais cependant, dit Duclos, il la voyait assidûment depuis six mois ? — Pour la tromper, reprit Desgranges, mais reprends ton récit ; ces éclaircissements pourraient ennuyer ces messieurs, et cette anecdote-là me regarde, je leur en rendrai bon compte. — Grâce de l’attendrissement, Duclos, lui dit sèchement le duc en voyant qu’elle avait peine à retenir quelques larmes involontaires, nous ne connaissons pas ces regrets-là ici, et toute la nature s’écroulerait que nous n’en pousserions pas un soupir. Laissez les pleurs aux imbéciles et aux enfants, et qu’ils ne souillent jamais les joues d’une femme raisonnable et que nous estimons. À ces mots notre héroïne se contint et reprit aussitôt son récit.

« En raison des deux causes que je viens d’expliquer, je pris donc mon parti, messieurs, et la Fournier m’offrant un meilleur logement, une table bien autrement servie, des parties bien plus chères quoique plus pénibles, mais toujours un partage égal et sans aucune retenue, je me déterminai sur-le-champ. Mme Fournier occupait une maison tout entière, et cinq jeunes et jolies filles composaient son sérail ; je fus la sixième. Vous trouverez bon que je fasse ici comme chez Mme Guérin, c’est-à-dire que je ne vous peigne mes compagnes qu’à mesure qu’elles joueront un personnage. Dès le lendemain de mon arrivée on me donna de l’occupation, car les pratiques allaient grand train chez la Fournier, et nous en faisions souvent cinq ou six par jour chacune. Mais je ne vous parlerai, ainsi que je l’ai fait jusqu’à présent, que de celles qui peuvent exciter votre attention par leur piquant ou leur singularité.

« Le premier homme que je vis dans mon nouveau séjour fut un payeur des rentes, homme d’environ cinquante ans. Il me fit mettre à genoux, la tête penchée sur le lit, et s’établissant sur le lit également, à genoux au-dessus de moi, il se branla le vit dans ma bouche, en m’ordonnant de la tenir très ouverte. Je n’en perdis pas une goutte, et le paillard s’amusa prodigieusement des contorsions et des efforts pour vomir que me fit faire ce dégoûtant gargarisme.

« Vous voudrez, messieurs, continua la Duclos, que je place tout de suite, quoique arrivées à des temps différents, les quatre aventures de ce même genre que j’eus encore chez Mme Fournier. Ces récits, je le sais, ne déplairont point à M. Durcet, et il me saura gré de l’entretenir, le reste de la soirée, d’un goût qu’il aime et qui m’a procuré l’honneur de le connaître pour la première fois. »

« Quoi, dit Durcet, tu vas me faire jouer un rôle dans ton histoire ? — Si vous le trouvez bon, monsieur, répondit la Duclos, en observant seulement d’avertir ces messieurs quand j’en serai à votre article. — Et ma pudeur… Quoi ! devant toutes les jeunes filles, tu vas comme cela dévoiler toutes mes turpitudes ? Et chacun ayant ri de la crainte plaisante du financier, Duclos reprit ainsi :

« Un libertin, bien autrement vieux et bien autrement dégoûtant que celui que je viens de citer, vint me donner la seconde représentation de cette manie. Il me fit coucher toute nue sur un lit, s’étendit à contre-sens sur moi, mit son vit dans ma bouche et sa langue dans mon con, et, dans cette attitude, il exigea que je lui rendisse les titillations de volupté qu’il prétendait que devait me procurer sa langue. Je suçai de mon mieux. C’était mon pucelage pour lui ; il lécha, barbota et travailla sans doute dans toutes ses manœuvres infiniment plus pour lui que pour moi. Quoi qu’il en soit, je restai nulle, bien heureuse de n’être pas horriblement dégoûtée, et le libertin déchargea ; opération que d’après la prière de la Fournier, qui m’avait prévenue de tout, opération, dis-je, que je lui fis faire le plus lubriquement possible, en serrant mes lèvres, en suçant, en exprimant de mon mieux dans ma bouche le jus qu’il exhalait et en passant ma main sur ses fesses pour lui chatouiller l’anus, épisode qu’il m’indiquait de faire, en le remplissant de son côté du mieux qu’il lui était possible… L’affaire faite, notre homme décampa en assurant la Fournier qu’on ne lui avait point encore fourni de fille qui sût mieux le contenter que moi.

« Peu après cette aventure, curieuse de savoir ce que venait faire au logis une vieille sorcière âgée de plus de soixante-dix ans et qui avait l’air d’attendre pratique, on me dit qu’effectivement elle allait en faire une. Excessivement curieuse de voir à quoi l’on allait faire servir une telle emplâtre, je demandai à mes compagnes s’il n’y avait pas chez elles une chambre d’où l’on pût voir, ainsi que de chez la Guérin. L’une, m’ayant répondu que oui, m’y mena, et comme il y avait de la place pour deux, nous nous y plaçâmes, et voici ce que nous vîmes et ce que nous entendîmes, car les deux chambres n’étant séparées que par une cloison, il était très aisé de ne pas perdre un mot. La vieille arriva la première et s’étant regardée au miroir, elle s’ajusta, sans doute comme si elle eût cru que ses charmes allaient encore avoir quelque succès. À quelques minutes de là nous vîmes arriver le Daphnis de cette nouvelle Chloé. Celui-ci avait tout au plus soixante ans ; c’était un payeur des rentes, homme très à son aise et qui aimait mieux dépenser son argent avec des salopes de rebut comme celle-là qu’avec de jolies filles, et cela par cette singularité de goût que vous comprenez, dites-vous, messieurs, et que vous expliquez si bien. Il s’avance, toise sa dulcinée qui lui fait une profonde révérence. “Pas tant de façons, vieille garce, lui dit le paillard, et mets-toi nue… Mais voyons d’abord, as-tu des dents ? — Non, monsieur, il ne m’en reste pas une seule, dit la vieille en ouvrant sa bouche infecte… regardez plutôt.” Alors notre homme s’approche et, saisissant sa tête, il lui colle sur les lèvres un des plus ardents baisers que j’aie vu donner de ma vie ; non seulement il baisait, mais il suçait, mais il dévorait, il dardait amoureusement sa langue au plus profond du gosier putréfié, et la bonne vieille, qui de longtemps ne s’était trouvée à pareille fête, le lui rendait avec une tendresse… qu’il me serait difficile de vous peindre.

“Allons, dit le financier, mets-toi nue.” Et pendant ce temps-là il défait aussi ses culottes et met à l’air un membre noir et ridé qui ne promettait pas de grossir de longtemps. Cependant la vieille est nue et vient effrontément offrir à son amant un vieux corps jaune et ridé, sec, pendant et décharné, dont la description, à quelque point que soient vos fantaisies sur cela, vous ferait trop d’horreur pour que je veuille l’entreprendre. Mais loin d’en être dégoûté, notre libertin s’extasie ; il la saisit, l’attire à lui sur le fauteuil où il se manualisait en attendant qu’elle se déshabillât, lui darde encore une fois sa langue dans la bouche, et la retournant il offre à l’instant son hommage au revers de la médaille. Je le vis distinctement manier les fesses, mais que dis-je les fesses ? les deux torchons ridés qui de ses hanches tombaient en ondulations sur ses cuisses. Telles qu’elles étaient enfin, il les ouvrit, colla voluptueusement ses lèvres sur le cloaque infâme qu’elles renfermaient, y enfonça sa langue à plusieurs reprises différentes, et tout cela pendant que la vieille tâchait de donner un peu de consistance au membre mort qu’elle secouait. “Venons au fait, dit le céladon, sans mon épisode de choix, tous tes efforts seraient inutiles. On t’a prévenue ? — Oui, monsieur, — Et tu sais bien qu’il faut avaler ? — Oui, mon toutou, oui, mon poulet, j’avalerai, je dévorerai tout ce que tu feras.” Et en même temps le libertin la campe sur le lit la tête en bas ; en cette posture il lui met son engin molasse dans le bec, l’enfonce jusqu’aux couillons, revient prendre les deux jambes de sa jouissance, se les campe sur les épaules, et par ce moyen son grouin se trouve absolument niché entre les fesses de la duègne. Sa langue se replace au fond de ce trou délicieux ; l’abeille allant pomper le nectar de la rose ne suce pas plus voluptueusement. Cependant la vieille suce, notre homme s’agite.

« Ah, foutre ! s’écrie-t-il au bout d’un quart d’heure de cet exercice libidineux, suce, suce, bougresse, suce et avale, il coule, double dieu ! il coule, ne le sens-tu pas ? » Et baisant pour le coup tout ce qui s’offre à lui, cuisses, vagin, fesses, anus, tout est léché, tout est sucé. La vieille avale, et le pauvre caduc, qui se retire aussi mol qu’il est entré et qui vraisemblablement a déchargé sans érection, se sauve tout honteux de son égarement et gagne le plus promptement qu’il peut la porte, afin de s’éviter de voir de sens froid l’objet hideux qui vient de le séduire. »

« Et la vieille ? dit le duc. »

« La vieille toussa, cracha, se moucha, se vêtit le plus tôt qu’elle pût et partit.

« À quelques jours de là, cette même compagne qui m’avait procuré le plaisir de cette scène eut son tour. C’était une fille d’environ seize ans, blonde et de la physionomie du monde la plus intéressante ; je ne manquai pas d’aller la voir en besogne. L’homme à qui l’on l’assemblait était pour le moins aussi vieux que le payeur des rentes. Il la fit mettre à genoux entre ses jambes, lui fixa la tête en lui saisissant les oreilles et lui campa dans la bouche un vit qui me parut plus sale et plus dégoûtant qu’un chiffon traîné dans le ruisseau. Ma pauvre compagne, voyant approcher de ses lèvres fraîches ce dégoûtant morceau voulut se jeter à la renverse, mais ce n’était pas pour rien que notre homme la tenait comme un barbet par les oreilles. “Allons donc, garce, lui dit-il, tu fais la difficile ?” Et la menaçant d’appeler la Fournier, qui sans doute lui avait recommandé bien de la complaisance, il parvint à vaincre ses résistances. Elle ouvre les lèvres, se recule, les ouvre encore et engloutit enfin, en poussant des hoquets, cette relique infâme dans la plus gentille des bouches. De ce moment ce ne furent plus que des mauvais propos de la part du scélérat. “Ah, coquine ! disait-il en fureur, il te faut bien des façons pour sucer le plus beau vit de France ! Ne crois-tu pas qu’on va faire bidet tous les jours exprès pour toi ? Allons, suce, garce ! suce la dragée.” Et s’échauffant de ces sarcasmes et du dégoût qu’il inspire à ma compagne (tant il est vrai, messieurs, que le dégoût que vous nous procurez devient un aiguillon à votre jouissance), le libertin s’extasie et laisse dans la bouche de cette pauvre fille des preuves non équivoques de sa virilité. Moins complaisante que la vieille, elle n’avala rien, et beaucoup plus dégoûtée qu’elle, elle vomit dans la minute tout ce qu’elle avait dans l’estomac, et notre libertin, en se rajustant sans trop prendre garde à elle, ricanait entre ses dents des suites cruelles de son libertinage.

« C’était mon tour, mais plus heureuse que les deux précédentes, c’était à l’Amour même que j’étais destinée, et il ne me resta, après l’avoir satisfait, que l’étonnement de trouver des goûts si étranges dans un jeune homme si bien taillé pour plaire. Il arrive, me fait mettre nue, s’étend sur le lit, m’ordonne de m’accroupir sur son visage et d’aller avec ma bouche essayer de faire décharger un vit très médiocre, mais qu’il me recommande et dont il me supplie d’avaler le foutre, dès que je le sentirai couler. “Mais ne restez pas oisive pendant ce temps-là, ajouta le petit libertin : que votre con inonde ma bouche d’urine, que je vous promets d’avaler comme vous avalerez mon foutre, et que ce beau cul me pète dans le nez.” Je me mets à l’œuvre et remplis à la fois mes trois besognes avec tant d’art que le petit anchois dégorge bientôt toute sa fureur dans ma bouche, pendant et que je l’avale, et que mon Adonis en fait autant de l’urine dont je l’inonde, et cela tout en respirant les pets dont je ne cesse de le parfumer. »

« En vérité, mademoiselle, dit Durcet, vous auriez bien pu vous dispenser de révéler ainsi les enfantillages de ma jeunesse. — Ah ! ah ! dit le duc en riant, ah ! comment, toi qui à peine oses regarder un con aujourd’hui, tu les faisais pisser dans ce temps-là ? — C’est vrai, dit Durcet, j’en rougis, il est affreux d’avoir à se reprocher des turpitudes de cette sorte ; c’est bien à présent, mon ami, que je sens tout le poids des remords… Culs délicieux, s’écria-t-il dans son enthousiasme, en baisant celui de Sophie qu’il avait attiré à lui pour le manier un instant, culs divins, combien je me reproche l’encens que je vous ai dérobé ! Ô culs délicieux, je vous promets un sacrifice expiatoire, je fais serment sur vos autels de ne plus m’égarer de la vie. » Et ce beau derrière l’ayant un peu échauffé, le libertin plaça la novice dans une posture fort indécente sans doute, mais dans laquelle il pouvait, comme on l’a vu plus haut, faire téter son petit anchois en suçant l’anus le plus frais et le plus voluptueux. Mais Durcet, trop blasé sur ce plaisir-là, n’y retrouvait que bien rarement sa vigueur ; on eut beau le sucer, il eut beau le rendre, il fallut se retirer dans le même état de défaillance et remettre, en pestant et jurant contre la jeune fille, à quelque moment plus heureux des plaisirs que la nature lui refusait pour lors. Tout le monde n’était pas aussi malheureux. Le duc, qui avait passé dans son cabinet avec Colombe, Zélamir, Brise-cul et Thérèse, fit entendre des hurlements qui prouvaient son bonheur, et Colombe, crachotant de toute sa force en en sortant, ne laissa plus de doute sur le temple qu’il avait encensé. Pour l’évêque, tout naturellement couché sur son canapé, les fesses d’Adélaïde sur le nez et le vit dans sa bouche, il se pâmait en faisant péter la jeune femme, tandis que Curval debout, faisant emboucher son énorme trompette à Hébé, perdait son foutre en s’égarant ailleurs. On servit. Le duc voulut soutenir au souper que si le bonheur consistait dans l’entière satisfaction de tous les plaisirs des sens, il était difficile d’être plus heureux qu’ils l’étaient. « Ce propos-là n’est pas d’un libertin, dit Durcet. Et comment est-il que vous puissiez être heureux, dès que vous pouvez vous satisfaire à tout instant ? Ce n’est pas dans la jouissance que consiste le bonheur, c’est dans le désir, c’est à briser les freins qu’on oppose à ce désir. Or, tout cela se trouve-t-il ici, où je n’ai qu’à souhaiter pour avoir ? Je fais serment, dit-il, que, depuis que j’y suis, mon foutre n’a pas coulé une seule fois pour les objets qui y sont ; il ne s’est jamais répandu que pour ceux qui n’y sont pas. Et puis d’ailleurs, ajouta le financier, il manque selon moi une chose essentielle à notre bonheur : c’est le plaisir de la comparaison, plaisir qui ne peut naître que du spectacle des malheureux, et nous n’en voyons point ici. C’est de la vue de celui qui ne jouit pas de ce que j’ai et qui souffre, que naît le charme de pouvoir se dire : Je suis donc plus heureux que lui. Partout où les hommes seront égaux et où ces différences-là n’existeront pas, le bonheur n’existera jamais. C’est l’histoire d’un homme qui ne connaît bien le prix de la santé que quand il a été malade. — Dans ce cas-là, dit l’évêque, vous établiriez donc une jouissance réelle à aller contempler les larmes de ceux que la misère accable ? — Très assurément, dit Durcet, il n’y a peut-être point au monde de volupté plus sensuelle que celle dont vous parlez là. — Quoi, sans les soulager ? dit l’évêque, qui était bien aise de faire étendre Durcet sur un chapitre si fort du goût de tous et qu’on le connaissait si capable de traiter à fond. — Qu’appelez-vous soulager ? dit Durcet. Mais la volupté qui naît pour moi de cette douce comparaison de leur état au mien n’existerait plus si je les soulageais, car alors, les sortant de leur état de misère, je leur ferais goûter un instant de bonheur qui, les assimilant à moi, ôterait toute jouissance de comparaison. — Eh bien, d’après cela, dit le duc, il faudrait en quelque façon, pour mieux établir cette différence essentielle au bonheur, il faudrait, dis-je, aggraver plutôt leur situation. — Cela n’est pas douteux, dit Durcet, et voilà qui explique les infamies qu’on m’a reprochées sur cela toute ma vie. Les gens qui ne connaissaient pas mes motifs m’appelaient dur, féroce et barbare, mais, me moquant de toutes les dénominations, j’allais mon train, je faisais, j’en conviens, ce que les sots appellent des atrocités ; mais j’établissais des jouissances de comparaisons délicieuses, et j’étais heureux. — Avoue le fait, lui dit le duc, conviens qu’il t’est arrivé plus de vingt fois de faire ruiner des malheureux, rien que pour servir en ce sens-là les goûts pervers dont tu conviens ici. — Plus de vingt fois ? dit Durcet, plus de deux cents, mon ami et je pourrais, sans exagération, citer plus de quatre cents familles réduites aujourd’hui à l’aumône et qui n’y sont que par moi. — En as-tu profité, au moins ? dit Curval. — Presque toujours, mais souvent aussi je ne l’ai fait que par cette certaine méchanceté qui presque toujours réveille en moi les organes de la lubricité. Je bande à faire le mal, je trouve au mal un attrait assez piquant pour réveiller en moi toutes les sensations du plaisir et je m’y livre pour lui seul, et sans autre intérêt que lui seul. — Il n’y a rien que je conçoive comme ce goût-là, dit Curval. J’ai cent fois donné ma voix, quand j’étais au Parlement, pour faire pendre des malheureux que je savais bien être innocents, et je ne me suis jamais livré à cette petite injustice-là sans éprouver au-dedans de moi-même un chatouillement voluptueux où les organes du plaisir de la couille se seraient enflammés bien vite. Jugez ce que j’ai ressenti quand j’ai fait pis. — Il est certain, dit le duc, qui commençait à s’échauffer la cervelle en maniant Zéphire, que le crime a suffisamment de charme pour enflammer lui seul tous les sens, sans qu’on soit obligé d’avoir recours à aucun autre expédient, et personne ne conçoit comme moi que les forfaits, même les plus éloignés de ceux du libertinage, puissent faire bander comme ceux qui lui appartiennent. Moi qui vous parle, j’ai bandé à voler, à assassiner, à incendier, et je suis parfaitement sûr que ce n’est pas l’objet du libertinage qui nous anime, mais l’idée du mal ; qu’en conséquence, c’est pour le mal seul qu’on bande et non pas pour l’objet, en telle sorte que si cet objet était dénué de la possibilité de nous faire faire le mal nous ne banderions plus pour lui. — Rien de plus certain, dit l’évêque, et de là naît la certitude du plus grand plaisir à la chose la plus infâme et le système dont on ne doit point s’écarter, qui est que plus l’on voudra faire naître le plaisir dans le crime et plus il faudra que le crime soit affreux. Et pour moi, messieurs, ajouta-t-il, s’il m’est permis de me citer, je vous avoue que je suis au point de ne plus ressentir cette sensation dont vous parlez, de ne la plus éprouver, dis-je, pour les petits crimes, et si celui que je commets ne réunit pas autant de noirceur, autant d’atrocité, autant de fourberie et de trahison qu’il est possible, la sensation ne naît plus. — Bon, dit Durcet, est-il possible de commettre des crimes comme on les conçoit et comme vous le dites là ? Pour moi, j’avoue que mon imagination a toujours été sur cela au-delà de mes moyens ; j’ai toujours mille fois plus conçu que je n’ai fait et je me suis toujours plaint de la nature qui, en me donnant le désir de l’outrager, m’en ôtait toujours les moyens. — Il n’y a que deux ou trois crimes à faire dans le monde, dit Curval, et, ceux-là faits, tout est dit ; le reste est inférieur et l’on ne sent plus rien. Combien de fois, sacredieu, n’ai-je pas désiré qu’on pût attaquer le soleil, en priver l’univers, ou s’en servir pour embraser le monde ? Ce serait des crimes cela, et non pas les petits écarts où nous nous livrons, qui se bornent à métamorphoser au bout de l’an une douzaine de créatures en mottes de terre. Et sur cela, comme les têtes s’allumaient, que deux ou trois jeunes filles s’en étaient déjà ressenties et que les vits commençaient à dresser, on sortit de table pour aller verser dans de jolies bouches les flots de cette liqueur dont les picotements trop aigus faisaient proférer tant d’horreurs. On s’en tint ce soir-là aux plaisirs de la bouche, mais on inventa cent façons de les varier, et quand on s’en fut bien rassasié, on fut essayer de trouver dans quelques heures de repos des forces nécessaires à recommencer.