Les Œuvres de Mesdames Des Roches/Catherine des Roches/A Charite

A CHARITE.


CHarite l’an ſe change & vous ne changez pas,
La terre ſ’enuieilliſt & puis ſe renouvelle :
Mais vous eſtes mon cœur d’vne eſſence immortelle,
Qui ne craint les éfors du temps ny du treſpas.
Le ciel ſe mire en vous, & ce iuſte compas
Qui fait mouuoir, ſans fin ſa puiſſance eternelle,
Regle les mouuements de voſtre ame tant belle
Liee à voſtre corps par un gracieux las.
Quand ie voy les attraits de votre bonne grace,
Quand ie voy la douceur de voſtre belle face,
Ie dis à mon eſprit : rendez grace à mes yeux :
Quand i’entends diſcourir voſtre bouche vermeille,
Ie dis à mon eſprit : rendez grace à l’oreille,
Rendez grace à l’amour, à Charite & aux cieux.

Soit la nuict, ſoit le jour, ſoit le veſpre, ou l’Aurore,
Ie ſuis touſiours veillant, & mon cueur amoureux
Raui par vos attraits chaſtement rigoureux,
Poſte vers vos beautez, qu’il reuere & honore

Deuot, humilié : le cueur qui vous adore
Vous demande merci triſtement langoureux.
N’esprouuant qu’vn refus, le pauure malheureux
S’en retourne vers moy, qui le refuſe encore :
Las ou iray-ie done, dit-il en ſoupirant ?
Tu me chaſſe, ell’ me fuit lors ſe deſeſperant,
Priué de la faueur où ſes penſers aſpirent,
Il ſe iette en vn feu, & cherche de guerir
Par ſa mort tant de morts, mais il ne peut mourir :
Car la mort ne vient point à ceux qui la deſirent.

Allons mon pauure cueur bien loin de la Cité
Dedans quelque deſert, fuyons la compaignie
De nos plus chers amis, cherchons la Tirannie
Des Ours, Tygres, Lyons pleins d’inhumanité :
L’Olme, le Cheſne, l’Able en ce lieu eſcarté
Pourront ſeuls teſmoigner ta miſere infinie :
Le bel Aſtre du ciel donnant lumiere & vie,
N’y lance point les rais de fa viue clarté.
Laiſſons le grand Palais & le braue Theatre
A ceux qui n’ont point veu leur eſperance abbatre :
Aux enfans bien heureux, aux peres fortunez.
Vallon, Grote, Foreſt, Rocher, Antre efroyable
S’accorderont du tout à l’eſtat miſerable,
De nous, qui de l’eſpoir ſommes abandonnez.

Tournez vos yeux ſur moy, ie vous ſuply madame,
Regardez par pitié voſtre humble ſeruiteur,
De vos regards aymez l’agreable ſplandeur
Pouſſe hors de mon ſein la fleche qui m’entame.
Apres que de vos yeux la violente flame

A brulé ſans merci mon ame & mon cueur :
Il ſort de vos regars vn fleuue de douceur
Qui guerit promptement & mon cueur & mon ame.
Pour Dieu regardez moy, maiſtreſſe, vos regars
Illuſtrent mes penſers : leurs doux flambeaux eſpars
Conduiſent en repos ma pauure ame eſgarėe.
Qui peut voir ſans plaiſir la grace de vos yeux,
Il peut voir ſans clarté la grand voute des cieux :
Et peut voir ſans vn corps vn’ ombre ſeparee.

Ne me regardez point, ie vous ſupply madame,
Deſtournez de vos yeux la trop viue ſplandeur :
Quand vous me regardez leur violente ardeur
S’écoulant par les miens me brule dedans l’ame,
Ne me regardez point, ah mon Dieu ie me paſme,
Ie ne ſçaurois ſoufrir la grace & la douceur
De vos yenx trahiſſans, qui deſrobent mon cœur
Pour le ſacrifier en l’amoureuſe flame.
Ne me regardez point, maiſtreſſe, vos regars
Me font autant de feus, me font autant de dars :
Qui peut voir ſans mourir telle flame eſlancée,
Celuy voit ſans flechir le ſoleil radieux,
Il voit ſans admirer la grand voute des cieux,
Et peut enclorre Dieu de l’humaine penſee.