Les Œuvres de Mesdames Des Roches/Madeleine des Roches/Ode 1

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LES ŒVVRES DE M. DES
ROCHES DE POETIERS.

Ode 1.



SI mes eſcris n’ont gravé ſur la face
Le ſacré nom de l’immortalité,
Ie ne l’ay quis non plus que merité,
Si ie ne l’ay de faueur ou de grace.

Ie ne deſcry Neptune en ſa tourmente
Ie ne prins pas Iupiter irrité,
Le vaſe ouuert, la fuite d’equité,
Dont noſtre terre à bon droict ſe lamente,

L’enfant venu de Porus & Pœnie,
Qu’on dit bruſler le plus froid des glaçons,
Se plaiſt d’ouyr les ſuperbes chanſons.
Et ie me play d’vne baſſe armonie,

Mais qui pourroit, chargé de tant de peine,
L’eſprit geenné de cent mille malheurs,
Voire Apollon réuérer les neuf Seurs,
Et dignement puiſer en leur fontaine.

Le Ciel a bien infuz dedans noſtre Ame
Les petis feux principes de vertu :
Mais le chaud eſt par le froid combatu
Si vn beau bois n’alimente la flame.


Nature veut la lettre & l’exercice
Pour faire voir vn chef-d’œuure parfaict :
Elle bien ſage en toutes choſes, faict :
Ses premiers traits limer à l’artifice.

Noz parens ont de loüables couſtumes,
Pour nous tollir l’vſage de raiſon,
De nous tenir cloſes dans la maiſon
Et nous donner le fuzeau pour la plume.

Traſſant noz pas ſelon la deſtinee,
On nous promet liberté & plaiſir :
Et nous payons l’obſtiné desplaiſir,
Portant le dot ſous les loix d’Hymenee.

Bien toſt apres ſuruient vne miſere,
Qui naiſt en nous d’vn deſir mutuel,
Accompagné d’vn ſoing continuel,
Qui ſuit touſiours l’entraille de la mere,

Il faut ſoudain que nous changions l’office
Qui nous pouuoit quelque peu façonner,
Où les marys ne nous feront ſonner
Que l’obeir, le ſoing, & l’auarice.

Quelcun d’entr’eux, ayant fermé la porte
A la vertu, nourice du ſçauoir,
En nous voyant craint de la receuoir
Pource qu’ell’ porte habit de noſtre ſorte.


L’autre reçoit l’eſprit de ialouſie,
Qui poſſeſſeur d’vne chaſte beauté :
Au nid d’Amour loge la cruauté,
En bourellant ſa propre fantaſie.

Pyrrha choiſiſt vne claire ſemence
Pour repeupler le terreſtre manoir,
Et Deücal ſema le caillou noir,
Dont le Ciel meſme a faict experience.

Mon Dieu, mon Dieu combien de tolerance,
Que ie ne veux icy ramenteuoir !
Il me ſuffit aux hommes faire voir
Combien leurs loix nous font de violence.

Les plus beaux iours de noz vertes annees,
Semblent les fleurs d’un printems gracieux,
Preſſé d’orage, & de vent pluuieux,
Qui vont borner les courſes terminees.

Au temps heureux de ma ſaiſon paſſee,
I’auoy bien l’aile vnie à mon coſté :
Mais en perdant ma ieune liberté,
Auant le vol ma plume fut caſſee.

Ie voudroy bien m’areſter ſur le liure,
Et au papier mes peines ſouſpirer.
Mais quelque ſoing m’en viẽt touſiours tirer,
Diſant qu’il faut ma profeſſion ſuiure.


L’Agrigentin du ſang de Steſichore
A dignement honoré le ſçauoir,
Qui enuers nous feit ſemblable deuoir,
Pareil miracle on reuerroit encore.

Dames, faiſons ainſi que l’Amarante
Qui par l’hyuer ne pert ſa belle fleur :
L’eſprit imbu de diuine liqueur
Rend par labeur ſa force plus luiſante.

Pour ſupporter les maux de noſtre vie,
Dieu nous feit part de l’intellect puiſsãt
Pour le reduire à l’intellect agent
Maugré la mort, la fortune, & l’envie.