Les Œuvres de Mesdames Des Roches/Au Roy

AV ROY


SIre durant l’effort de la guerre ciuille,
Ie plaignois le malheur de notre pauure ville.
I’eſleuois iuſque au ciel ma parole & mes yeux,
Ayant le cueur espoint d’vn ennuy ſoucieux
Mais, helas ! cependant que ma triſte penſee,
De tant de maux publics griefuement offencee,
Alloit ſur les autels, i’apperceu deux maiſons
Que i’auois au faubourg, n’eſtre plus que tiſons,
Et ſi ce n’euſt eſté que la perte commune,
M’eſtoit cent mille fois plus aſpre & importune :
A peine euſſe ie pu m’apaiſer promptement,
Voyant mon peu de bien ſe perdre en vn moment.
Ces maiſons popuoient bien valoir deux mille liures,
Plus que ne m’ont valu ma plume n’y mes liures,
Qui ſeront inutil ; ſ’ils n’ont ceſte faueur,
Que voſtre majeſté eſtime leur labeur.
Depuis i’ay entendu que votre main Royalle,
A ceux qui ont perdu, ſe monſtre liberalle :
Et que voſtre bonté les veut recompenſer :
Voila l’occaſion qui m’a fait avancer,
Sire pour vous offrir ma tres humble requeſte,
Priant le Seigneur Dieu vous couronner la teſte
De l’heur de Salomon, comme de ces vertus
De voir vos ennemis à vos pieds abbatus,
D’acomplir vn tres beau & tres long cours de vie,
Sans auoir de mourir n’y crainte, n’y enuie :
D’establir pour iamais ce regne ferme & ſeur,
Et d’y laiſſer de vous un digne ſucceſſeur.

O de mon bien futur le frelle fondement !
O mes deſirs ſemez en la deſerte Arene !
O que i’esprouue bien mon eſperance vaine !
O combien mon trauail reçoit d’acroiſement !
O douloureux regrets ! ô triste penſement
Qui auez mes deux yeux conuertis en fontaine !
O trop ſoudain depart ! ô cause de la peine
Qui me fait lamenter inconſolablement !
O perte ſans retour du fruit de mon attente !
O Eſpoux tant aimé, qui me rendois contente !
Que ta perte me donne un furieux remort !
Las ! puis que ie ne puis demeurer veufue & viue,
I’impetre du grand Dieu que bien toſt ie te ſuiue
Finiſſant mes ennuis par vne douce Mort.

O miſerable estat où ie me voy poſee !
Dont i’ay touſiours au cueur vn amer ſonuenir :
Qui me fait le cerueau fontaine deuenir,
Dont l’humeur par les yeux n’eſt iamais eſpuiſee.
Si le ſens quelque fois ma peine repoſee,
C’eſt vn preſage ſeur du malheur aduenir :
Et le menteur espoir, n’a pu entretenir,
La promeſſe qui m’a longuement abuſee.
Ainſi donc le printemps & l’eſté de mon aage,
Dont l’Automne cruel deſpouille le feuillage,
Sans fruit & ſans plaiſir ſe paſſe vainement :
Les triſteſſes, qui ſont dedans mon ame encloſes
Ayant formé de moy mille Metamorphoſes,
N’ont pourtant transformé mon extreme tourment.


Ce monſtre a cent pourtraicts porté de l’eſperance
Subiect & argument de nos triſtes Martels :
Se voyant comme vn Dieu leué ſur les Autels,
Et que l’opinion triomphoit de ſcience :
Quita de la Caos l’Antique demeurance,
Voulant encore vn coup la guerre aux immortels,
Quand vn nouueau Demon, du genre des mortels,
Par le vouloir diuin vainquit ſa violence.
Ia des ſept gouverneurs le pouuoir eſtonné,
Demandoit à Themis, ſ’il eſtoit deſtiné :
Qu’un mortel ruaſt ius ceſte grande Chimere
Lors que du Iouuenceau le courage inuaincu,
Prenant encre & papier pour glaiue & pour eſcu
Aſſura la Caos, la terre & la lumiere.

Iuge qui reduiſez en leur perfection,
Les droits Auſonien, de Hellas & de Sparte,
Qui au mers de proces eſtes l’encre & la carte !
Pour guider ſeurement la nauigation,
Iuge qui ſans faueur, enuie ou paſſion
Faites que le droit ſaintement ſe departe :
Premier que mon prier de deuant vous ſe parte,
Oyez au nom de Dieu ma ſupplication.
Treze ans font ia paſſez que cherchans la iuſtice,
Nous auons voyagé, plus que ne feit Vliſſe,
Pour trouuer un arreſt, qui nous puſt arreſter :
Nos arrets nous ont mu au deſtroit de Sicile,
Tirez de Caribdis nous retombons en Scylle.
Soyez nous ſ’il vous plaiſt Palas & Iupiter.

Triſte penſer, qui me rends taciturne,
Que dans mon ſein tu gliſſas promptement !
Quand un procez couſu à clous d’aimant
Me feit changer Apolon pour Saturne.
Depuis ce iour, le ciel & la fortune,
L’air & la terre & tout autre Element
Ont coniuré l’incroyable tourment,
Dont toy mon cueur, ſens la peine commune.
Mon dieu faut-il, que ta belle ieuneſſe,
Et ta douceur, du malheur qui me preſſe
Indignement ſente le dur effect ?
Ainſi Cadmus feit au ſerpent l’outrage,
Et vne voix menace le lignage.
Pour le peché que l’Ayeul auoit faict.

Si quelque fois ta gentille ieuneſſe,
Par ſes diſcours naiſuement bien faits,
A ſoulagé le miſerable faix
Qui abortif auança ma vieilleſſe.
Le rhume froid, qui maintenant te bleſſe
M’en fait payer l’uſure à ſi grand fraicts,
Que ie ne ſçay (pauure moy) que ie fais :
Tant ie reſens ta peine & ma triſteſſe !
Dea mon doux ſoin reprends vn peu ta force,
Ayes pitié de ceſte frelle eſcorçe.
Ie te ſuply par ta chaſte beauté,
Par ta douceur, par l’amour maternelle,
Par le doux ſuc tiré de la mamelle,
Et par les flancs qui neuf mois, t’ont porté.