Les Œuvres de Mesdames Des Roches/Catherine des Roches/La femme forte descrite par Salomon

La femme forte deſcritte par Salomon.


Heureux qui trouvera la femme vertueuſe,
Surpaſſant de valeur la perle precieuſe,

Le cueur de ſon mary d’elle ſ’eſiouyra ;
Plein d’honneurs, plein de biens, content il ioüira
Du fruict de ſon labeur, tous les iours de ſa vie.
Il l’aura pour compaigne & seruante & amie,
Fuyant le doux languir du pareſſeux ſommeil
Ell’ſe leue au matin, premier que le ſoleil
Monſtre ſes beaux rayons, & puis faict un ouurage,
Ou de laine, ou de lin, pour ſeruir ſon meſnage,
Tirant de ſon labeur un vtile plaiſir.
Ses ſeruantes auſſi qu’elle a bien ſçeu choiſir,
Chaſſant l’oiſiueté, ſont toutes amuſees
A cherpir, à peigner, à tourner leurs fuſees,
Faire virer le trueil, comme vn petit moulin,
Le Chaſtelet auſſi pour devider le lin.
Comme l’on voit ſur mer la vagante nauire
Raporter au marchand le profit qu’il deſire,
Le bled, le vin, le bois, afin qu’à ſon beſoing,
Il le trouve chez luy ſans le chercher plus loing :
Ainſi la Dame ſage ordonne ſa famille,
Afin que ſon mary, & ſes fils, & ſa fille,
Ses ſeruans, ſes ſuiects, puiſſent avoir touſiours,
Le pain, le drap, l’argent, pour leur donner ſecours
Contre la faim, le froid, & maintes autres peines,
Qui tourmentent ſouuent les penſées humaines.
Ayant bien diſpoſé l’eſtat de ſa maiſon,
Dependant par meſure, eſpargnant par raiſon :
Elle va voir aux champs la brebis porte-laine,
Et le bœuf nourricier qui traine par la plaine
Le ſoc avant-coureur de l’epspy iauniſſant :

Elle regarde apres ſi le fruict meuriſſant
Dedans le boys tortu, promet que celle annee
On puiſſe rencontrer une bonne vinee.
Et ne deſdaignant point de travailler auſſi
Elle prend d’y planter la peine, & le ſouci.
Vous la verriez parfois r’accourcir ſa veſture
Trouſſee proprement d’vne forte ceinture,
Et reuirer apres ſes manches ſur les bras
Qui paroiſſent charnus, poupins, doüillets, & gras :
Car il ne faut penſer que la delicateſſe,
Se trouue ſeulement auecques la pareſſe.
La femme meſnagere eſt plus belle cent fois,
Que ne ſont ces Echo qui n’ont rien que la voix.
Or cette diligente ayant tel auantage,
Elle eſt plus belle auſſi, d’autant qu’elle eſt plus ſage :
Prenant prouiſion des beaux fruicts de ſes champs,
Elle en meſure auſſi pour les vendre aux marchands.
Sa lampe n’eſteint point, ains touſiours la lumiere
Eſt dedans ſon logis d’eſclairer couſtumiere :
Pource qu’il faut veiller & travailler ſouvent
Pour faire des linceuls, & des draps qu’elle vend.
Sa liberale main ſe monstre fauorable
Aux pauures affligez, dont l’eſtat miſerable,
Eſt digne de pitié, en ne refuſant pas
De prendre la quenoille, ell’n’eſpargne ſes pas,
Pour aller et venir autour de ſes ſeruantes
Et loüant leurs labeurs les rendre diligentes.
Elle donne à chaſcune vn bon accouſtrement,
En les encourageant d’aduancer promptement,

De faire des tapys, couuertes, & courtines.
A elle ſeulement pour accouſtremens dignes
De ſes rares valeurs, le pourpre est ſuffiſant :
Mais elle a vn habit qui luy eſt mieux duiſant
De ſage Temperance, & de ſaincte Iuſtice,
De Fortitude auſſi, qui faict la guerre au vice,
De Prudence guidant toutes ſes actions,
Chaſcun la reconnoiſt pour ſes perfections.
Son mary est priſé en tous lieux de la ville,
Pour eſtre poſſeſſeur de femme ſi gentille :
Ell’ a deſſus ſa langue un coulant fleuue d’or,
Et tient en ſon eſprit un precieux treſor
De graces & vertus ſa parfaicte eloquence,
Monſtre par ſes propos la vraye ſapience :
Ell’ eſt douce, benigne, & conduit ſagement
Le train de ſa maiſon, non pas oyſiuement :
Car elle faict avoir, & le pain, & la peine,
Voulans que le travail un doux repos ameine :
Ses enfans ſont autour qui reuerent ſans fin
Le diſcret iugement de ſon eſprit divin :
Son mary la voyant ſur toutes admirable
Confeſſe qu’en la terre elle n’a de ſemblable :
Pluſieurs Dames pourtant ont faict digne recueil
De graces & beautez qui plaiſent fort à l’œil,
Mais tu les paſſes tant (O Dame d’excellence)
D’autant qu’vn bon propos ſurpaſſe le ſilence,
D’autant qu’un iour luiſant paſſe l’obſcure nuict,
Ta rarité d’autant ſur les autres reluit.
La beauté ſe fleſtriſt, la grace eſt decevable,

Et de tous leurs attraits ce n’eſt rien qu’une fable :
Mais la femme qui ayme, & qui craint le ſeigneur,
Merite receuoir un immortel honneur :
Sus doncques rendez-luy la gloire meritee,
Sa loüange ne ſoit de bornes limitee,
Faictes-luy voiſiner la grand’ voute des Cieux,
Puis qu’elle eſt en ce monde un miracle à voz yeux,
Que ſa perfection un tel loyer demande,
Rendez le prontement, car Dieu vous le commande.