Les Œuvres de Mesdames Des Roches/Catherine des Roches/Tobie

UN ACTE DE LA
TRAGICOMEDIE DE TOBIE,
ov sont representees
les Amours & les Noces du Ieune Tobie
& de Sarra Fille de Raguel.

A MA MERE.


MA Mere, ſi je penſois qu’il fuſt neceſſaire de compoſer vn Argument ſur les diuerſes aduentures de l’vn et de l’autre Tobie, ie dirois comment la pieté du bon homme luy fit abandonner la table où il banquetoit auec ſes Amis, pour aller enſeuelir vn mort, & comme ne voulant pas rentrer au Feſtin auec ceſte polutiõ d’auoir touché vn corps priué de ſon ame, il ſe retira en vn lieu ſecret de la maiſon, auquel ſe laiſſant doucemẽt vaincre à la force du ſomme, cet ingrat oyſeau que Pitagore desfend de loger, rẽdit la plus noble partie de ſon viſage manque de l’office coutumier, luy perdant la veüe par la ſaleté de ſon excrement : ie dirois comment Tobie aueugle, auoit l’ame eſcleree d’vne ſplendeur diuine, qui luy faiſoit enuoier infinité de plaĩtes iuſques au Ciel : Et cõme en ce meſmes temps la belle & vertueuſe Sarra eſtoit miſerablement affligee en la maiſon de ſon pere, pour la cruauté déteſtable de l’eſprit malin Aſmodée, qui faiſoit treſpaſſer aupres delle ſes maris dès le ſoir de leurs Noces : De ſorte qu’en ayant eu iuſques au nombre de ſept il n’en reſtoit pas un viuãt : ie dirois comment la triſte dame ſe voiant innocemment coupable de tant de morts, fit voller par le vuide de l’air ſes piteuſes querelles, leſquelles rẽcõtrerent celles de Tobie & toutes enſemble ſen allerent crier merci deuãt le Troſne de Dieu, de qui la bonté immenſe voulant ſecourir ces deux affligez par le moyẽ de la perſonne qui leur ſeroit la plus chere en ce mõde, enuoya l’Ange Raphaël ſouz l’acouſtrement & le nõ d’Azarie, pour cõduire le ieune Tobie en la cité de Rages, ou ſon pere luy cõmandoit d’aller demãder quelque ſomme d’argent qui luy eſtoit du. Ie dirois auſſi comment le Fleuue Tigris fit ſortir ſur la riue vn poiſſon de grandeur & forme eſpouventable, qui effroya Tobie de telle ſorte, qu’il euſt promptement fuy, ſans l’aſſurance que luy dõna le fidelle Azarie, diſant que ce poiſſon eſtoit, l’heureuſe medecine de ſes douleurs : Mais ſi ie voulois continuer le lõg diſcours, ma mere, i’ofencerois le lecteur preſſupoſant qu’il ne luy ſouvient plus de ceſte histoire, veu quelle eſt inſerée dedans la ſainte Bible, ie me ferois tort encore me trompant en l’opinion de moy meſmes, ſi ie penſois ſçavoir ce que les autres ignorent : il ne me ſeroit pas ſeant nomplus de faire vn argument sur toute la Tragicomedie dont ie n’ay diſpoſé en vers qu’vn acte ſeulement : ie pourrois ennuyer auſſi l’Ange & Tobie qui ſ’apreſtent de faire voir la conſtance d’un viel homme & d’vne ieune Dame que vous receurez s’il vous plaiſst ma mere, comme vn veritable miroer pour bien repreſenter la voſtre.

LA TRAGICOMEDIE
DE TOBIE.


Scène première

Tobie. Azarie.


Dites moy, ſ’il vous plaiſt ô mõ frère Azarie,
Quels remedes voici, dites moy ie vous prie
Dequoy peuuent guerir & le foye & le cœur,
Et le fiel du poiſſon qui m’a fait ſi grand peur ?

Azarie

Le cœur eſtant brulé dans une ardente braiſe,
Si le Diable tient homme ou femme en malaiſe,
Il ſ’enfuira bien toſt pour ne pouuoir ſoufrir
Ceſte eſpaiſſe fumee, & ſ’il pouuoit mourir
Il mourroit promptement. Quant à l’autre remede
Tu verras que le fiel eſt vn ſingulier aide

Pour recouvrir la vüe & neſtoier les yeux
Eſlevant leur clarté vers la clarté des cieux.

Tobie.

Mon frere mon amy, ſi vous me voulez croire
Parauant que la nuict tende ſa robe noire
Deſſus noſtre Oriſon, nous en irons loger,
Et du travail receu quelque peu ſoulager.

Azarie.

Allons i’en ſuis content, ie reconnois un homme
Iſſu de tes parens, qui Ragüel ſe nomme
Demeurant icy pres, il eſt riche de bien,
D’argent, terres, troupeaux, mais tout cela n’eſt rien
Au pris du beau threſor de ſa grande famille :
C’est d’vne belle, chaſte, & gracieuſe fille,
Vnique de ſon pere & de ſa mere auſſi :
Elle eſt de chaſcun d’eux l’agreable ſouci
Et ſera d’un mary bientoſt accompaignee,
Car ils n’ont autre eſpoir de future lignee
Qu’en elle ſeulement, il te la faut donner,
Tu la pourras d’icy auec toy emmener
Demande la au pere ? Il te prendra en grace,
Connoiſſant que tu es yſſu de meſme race,
Connoiſſant que tu es honneſte & vertueux,
Il te la donnera & ſ’en tiendra heureux.

Tobie.

Ie le voudrois fort bien, mais i’ay entendu dire
Qu’elle a eu ſept maris que l’on a veu occire
Des la premiere nuict qu’ils eſtoient retirez,
Avec elle en ſa chambre, & ſi ſont martirez
Par la force du Diable : Or moy i’ayme ma vie

Et ne veux point ſi toſt qu’elle me ſoit ravie.
Les hommes ont ſouvent des femmes deux ou trois,
Mais la vie iamais ils ne l’ont qu’vne fois :
Ie suis unique fils & de pere & de mere
Qui ſentiroient Helas la vie plus amere
Que moy meſmes la mort : ie ne veux point mourir.

Azarie.

Encontre ce danger ie te veux ſecourir,
Tobie aſſure toy que ces mal-heureux Diables
Ne ſe prendront iamais à toy ny tes ſemblables :
Ils ſe prendront touſiours à l’homme deſhonté :
Moque Dieu, fauce foy, lequel n’eſt ſurmonté
Sinon du fol deſir de ſa concupicence,
Fol deſir de Caual de qui l’ame ne penſe
Qu’à trouver le moyen de chaſſer Dieu dehors :
Tels hommes ſont ils pas dignes de mille mors ?

Tobie.

Ouy en verité : mais que faudroit-il faire
Pour fuir les éfors de ce traiſtre adverſaire ?
Les Diables ſont meſchans.

Azarie.

Ah ne les crainds jamais,
Dieu te defendra mieux, ami, je te promets,
Eſcoute ſeulement. Quand tu auras ta Femme
Monſtre toy plus aymant de la beauté de l’ame
Que de celle du corps ; demeure chaſtement
Auec elle trois nuicts priant deuotement
Sans iamais luy toucher, & fais bruler le foye
Du poiſſon que Tigris fit ſortir en la voye

Pour aleger tes maux : le Diable ſ’enfuira,
Abhorrant ceſte odeur que lors il ſentira.
Des la ſeconde nuict tu ſeras mis aux roolles
Des Patriarches ſaincts, dont les ſages parolles
Sont pour loix entre nous ; & la troisieſme nuict
Afin que de bon arbre il vienne de bon fruict
Le Seigneur benira ton affection ſainte :
En approchant Sarra ayez de Dieu la crainte,
Deſire que ce ſoit pour auoir des enfans
Qui ſervent au Seigneur des leurs plus ieunes ans,
Et non pour accomplir un vouloir deshonneſte ;
La benediction qui couronna la teſte
Du ſainct pere Abraham ſ’eſtendra ſur les tiens ;
Garde tous mes propos amy & t’en ſouuiens.


Scène deuxiesme

Tobie, Azarie, le chœur des femmes.
Tobie.


JE retiens vos propos comme graves ſentences,
Dieu vous vueille donner les dignes recompences
De voz rares vertus : quand ie me donnerois
A vous pour vous ſeruir, ie ne satiſferois
À ce que ie vous dois.

Azarie.

Tu connoiſtras mon frere
Que ie feray pour toy, trop plus que tu n’eſpere.

Tobie.

Ie reçoy plus de biens que ie n’ay merité.

Azarie.

Nous ſommes arriuez iuſque dans la cité,
Tobie ſalüons ceſte trouppe de femmes :
Dieu vous doint le bonſoir mes gracieuſes dames,
Laquelle d’entre vous maintenant nous dira
Ou ſe tient Raguel ?

Chœur.

On vous y conduira,
(Seigneurs) ſ’il eſt beſoin : mais ſans prendre la peine
D’en empeſcher aucun, ceſte rue vous meine
Tout deuant ſon logis ; vous reconnoiſtrez bien
Que celuy qui le tient a beaucoup de moien :
C’eſt un Pallais hautain duquel la braue audace,
Monſtre de commander tous autres de la place.

Azarie.

Mes dames grand merci, je penſe que ie voy
Raguel la deuant. Tobie approche toy,
Voir ſ’il te connoiſtra.

Raguel.

Ie reconnois cet homme,
Mais je ne ſçay pourtant de quel nom il ſe nomme :
Vraiment tout auſſi toſt que ie l’ay entreueu,
Ie penſois que ce fut Tobie mon Neueu.
Dieu vous gard mes Amis dites moy d’ou vous eſtes ?
Vos aimables regards, & vos graces honneſtes
Font naiſtre dans mon cœur un gracieux deſir,
De vous aimer touſiours & vous faire plaiſir.

Tobie.

Dieu vous tienne en ſa garde & voſtre compaignee,
Monſieur nous ſommes nez de la haute lignee
Des enfans d’Iſraël, auſquels le ſouuerain
Abaiſſant ſa grandeur toucha de main à main
Quand il changea ſon nom : Nous auons pris naiſſance
Des fils de Nephtali, doux fleuue deſloquence :
Noſtre peuple vainquit de braues nations,
Ores nous eſprouvons maintes ſubietions :
Telle varieté gouuerne toute choſe
Fors le cueur de celuy qui en Dieu ſe repoſe,
Pour n’auoir obſerué les ſaincts commandemens
Nous méritons d’auoir les iuſtes chaſtimens.
Le Roy Sennacherib brulant en ſon courage
De haine, de couroux, de fureur, & de rage,
Commanda maſſacrer le pauure peuple Hebrieu :
Mon pere demy mort fuiant ce triſte lieu
Trouua vn ſien amy du pays d’Aſſirie,
Qui luy ſauua ſon fils & ſa femme & ſa vie :
Mais non pas tous ſes biens qui auoient eſté pris.
Depuis ce Roy cruel, de ſes enfans ſurpris
Fut maſſacré par eux, meſmes dedans un temple :
A quoy tous les tirans peuuent bien prendre exemple.
Mon pere en ce temps la ſortit hors de priſon
Et raporta ſes biens en ſa propre maiſon.

Raguel.

Amy, connoiſſez-vous mon bon frere Tobie ?
Si vous le connoiſſez dites moy ie vous prie
Quel eſt ſon portement, ſi le bon-heur le ſuit,
Comme lon voit qu’en luy toute vertu reluit.

Azarie.

Monſieur voilla ſon fils.

Raguel.

Donc tu es de ma race.
Aproche toy, pour Dieu, mon fils que ie t’embraſſe :
Ma femme venez toſt, Sarra venez auſſi.


Scène troisiesme

Anne femme de Raguel, Sarra leur fille, Raguel, Tobie.
Anne.


Qve vous plaiſt-il monſieur ?

Sarra.

Mon pere me voici.

Raguel.

Saluez ce ieune homme & me dites m’amie
Si vous le connoiſſez ? Que Sarra eſt rougie
En ſaprochant de luy ! par les émotions,
On peut iuger ſouuent de nos affections,
Pource qu’ils ſont iſſus de meſme parentage,
Vn inſtinct naturel luy eſpoint le courage :
Ma femme, ceſtui-cy eſt le fils bien aimé
De mon frere Tobie, & le plus eſtimé
Que l’on ait iamais veu en ſi grande jeuneſſe.

Anne.

Ha, Neueu mon amy, ça que ie vous caresse
De mille embraſſemens, & bien que dites vous ?

Mon enfant contez-moy qui vous mainne entre nous,
Et que fait maintenant Tobie voſtre pere
L’honneur de nos parens, & que fait voſtre mere :
Ce n’eſt pas ſans propos que les auez laiſſez,
Et que vos pas ſe ſont deuers nous adreſſez.

Tobie.

Ie doy à mes parens entiere obeiſſance
Et leur obeiray de toute ma puiſſance,
Ie retiens en mon cueur les bons enſeignemens
Que m’a donnez mon pere & ſes commandemens :
C’eſt par ſa volonté que ie fais ce voyage.

Raguel.

Au moins raconte-nous quelle parole ſage
Il diſt te commandant de venir en ce lieu ?

Tobie.

Tous ſes propos eſtoient de la gloire de Dieu.

Raguel.

Ie m’en aſſure bien, dy les ie te ſuplie.

Tobie.

Mon pere eſtant preſſé de griefue maladie,
Me parla tout ainſi : mon fils eſcoute moy,
Recueille mes propos, graue les dedans toy,
Alors que le Seigneur aura repris mon ame,
Enſevely mon corps deſouz la froide lame.
Obeis à ta mere & comme humble ſervant
Honore l’a touſiours tant que ſeras viuant
Aimes la cherement iuſque à ſa derniere heure,
Puis quand noſtre grãd Dieu permetra qu’elle meure,
Ferme luy doucement la paupiere de l’œil,

Et la mets près de moy dans vn meſme cercueil.
Porte le nom de Dieu eſcrit en ta penſee,
Garde ſongneuſement qu’vn’erreur inſenſee
Ne te vienne ſaiſir pour te faire pecher,
Voulant de tes vertus le bonheur empeſcher.
Ne deſtourne tes yeux du pauvre miſerable,
A ſa neceſſité monſtre toy ſecourable.
Si tu as de grands biens, donne abondamment,
Ayans peu, donne peu, mais liberallement :
L’Omoſne paroiſtra devant le divin Troſne
De noſtre ſouverain qui commande l’Omoſne :
Il t’en ſçaura bon gré, il ne ſouffrira pas
Que ton ame chemine en Tenebres là bas.
Mon enfant garde toy d’vn adultaire infame,
Et n’acointe iamais vn’autre que ta femme :
Chaſſe l’orgueil de toy, car la preſumption
Entreſne ses ſubjets tous à perdition.
Qui t’aura fait plaisir, vueilles luy auſſi plaire :
Ne retiens le Loier du pauvre mercenaire :
Ne faſche ton prochain & ne fais envers luy,
Que ce que tu voudrois meſmes ſouffrir d’autruy,
Mange auecques le iuſte & monſtre que tu l’aimes,
Couvre ceux qui sont nuds de tes veſtemens meſmes :
Ne frequente iamais les hommes vicieux,
Suis le conſeil du ſage & honore le vieux.
Benis Dieu en tout temps & touſiours luy demande
Qu’il adreſſe ton cueur, où ſa loy te commande.
Tobie mon amy i’ay preté dix Talens
A Gabel qui demeure entre les medeens

En Rages la cité, i’ay ſa cedule au coffre,
Ie te la veus donner afin que tu luy offre
Pour r’avoir ceſt argent, qui nous faict grand beſoin.
Aſſure toy pourtant, ſi nous avons bon ſoin
De prier le Seigneur, qu’il ne ſera point chiche :
Sa liberalle main te fera bien toſt riche :
Va doncques, mon enfant, de Dieu ſois tu Beniſt ;
Voila tous les propos que mon pere me diſt.
De bonheur i’ay trouvé ce compagnon & frere
Qui m’a conduit icy, par ſon moyen i’eſpere
De recouvrer bien toſt cet argent qui m’est dû.

Raguel.

Ie croy bien qu’auſſi toſt qu’il te ſera rendu,
Tu auras grand deſir de contenter la vüe
Du bon homme ton pere ?

Tobie.

Helas ! ce mot me tüe :
Mon pere ne voit point la lumiere des cieux.

Raguel.

Comment, eſt-il priué de l’uſage des yeux ?

Tobie.

Ah ! mon Dieu ouy du tout.

Raguel.

O dommageable perte !
Si la vuë ne peut luy eſtre recouverte,
En vain donc le soleil eſlance ſes beaux rais
Sur les yeux de mon frere, he que je me deſplais
De ſon triſte malheur vn point me reconforte :
Si ſon corps eſt trop foible, il a une ame forte.

Ma femme vous pleurez & vous ma fille auſſi.
Chaſcun de nous prend part en ce nouveau ſouci.
Allez, retirez-vous, faites couurir la table ?
Traitons noſtre parent d’vne grace honorable,
Tobie mon Amy va donc te repoſer.

Tobie.

Vous pouuez bien de moy pour iamais diſpoſer.


Scène quatriesme

Tobie, Azarie.
Tobie.


Amy ſi vous ſçauiez, en quel point je me treuue
Pour les perfections de ceſte honneſte veufue,
Ie croy que vous auriez pitié de ma douleur :
Sa vertu, ſa beauté, ſa grace, & ſa valleur
Meritent bien vraiment que l’on ſoufre pour elle,
Ie ne m’eſtonne point en la voyant ſi belle
Si tant d’hommes ſe ſont haſardez à mourir
Deſirant de l’auoir.

Azarie.

Voudrois-tu bien courir
Une meſme fortune & qu’ore elle fuſt tienne ?

Tobie.

Non, car ſi ie mourois ell’ne ſeroit plus mienne,
Les morts ne prenent rien aux meubles des viuans :
Mais ie deſire bien de vivre pluſieurs ans
En repos auec elle, & quelle ſoit ma femme,
La moitié de mon cueur, la moitié de mon ame :
Ie luy obeiray, comme vn de mes ayeulx
Obeit à la ſienne, & je ne veux pas mieux

Que faiſoit Abraham : puis elle n’eſt moins ſage
Qu’eſtoit l’autre Sarra de meſme parentage.

Azarie.

Il en faudra parler.

Tobie.

He pour Dieu haſtez vous,
Mon frere ie vous prie !

Azarie.

Or bien repoſons nous.

Tobie.

Mais comment repoſer ? Il n’eſt en ma puiſſance,
Ie pense touſiours voir ſa douce contenance :
Son modeſte regard & ſon gracieux pleur
Sera touſiours graué au milieu de mon cueur :
Ie penſes quelquefois toucher ſa belle face,
Où bien il m’eſt aduis qu’encore elle m’embraſſe,
O que ieſtois heureux ſi cela euſt duré.

Azarie.

Pour te recompenſer du travail enduré
Dieu te la veut donner, c’eſt pour toy qu’elle eſt nee
Et tu auras alors la vertu fortunee.


Scène cinquiesme

Sarra, et la servante.
La servante.


IE hairay pour jamais lorgueil de ces maiſtraiſſes,
Qui ſouz ombre d’auoir la faueur des richeſſes,
Meſpriſent tout le monde, & ne penſent rien voir
Digne de leurs vertus & de leur grand pouvoir.

Sarra.

Sus ſus deſpechez vous de faire voſtre ouvrage,
On vous prend ſeulement pour faire le menage
Et non pour babiller & cauſer à chaſcun.

La servante.

Si vaut-il mieux uſer d’vn entretien commun
Que faire comme vous, qui ne parlez qu’au Diable.

Sarra.

Meſchante qui me tient que ie ne vous accable
De mille coups de poin ?

La servante.

He ! quoy ? Que ferez vous ?
Me voulez vous tuer comme voz ſept Eſpoux ?
Ah malheureuſe femme ! ah cruelle meurdriere !
Voulez vous donc tuer maris & chambriere ?
Iamais ne puiſſiez vous avoir aucuns enfans,
Qui contentent vos yeux en leurs plus ieunes ans,
Et dont le doux blandir de la voix Enfantine
Vous chatouille le cueur au font de la poitrine.

PRIERE DE SARRA.


LAS ſi j’ay offencé voſtre majeſté haute,
O Dieu de mes parens, pardonnez à ma faute :
Vous eſtes coutumier de recevoir touſiours
Les pauures affligez qui vers vous ont recours :
I’eſleue iuſqu’au Ciel mes yeux & ma penſee
Eſperant bien de voir ma priere exauſee :
Ayez doncques eſgard à mon entiere foy,
Deſliez moy Seigneur, Seigneur deſliez moy
Du reproche honteux qui bourelle ma vie,

Ou me l’oſtez du tout. Las ie n’eus onc enuie
D’acointer aucun homme. Vn ſi villain peché
N’a iamais mon Esprit ny mon corps entaché :
Vous le ſçauez, mon Dieu, que je suis chaſte & pure,
Que i’ay l’ame devote & le corps ſans ſouillure.
I’ay bien pris des maris, mais en me mariant
Ie craignois voſtre nom, l’honorant & priant :
Peut-eſtre que pour eux ie n’eſtois aſſez digne,
Ou peut-eſtre qu’auſſi voſtre bonté diuine
Me reſervoit pour autre, & que ceux-là n’eſtoient
Dignes de m’eſpouſer & ne me meritoient.
Seigneur, voſtre conseil n’eſt pas en la puiſſance
D’aucun homme mortel, ny en ſa connoiſſance :
Mais quiconque vous ayme & qui tient pour certain
Que vous eſtes de tous le grand Dieu ſouuerain,
Il penſe que ſa vie eſt par vous eſprouuée
Et la veut corriger, afin qu’ell’ ſoit trouvée
Plus digne de l’honneur, qu’il ſ’atend receuoir
En vous obeiſſant & faiſant ſon deuoir.
S’il eſt troublé d’ennuy, de douleur, & de peine,
Vostre douce bonté en repos le rameine :
Et ſ’il eſt corrompu par vn mauvais effect,
Vous demandant pardon ce pardon luy eſt faict ;
Car vous ne prenez point de plaiſir à nous nuire,
Mais vous faites ſur tous voſtre ſoleil reluire :
Apres que l’on a veu eſclerer & greller,
Vous calmez la tempeſte & r’aſſerenez l’air ;
Apres vn triſte pleur qui aroſe la face
Vous eſſuyez nos yeux, nous recevant à grace.

O grand Dieu d’Iſrael, les Siecles aduenir
Puiſſent voſtre Sainct nom devotement benir !


Scène sixiesme

Raguel, Sarra.
Raguel.


MA fille, qu’auez-vous ? Que vous eſtes penſive !
Quoy, vous pleurez touſiours ?

Sarra.

Las faut-il que ie viue
Endurant tant de morts, Mon pere, ſ’il vous plaiſt
Laiſſez-moy plaindre ſeule.

Raguel.

Et dites-moy que c’eſt,
Quel nouveau deſplaiſir vous eſpoint le courage :
Voulez vous conſommer voſtre fleurissant age
A lamenter ſans fin ?

Sarra.

Mon travail ſoucieux
Quand ie ne dirois mot paroiſtroit en mes yeux ;
On dit que le ſilence eſt vn diſcret meſſage,
Qui ſans rien prononcer ſe peut lire au viſage.

Raguel.

Bien ie vous laiſſe donc deuant noſtre parent,
Ie ne veus pas monstrer mon deuil tant apparent :
Mais la pauure Sarra comme elle eſt devenue !
Ores elle eſt sans epoux, ores elle eſt eſmue :
Ie vais trouver ſa mere & luy diray comment

Elle change couleur cent fois en vn moment.

Sarra seule.

Ha ! mon Dieu, que ie ſens vn’ aspre maladie
Qui par les yeux aymez de ce jeune Tobie
Se coulant dans les miens, m’empoiſonne le cueur.
De ſes gentils propos l’agreable douceur
A desrobé du tout ma liberté premiere,
Et mis en ſon pouvoir mon ame priſonniere.
Mais ie ne veus pourtant luy demander ſecours,
Craignant de voir finir ſa vie & mes amours.
Las i’ay eu ſept maris dont la forte allegreſſe
N’a peu forcer la mort, elle a eſté meſtraiſſe
De leur ieune printemps, & vn eſprit maudit
Les a l’vn apres l’autre eſtoufez dans mon lit.
O douleur, o regret, las que ma triſte vie
Eſt par divers malheurs inceſſamment ſuiuie :
Ie ne puis maintenant ma douleur ſecourir,
Priray-ie mon couſin qu’il ſ’en vienne mourir ?
Dois-ie bruler touſiours ſans deſcouurir ma flame ?
Dois-ie faire mourir celuy qui tient mon ame ?
Faut-il donc tant ſoufrir & ne le dire pas ?
Faut-il mener auſſi mon amy au treſpas ?
Ah mon Dieu, meurs pluſtoſt Sarra, que d’eſtre cauſe
De la mort de celuy ou ta vie eſt encloſe.


Scène septiesme

Raguel, Anne, Azarie, Tobie, Sarra.
Raguel.

Or voilà que i’ay ouy ma femme, & ie ne ſçay
Si c’eſt un nouveau mal dont elle fait eſſay :
Mais n’auez-vous point veu la façon debonnaire
De mon Neveu Tobie, en parlant de ſon pere ?

Anne.

Ouy, i’ay bien aperceu qu’il pleuroit tendrement.

Raguel.

Que l’on doit eſperer vn humain traitement
De ce jeune garçon ! or pleuſt à Dieu, m’amie
Que ma fille Sarra eut eſpouſé Tobie,
Qu’il fuſt avecque nous pour noſtre aide & ſecours,
Qu’il deust fermer nos yeuz à la fin de nos jours.

Anne.

Mon Dieu que dites-vous ! Ce ſeroit grand dommage
Que ceſt honneſte fils mouruſt en ſi ieune age :
Vous ſçavez bien (Monſieur) comment les ſept maris
De la pauure Sarra ſont tous morts & peris.

Raguel.

Peut-eſtre cetuy-ci, qui eſt noſtre plus proche,
Vient pour nous deliurer de ce villain reproche ;
Peut-eſtre le Seigneur l’a fait venir à nous,
Pour eſtre de Sarra perpetuel eſpous.

Anne.

Et que vous me donnez vne douce eſperance !

Raguel.

Ie voy dans ce ieune homme vn’humble contenance,
Un regard adouci, un geste gracieux :
Ie connois bien auſſi qu’il eſt deuotieux,

Et qui le nom de Dieu parfaitement adore,
Cetuy-là eſt vraiment treſ digne qu’on l’honore.

Anne.

Noſtre fille avec luy seroit en grand repos.

Raguel.

M’amie, le voici, il faut changer propos.

Azarie.

L’excellente beauté de voſtre fille unique,
Sa vertu, sa douceur, & ſa grace pudique
Ont ſi bien enlaſſé le cueur de cetuy-ci,
Que ſi vous ne prenez ſouci de ſon ſouci
Vous le verrez bien toſt à la fin de ſa vie.
Le lignage & ſur tout la pitié vous conuie
De le tenir pour voſtre, il vous veut obeir.

Raguel.

Ie l’ayme comm’un fils & ne le veux trahir,
Ma fille en eſprouvant ſept Nopces miſerables
Me fait avoir grand peur d’en reuoir de ſemblables.

Azarie.

Monsieur, ne craignez point, les maris de Sarra
Sont tous morts l’ayant eüe, & cet autre mourra
Si vous ne luy donnez. Vaut-il pas mieux qu’il meure
Avec elle content, que mourir dès ceſte heure,
Auſſi bien vous eſt-il envoyé du Seigneur ?
Lequel n’a point voulu qu’un autre eust le bonheur
De iouir d’une femme & ſi chaſte & ſi belle :
Car tous ceux qui l’avoient n’eſtoient pas dignes d’elle,
Mais ceſtuy-ci craint Dieu, il eſt predeſtiné
Pour eſpouser Sarra, dès avant qu’il fuſt né.

Raguel.

Ie deſire bien voir un mari à ma fille,
Mais ie craints de le perdre & que la mort le pille.

Azarie.

Ie vous puis aſſurer qu’il viura fort long temps
Avec elle, & ſera pere de beaux enfans.

Tobie.

Si le doux souvenir de la premiere flame,
Qui Iadis vous brula, vous tient encore en l’ame :
Aumoins monſieur penſez ce que je puis ſoufrir,
Et receuez vn fils que ie vous viens ofrir :
Si vous gardez auſſi l’amour de voſtre race
Ayez pitié de moy qui vous demande grace :
I’ayme tant voſtre fille & avec tel deuoir,
Que de viure ſans elle, il n’eſt en mon pouvoir.

Raguel.

Tu l’auras (mon amy) ſi elle en eſt contente.
Qu’en dites-vous ma femme ?

Anne.

Elle eſt obeiſſante,
Elle fera touſiours tout ce qu’il vous plaira.

Raguel.

Allons parler à elle & voir qu’elle en dira.
Ma fille, vous ſçavez combien vous m’eſtes chere,
Vous connoiſſez auſſi l’amour de voſtre mere,
Nous n’auons iamais eu autre plus grand deſir
Que de vous procurer & profit & plaiſir :
Nous vous donnons mari ; vn heureux mariage
Est plus digne de vous que ce piteux veuſuage.

Vous auez tant pleuré la mort de vos maris,
Ores il faut changer vos triſtes pleurs en ris,
Vous aurez un eſpoux de voſtre parentage,
Beau, gracieux, & dous, ieune, gaillard, & ſage :
Le voulez-vous pas bien ?

Sarra.

Ie veus ce qui vous plaiſt,
Mon pere, mais ie crains.

Anne.

Ha ie ſçay bien que c’eſt,
Sarra, ne craignez point, nous leur venons de dire :
Mais pourtãt mon Neueu vous ayme & vous deſire,
Et puis ce ieune fils qui est auecques luy
Promet de le garder & de mal & d’ennuy.

Sarra.

Dieu veuille qu’ainſi ſoit.

Raguel.

Aprochez-vous m’amie,
Ça donnez-moy la main, venez, que ie vous lie
D’vn neu perpetuel.

Tobie.

He ie suis tant lié
Meſmes auparavant que d’eſtre marié :
De ſes crépez cheueux une blonde cordelle
Lie & ſerre mon cueur pour tout iamais à elle ;
Mais nonobſtant cela, ie luy iure la foy
De l’honorer touſiours & l’aimer plus que moy.

Sarra.

Ie vous promets la foy que vos graces demandent,

Comme Dieu, les vertus, & les loix le commandent.

Raguel.

Le grand Dieu eternel vous face proſperer,
Vous donnant tout le mieux que l’on puiſſe eſperer.

Anne.

Ie requiers ſes bontez ; que voz belles ieuneſſes
Demeurent ſeur apuy de nos foibles vieilleſſes.

Chœur.

Il n’eſt rien plus honorable
Qu’vne chaſte affection ;
Il n’eſt rien plus agreable
Qu’vne douce paſſion.

Il n’eſt rien qui plus attire
Que de ſe voir eſtimé ;
O que c’eſt vn doux martire
Que d’aymer & d’eſtre aymé !

Il n’eſt point de plus grand aiſe
Qu’eſtre ſerré d’un beau Neu :
Il n’eſt rien qui tant nous plaiſe
Que de bruler d’vn doux feu.

Il faut avoir bonne vüe
Premier qu’vn tel feu toucher,
Et non pas à l’impourueue
De ſes flames approcher.

Il faut d’vne amour pudique
Aimer les chaſtes beautez,

Non pas d’vn vouloir lvbrique
En chercher les priuautez.

Voyez l’impudique flame
De ſept amans que voicy,
Qui les priue de leur femme,
D’amour & de vie auſſi.

Et puis voyez ce Tobie
Qui d’vn cueur religieux,
Deuotement ſacrifie
Au ſouuerain Dieu des dieux.

En aymant d’vn amour ſage
La fille de Raguel,
Il gaigne ſon mariage
Et rend grace à l’Eternel.

PLAINTE DU VIEIL TOBIE
et de sa femme, sur l’absence de leur fils.
Tobie.


MAintenant que mon fils fait ſi longue demeure,
Anne, ma chere ſœur, je repenſe à toute heure
Ou que Gabel ſoit mort, qui nous deuoit l’argent,
Ou que mon pauvre fils, malade & indigent,

Ne pouvant recouvrer la ſomme qui m’eſt due,
Se plaint de la rigueur que ie luy ay tenüe
De l’enuoyer quaſi malgré luy hors d’icy :
Las mon Dieu que fais-tu, mon fils, mon cher ſouci,
Retourne à moy bientoſt, ſi tu as quelque enuie
De ſoulager vn peu ma languiſſante vie.

Anne.

Mon amy, croyez-moy qu’on ne doit haſarder
Ce que l’on ayme tant, il le faut bien garder :
Vous auez eu grand tort, pour ſi petite ſomme,
De mettre en ce danger la vie d’vn tel homme :
Helas mon cher enfant, lumiere de mes yeux,
Que nous avons eſté de toy mal curieux !
Sont ce de tes bienfaits les dignes recompenſes
Que de t’auoir chaſſé dehors de nos préſenſes ?
Las nous t’avons cauſé tant de mal & d’ennuy !
Et tu es de nous deux le baſton et l’apuy :
Tu es noſtre bon-heur, noſtre plaisir, noſtre aiſe,
Et ſans toy nous n’auons aucun bien qui nous plaiſe
Nous n’auons autre eſpoir de la poſterité
Qu’en toy noſtre ſeul fils, & t’auons irrité !
En toy noſtre ſeul fils, nous auions toutes choſes,
En l’ame de toy ſeul trois ames ſont encloſes,
Et nous t’auons chaſſé ! ah Dieu quel creue cueur !

Tobie.

Las m’amie, pour Dieu donnez-vous paſſience,
Ne vous troublez point tant, vivez en eſperance
Que noſtre fils eſt ſain, et que dans peu de tens
Il reuiendra icy pour nous rendre contens,

Nous en ſçaurons bientoſt quelque bonne nouuelle,
Car l’homme qui le guide eſt accort & fidelle.

LE CONGE QUE PRENNENT
Tobie et Sarra de Raguel et de sa femme.
Raguel.


S’Il te plaiſt, mon amy, i’enuoiray meſſager
Pour conſoler ton pere & pour l’encourager
De ſuporter vn peu l’ennuy de ton abſence :
Car peut-eſtre qu’icy tu es mieux qu’il ne penſe,
Ie luy deſpeſcheray vn homme dès demain,
Pour luy faire ſçavoir que tu es vif & sain.

Tobie.

Vous eſtes pour iamais mon Seigneur & mon maiſtre,
C’eſt vous à qui ie suis & à qui ie veus eſtre :
Mais vous plaiſe monſieur, de me preſter à moy
Pour ſoulager mon pere, ainſi comme ie doy :
Helas ie ſçay combien le pauvre homme deſire
Que ie retourne à luy, ie ſçay bien qu’il ſoupire ;
Estant abſent de moy il m’appelle à ſecours,
Il ne fait que nombrer les heures & les iours
Que ie l’ay delaiſſay auec ma triſte mere,
Accompaigné d’ennuy, de regret & miſere.

Raguel.

Nous ne pouuons donc plus icy te retenir ?

Tobie.

Non, mais i’auray touſiours de vous le ſouvenir.

Raguel.

Le ſainct de noſtre Dieu heureuſement vous maine,
Viuez mes chers enfans ſans douleur & ſans peine,
Soyez vers vos parens en tout bien ordonnez,
Puiſſé-ie voir de vous de beaux enfans bien nez
Sur la fin de mes iours. Adieu vous dis ma fille,
Gouuernez prudemment toute voſtre famille,
Aymez voſtre mari, reuerez ſes parens,
Monſtrez touſiours en vous les ſignes aparens
D’vne femme de bien. Adieu mon fils Tobie.

Sarra.

Adieu doncque mon pere.

Raguel.

Adieu, Sarra m’amie.

Sarra.

Ma mere ie m’en vais, & m’en allant d’icy
I’emporte la douleur, la peine, & le ſouci.
Mil & mille regrets ores me font la guerre.
Helas i’ay ſi grand deuil de laiſſer noſtre terre :
Ie regrette cet air qui m’a ſemblé tant doux,
I’ay regret en mon pere & par ſurtout en vous,
Ie regrette le temps de ma petite enfance,
Que vous monſtriez d’avoir vne ferme aſſurance
De m’eſleuer vn iour, en quelque haut degré,
Comme digne Rameau de ce Tige ſacré.
Cela m’eſt aduenu : car vous m’auez pourueüe
De mari & de bien, mais vous perdant de veüe,
Ie pers tout mon treſor, & vous laiſſe mon cueur
Pour vous porter amour, reuerence, & honneur.
Ie prends congé de vous, he mon Dieu ie me paſme

Dans voſtre ſein aimé.

Anne.

Tu me derobe l’ame.
O ma chere Sarra, comment pourray-ie donc
Sans toy paſſer le temps ſi penible & ſi long ?
Ha ma fille mon cueur, & que pourray-ie faire,
Abſente de tes yeux qui me ſouloient tant plaire ?

Raguel.

Ma femme, laiſſez-la, il luy faut arracher :
Sarra retirez-vous.

Anne.

Quel bien me ſera cher
Si ie ne te voy plus ? ô ma douce lumiere !

La servante.

Mon Dieu, qui veit iamais ſi deſolée mere,
Las ma dame, aidez-vous de vous-meſme au beſoin :
Le Seigneur Dieu prendra de voſtre fille ſoin.

Anne.

O face, cler miroer de la sainte nature,
Qui pourrois illuſtrer une priſon obſcure !
O ſsprit enrichi des ornemens des Cieux !
O ris tant agreable ! ô propos gracieux !
O chaſte, ſage, douce, & Angelique grace !
Qui par tes doux attrais ſi doucement enlace :
Las que mes iours ſans toy ſeront briefs & mauuais !

La servante.

Que ne puis-ie aleger de cet ennuyeux fais
Voſtre eſprit affligé, ma dame ie vous prie,
Penſez que voſtre fille eſtant tres acomplie
A trouué un mari digne de ſes valleurs,

Qui la peut garantir de cent mille malheurs
Coutumiers d’aſſaillir la femme miſerable,
Si quelque homme prudent ne luy eſt ſecourable.
Vous la verrez bien toſt, ſelon voſtre deſir,
Mere de beaux enfans. Car tel est le plaiſir
Du grand Dieu d’Iſraël qui veut que ceſte race
Multiplie en la terre & au ciel prenne place.

Fin de la Tragicomedie de Tobie.