Les Œuvres de Mesdames Des Roches/Madeleine des Roches/Epitaphe de feu monsieur le Comte de Brissac

Épitaphe de feu monſieur le Comte de Briſſac.


Ô France que tu es es perdue & dolente !
Ô tragiques regrets, ô peine violente !
Il faut ores, il faut pleurer amerement,
Il nous faut lamenter inconſolablement.
Nous perdons au befſin cette viue lumiere
Dont la clarte merite vne Illiade entiere.
Las faut il que la mort triomphe à cette fois
D’amour, de pieté, de proueſſe, & de foy !
Lacheſis luy filoit vne ſi belle vie,
Que ſa cruelle ſœur luy a porté enuie
Fauchant en ſa verdeur cet illuſtre ſeigneur,
Qui eſtoit des François l’honneur, & le bonheur,
La Palme, le Laurier, le triomphe, & la gloire,
Que les ſiecles voirront ſacrez à la memoire.

Ô Dieu qui ſouſtiendra d’vne pareille main
Les trois diuines fleurs & le ſiege Romain,
Qui reduira en paix la rebelle contree,
Qui nous r’apellera la ſaincte vierge Aſtree,
Qui rendra au pays la douce liberté,
Ô gracieux ſeiour d’honneur, & de bonté,
De prudence, valeur, ſageſſe, & courtoiſie,
Ores tu as au Ciel ta demeure choiſie,
La France auoit en toy l’eſpoir de ſon repos.
Mais las venue de toy ell’eſt en vn Cahos :
Nous ne regrettons pas que l’ame bien heuree
Ioüiſſe du repos d’eternelle duree :
Nous plaignons ſeulement noſtre condition,
Ne voyant plus icy ta grand perfection,
Le ſoldat ne voit plus cette main liberale,
Main qui eſtoit l’appuy de la grandeur Royale,
Il n’oit plus ta hardie & gaillarde façon,
Ny de ta claire voix l’inimitable ſon,
Voix, dont on ne pourroit raconter la loüange :
Ce n’eſtoit pas la voix d’vn homme, mais d’vn Anges
Ô que tu as laiſſé noſtre camp languiſſant,
Ô combien par ta mort le mutin eſt puiſſant !
La ioye de ſon cœur par ſignes deſcouuerte
Nous faict voir & ſentir l’ineſtimable perte
De ta grande valeur : las faut-il qu’vn pandard,
Vn profane poltron, vn indigne ſoudard,
Ait bleſſé ton beau chef d’vne playe mortelle
Arroſant de ton ſang le dur ſein de Cybelle !
Ah petit Muſſidan ingrat, traiſtre, & mutin,

Qui du ſecond Marcel arreſtas le deſtin,
Dordonne ſoit par toy à iamais diffamee,
Et de toy grand Briſſac viue la renommee.
Ie ſçay que ta vertu alluma le flambeau
Qui ne craint le faucheur Lethes, ny le tombeau,
À Lyon dés ſeize ans tu ſeis voir ta vaillance,
Ô vaillant Scipion l’espoir de noſtre France :
Vn enuieux Dœmon, Dœmon plain de mal-heur
A touſiours pourſuiuis les hommes de valeur,
Il pouſſa le grand Roy dans la fatalle ville,
Il ſe montra hideux au Prince de Sicille,
Le petit Oplites a veu Lyſandre mort,
Pyrrhus dedans Argos eſprouua meſme fort :
Par ce meſme Dœmon Brutus perdit la vie
Ce Dœmon qui fut fils de despit & d’enuie,
Entendit ton beau nom en Hongrie vanter,
En Itale & à Malthe il ouyt raconter,
Ta proëſſe incroyable, & puis veit la Caderue
Que tu feis de ta main ſur cette gent proterue :
Combien dedans Paris te montras tu vaillant
Aſſailly du mutin, ou bien en l’aſſaillant ?
Cholons connoiſt aſſez, Vallery à faict preuue
Comme en un corps menu la forte ame ſe treuue,
Toy ſeul de trois fleaux as l’ennemy batu
Par le ſage conſeil, fortune & la vertu :
Confoulant, Perigueux, Iazeueuil, & les Anſes
Connoiſſent de Briſſac les grandes excellences,
La Mothe, & Chaſteau-neuf : ton bras victorieux
Rempliſt d’ombres ſans corps le grand bord Stygieux,

Qui craignans de Minos le iugement ſupreme
Ont appellé Typhœe, Anthee, & Polypheme,
Diſant nous auons bien oſté le ſceptre aux Rois,
Abrogez leurs edicts, leurs polices, & lois,
Allons prendre les Cieux, noz forces bien vnies
Pourront en raporter des gloires infinies :
Si la terre ha en ſoy maints animaux diuers,
Les Cieux en ſont trop plus parez, pleins & couuers.
Le Ciel montre en ce lieu vne claire ouuerture
Par où l’eſprit ſe range à la vie future,
Quand il doit prendre un corps du plus bas element
Ou receuoir au Ciel ſon dernier iugement.
Ia deſia ces mutins vouloient venir aux priſes
Lors que l’Ange Michel connut leurs entrepriſes.
Michel (ô grand Briſſac) te voit tenir le lieu,
D’vn Iudas Machabee entre le peuple Hebrieu,
Il ſcauoit bien que Dieu par ſa diuine grace,
(Ô Comte ſans pareil) te gardoit une place
Entre les bien-heureux & plus dignes eſprits,
Que le ſainct Ange guide au celeſte pourpris :
Les ſiecles ſont preſens, les temps & les annees,
Les ſaiſons, & les mois, iours, heures, deſtinees,
Dans l’eſprit de Michel : il voit qu’il eſt ſaiſon
Que tu laiſſes du corps la gentille priſon,
Que Dieu redemandoit ton ame tant exquiſe
Et les ſept Gouuerneurs la luy auoient requiſe :
Tu portas en mourant Trophees infinis
Comme eſtant des Guerriers la perle & le Phenis,
Paſſant de l’Acheron la ſource violente.

Tu viſitas Minos, Æaque, & Radamenthe,
Puis ayant ſur le front la merque de l’Aigneau,
Suiuois le trac batu du bien-heureux troupeau,
Lors que les gais eſprits du beau champ Eliſee,
Voyant monter au Ciel vne ame tant priſee
Afferment n’auoir veu en terre ton pareil
Et ſi ont viſité l’un & l’autre ſoleil.
Voicy Dece, Cocles, Camille, les Sceuoles
Qui deſirent te voir, mais ſoudain tu t’en voles
Au cloiſtre ſupernel, trauerſant le ſeiour
Du diſert fils de Maye & du pere du tour.
Quand le grand Roy Henry te veit au ſainct repaire
Il apella ſoudain le Mareſchal ton pere :
Ie croy, dit-il (Briſſac) que vous n’ignorez pas
De l’Achille François le bien-heureux trespas,
Il eſt mort ieune d’ans : mais quoy ? ſa renommee
A bien plus d’une Leuctre ou d’une Mantinee
À peine ſon beau teint ſornoit de la Toiſon
Qui renomme Cholcos en l’honneur de Iaſon,
Qu’il eut de cent Lauriers la teſte enuironnee
Et de Meurthe cent fois dignement couronnee.
Lors ton pere voyant ſon cher & doux ſouci
Serena ſes beaux yeux le frond, & le ſourcil
Diſant, ô mon enfant, ô bonne nourriture,
Mon travail, mon deſir, ma gracieuſe cure !
Ô mon fils bien aymé le ſeigneur a permis
Que nous vaincrons par toy noz plus grands ennemis
Tu eſtois Couronnel ſur les bandes Françoiſes
Qui ont plante le lys aux terres Piedmontoiſes

Mainte lance branloit ſous ton beau Regiment,
Et le cueur des François à ton commandement :
Mais tu es maintenant ſur le beau mont d’Arete
Pour perdre les neueux du viel monſtre de Crete,
Pouſſe les dans la barque au viel Nocher Charon,
Qu’ils paſſent ſans retour la riue d’Acheron,
Courage mon enfant ton ame genereuſe,
N’a iamais entrepris choſe plus glorieuſe :
Voy tu le grand Henry l’amour du genre humain,
Le bon Roy de Nauarre, & le Prince Lorrain :
Eſleuant ton beau chef tu rompis ton ſilence
Puis adorant des trois l’unité de puiſſance
Tu feis ton oraiſon, en diſant (ô Seigneur)
Qui de grace m’as faict digne de tant d’honneur,
Que de me donner part de ce bel heritage,
Et auoir pres de toy aſſigné mon partage,
Ie ſcay, Verbe diuin, que tu as par ta mort
Abatu le peché, le ſerpent, & la mort.
Ô Seigneur tout-puiſſant tu m’as tiré du monde
Où l’homme n’eſt ſinon l’onde qui pouſſe l’onde,
Vn ombre, vn ſonge vain Simulacre qui fuit
Ainſi que Bootes quand le ſoleil reluit :
À toy ſoit gloire, loz, & graces infinies,
Dieu vous tienne en ſa garde, ô ſainctes compaignies :
Et vous mon pere cher, oyez ma ieune voix,
Dieu donna aux François la race des Valois,
Qui de France ont chaſſé l’ignorance barbare
Et le vice plongé au gouffre du Tartare :
Vous auez quatre Rois de ce Tige ſeruis,

Et i’ay voz beaux ſentiers heureuſement ſuiuis,
Seruant Charles mon Roy, ſainct hõneur de la France,
À qui i’auoy voüé mon cueur dés mon enfance,
Et le regret qui tient mon esprit tranſporté,
Ceſt que ie n’ay laiſſé la France en liberté.
Ô grand Roy, dont le nom ne ſuit la morte cendre,
Roy ! qui as mis au Ciel la viue Salemandre :
Et toy qui as laiſſé ton ſceptre fleuriſſant
Mets, Bouloigne, & Calais honorent ton croiſſant,
Et vous François ſecond, le Ciel vous eſt proſpere,
Mon Duc qui eſt des trois le neneu, fils, & frere ;
A de ſon ieune bras combatu le mutin,
Qui faiſoit de la France vn publique butin :
Ia de ceſt Achelois la force il a rompue,
Que de l’Hydre bien toſt ſoit la force abatue,
Par ceſt excellent Duc, magnanime & courtois,
Vn Aſtre bien heureux puiſſe garder les trois.
Tu faiſois à noz Roys ce veritable compte,
(Ô Compte de qui ſeul on doit faire grand conte)
Lors que les ombres noirs connoiſſant la ſplendeur,
Qu’auoit infuſe en toy la diuine grandeur,
Se ſont precipitez dedans la riue noire :
Et par ton ſeul regard le Ciel eut la victoire
Ton ame ores iouyt de la Diuinité,
Et ton beau nom ſe voue à l’immortalité :
La France, qui pour toy de pleurer n’eſt pas laſſe,
A mis ton ieune corps dans une claire Chaſſe,
Où la ſaincte vertu & le docte trouppeau,
Qui chante ſes beaux vers ſur le double coupeau.

Honorent à l’enuy ta belle ſepulture
Regrettant des François la piteuſe auanture.
Ô Muſes decorez ce braue monument
L’art vous pourra manquer pluſtoſt que l’argument :
Ô grand Timoleon ainſi la Poeſie
Euſt pour te celebrer une femme choiſie,
Et que le Delien euſt bien receu mes vœus,
Ie ſerois la merueille à noz futurs neueus,
Et toy, dont les valeurs meritent plus d’vn liure,
Pourrois de ſiecle en ſiecle eternellement viure.