Les Œuvres de Mesdames Des Roches/Catherine des Roches/Hymne de l'Eau à la Roine

Hymne de l’Eau à la Roine.


Sovrce qui ruiſſelant voſtre onde criſtaline
Tirez d’vn double Roc votre antique origine,
De grace excuſez moy ſi j’oſe vous chanter :
Ie crain fort en chantant de vous mal-contenter
Et d’accroiſtre ma honte au lieu de voſtre gloire :
Ie crain fort d’offencer les filles de Mémoire
Qui ne ſe plaisent pas, ains tiennent à meſpris,
Mais tout ainſi qu’on voit que la liqueur vineuſe
De ce Dieu deux fois né d’une force fumeuſe
Derobe les eſprits, les ſens, & la raiſon
A celuy qui beuvant luy ouvre ſa maiſon,
Si bien que ne ſentant que le Dieu qui le touche
Il a ſa force au cueur, & ſon nom dans la bouche.
Ayant ainſi gouſté les mielleuſes douceurs,
Nymphes, non pas de vous, mais celles de voz ſœurs,
Ie ne ſuis plus à moy, & forcée d’eſcrire,
Pleine de leurs vertus, leurs vertus ie reſpire :
Ie me laiſſe couler ſans guide au fil de l’eau
Sans avoir pour m’ayder ny rame ny bateau.
Doncques ie vous ſuplie, o belle onde ſacrée,

S’il m’auient de noyer, au moins qu’il vous agree,
Ie ne crain point la mort, & ne requiers ſinon
Que me perdant en vous, vous ne perdiez mon nom.
Ceignez-moy de voz bras, & voſtre onde argentine
Face bruire parfois le nom de Catherine,
Qui humble vous ſalue honorant voz honneurs
Dignes d’eſtre chantez des plus dignes ſonneurs.
Belles & ſainctes eaux voz sources perennelles
Soutenoient du ſeigneur les vertus eternelles,
Car ſon eſprit ſur vous ſe promenoit alors
Que ſon alme pouuoir compoſa ce grand corps,
Et l’ayant ordonné par nombre, & par meſure
Il luy feit de voz bras une large ceinture
Monſtrant autour de vous cent mille raritez
Qui tiennent leur grand pris de voz humiditez
Le Chriſtal, le Coral, la Perle d’excellence,
Et les poiſſons ſacrez à l’honneur du ſilence :
Mais cela n’eſt pas tout, car nous autres humains
Priſmes forme en l’humeur de voz humides mains
Quand de voz ſainctes eaux les vagues écumeuſes
Arroſoient de l’Edem les plaines limoneuſes.
Et c’eſt ores pourquoy (belles) à voſtre honneur,
L’homme retient encor’ſon nom de voſtre humeur
Depuis ce ſexe ingrat, cette maudite race
Meſconnoissant son Dieu pecha deuant ſa face,
Et le ſeigneur voyant ſon infidelité
Le voulut chaſtier de la temerité.
Ie veux, ce vous dit-il, o ſervantes fideles
Punir de ces meſchans les offenses mortelles.

Ie les veux tous noyer, Nymphes, ie veux par vous
Faire ſentir l’aigreur de mon iuſte courroux :
Ie veux que par vous ſoit la terre enuironnee,
Et voir de ces ingrats la derniere iournee
Qui triſtes ne pouuant fuyr l’horreur de l’eau
Seront enſevelis ſouz un meſme tombeau.
Vn d’entr’eux ſeulement trouuera pour refuge
Vne arche pour ſauuer ſes enfans du Deluge.
Il eſt bon devant moy, auſſi ie ne veux pas,
Que meſme ſon renom meure par ſon treſpas :
Ie luy feray trouver une liqueur notable,
Qui rendra pour jamais ſa memoire agreable.
Belles, dans peu de iours voſtre onde varira,
Pleine de nouueaux fruicts la terre produira
Cette follaſtre humeur qui par Noë trouuee,
Sera de luy bien toſt à ſon dam eſprouuee,
Pour n’avoir point puiſé dans voz ſacrez ruiſſeaux
Car vous ſeules pouvez, ſainctes & belles eaux
Meſlant avecques le vin voz liqueurs ſauoureuſes,
Moderer quelque peu ſes forces outrageuſes.
Voila, Nymphes, comment par le vouloir diuin
Vous puniſſez l’orgueil, & corrigez le vin.
Tout ainſi que l’on voit la femme gracieuſe
Guerir de ſon mary la penſee ennuyeuſe,
Avec un doux ſoubsris, avec un doux propos,
L’appaiſer doucement, & le mettre à repos :
Ainſi le vin par vous appaiſant ſon audace,
Vous perdez ſa fureur, & conſervez ſa grace
Mais qui eſt plus que vous prompte à noſtre beſoing ?

Mais qui a plus que vous de nous ayder le ſoing ?
Et qui rend ſinon vous noſtre terre fertille ?
Comme ſans vous auſſi nous la voyons ſterile.
L’Égypte ne produit de ſi riches moiſſons
Que par vous, ſainctes eaux, qui en maintes ſaiſons,
Luy debordez le Nil. La deſerte Lybie
Eſt par faute de vous de tous hommes haye.
L’homme ne pourroit pas viure commodément
S’il n’auoit touſiours l’eau à ſon commandement
Noz yeux ne verroient point ſi l’humeur nourriciere
N’entretenoit touſiours leur plaiſante lumiere.
Rien ne pourroient ſervir la terre, ny le feu,
Et meſmement ceſt air nous ſerviroit de peu
Si nous n’auions par vous le fruict, la fleur, la plante,
Pour nous oſter la faim, quand la faim nous tourmẽte,
Vous dechaſſez la ſoif, vous netoyez les corps :
Belle, vous nous lauez, & dedans & dehors,
Nous vous tenons des mains de la mere nature,
Sans vous donner logis, loyer, ny nourriture :
Ce n’eſt comme le feu qui ſ’en va promptement,
Si l’on n’aide ſans fin à ſon nourriſſement,
Nymphes en vous diſant variables, legeres,
Vrayement on vous faict tort, vous eſtes meſnageres,
Courant de toutes parts pour ayder à chaſcun,
Et puis vous raportez le tribut en commun,
Au ſein de voſtre mer, mais bien de noſtre mere,
Puis qu’on dit que de tous l’Ocean eſt le pere.
Quelques vns ſe plaignans que vous les trahiſſez
Que vous rompez leurs nefs, que vous les meurdriſſez

Ne reconnoiſſent pas que la ialouſe envie
Des vends & non de vous leur derobe la vie :
Car les vents amoureux de voz rares beautez,
En veullent receuoir toutes les priuautez,
Parfois vous careſſant, o Nymphes marinieres,
Ils baiſent doucement la fleur de voz riuieres :
Mais ſi quelque vaiſſeau les garde d’aprocher,
Furieux ils le font briſer contre un rocher.
O Dieu combien de fois la gaillarde jeuneſſe
Ioüant en voſtre sein a ſenty la rudeſſe
De ces enfans de l’air qui brulant de courroux
L’eſtaignoient en voz bras par un deſpit ialoux !
He ! mais que feriez vous, les fureurs amoureuſes
Des vents audacieux ne vous font moins piteuſes,
Ne pouuant garentir les hommes de la mort.
Tout ce qui eſt à eux vous le mettez à bord :
Vous pouuez, ſainctes eaux, les guerir de la rage,
Et du fondre tonnant vous empeſchez l’orage.
Lüy ouurant le chemin pour le faire couler
Auec moins de fureur par le vuide de l’air,
Tant de proprietez ſe trouuent aux fontaines
Qui ſoulagent les maux dont noz vies ſont pleines.
Ceſt’eau qui de Triuulſe honoroit le iardin
Rendoit en la beuuant gracieux & benin :
Et ceſt autre qui eſt des eaux la principale
Se ioint ſi proprement à l’humeur radicale,
Qu’elle raieuniſt l’homme en la vieille ſaiſon
Comme le ſiecle vieux veit raieunir Æſon,
Auſſi vous nourriſſez les flambeaux de noz vies

Qui ſans vous, ſaines eaux, nous ſeroient toſt rauies.
O belles, voz vertus decorent les pays :
Mais pour Dieu dittes moy de ce lac de Says,
Lequel rendoit de nuict (ſur vous repreſentee)
Toutes les paſſions d’vne ame tourmentee.
Nymphes dictes le moy ces merueilleux ſecrets :
Pour m’eſtre reuelez n’en ſeront moins ſacrez,
Ie ne les diray point, o miracle du monde !
L’eſprit de noz eſprits nage dedans voſtre onde
Qui nous reiette en l’œil par voz perfections
Le ſimulachre aymé de noz affections.
Neptune veut montrer au Trident admirable
Que vous eſtes liquide & feconde & beuuable,
Auſſi tout va puiſer dedans voſtre element.
Et les celeſtes feux en prenent aliment
Ceux qui vont adorer Jupiter en Dodone
Treuuent du feu chez luy que voſtre onde leur donne,
Car elle a le pouvoir d’allumer vn flambeau
Et d’eſteindre le feu qui n’eſt pris de ſon eau.
Vous auez vn ruiſſeau tout plein de prophetie
À la cime du mont Colophon de Lydie
Qui faicts par ſa vertu predire l’aduenir.
Vous en avez auſſi perdant le ſouvenir,
O bien-heureuſes eaux, qui auez la puiſſance
D’effacer de noz maux la triſte ſouuenance,
He qu’à bonne raiſon ce Prince Athenien
Eſtimoit voſtre oubly la ſource de tout bien !
Ie voudroy qu’il vous pleuſt couler en noz riuieres
Pour nous faire oublier noz peines coutumieres.

Venez, Nymphes, venez, voicy le petit Clain,
Qui humblement vous offre, & les bras & le ſein,
Ne le deſdaignez point, venez, ô vive ſource,
Courez prompte vers luy d’vne legere courſe,
Et ſi comme Tagus il n’a le ſable d’or
Aſſeurez vous pourtant qu’il tient un grand treſor,
Tant de gentils eſprits ornement de noſtre aage,
Qui reverent ſes eaux, & luy rendent hommage.
Nymphes vous plaiſt il pas leur preſter voz ſsaueurs
Afin d’en recevoir quelques dignes faueurs ?
Il ne faut pas pourtant que par vous soit traſſee
La memoire du bien, mais la peine paſſee.
Et quoy ? Si vous perdiez le ſouuenir de tous,
Vous feriez perdre auſſi le ſouvenir de vous.
Pource ie vous ſuply les arroſer de ſorte,
Que iamais en leurs mains la grace n’en ſoit morte
Et que voüant vn vers à l’immortalité,
Ils vous rendent ſans fin le loyer merité.
Belles & ſainctes eaux, voſtre ſacré riuage
De ce grand Dieu viuant repreſente l’image.
Il eſt le pere aydant, vous aydez à chaſcun,
Vous eſtes touſiours meſme, & il eſt touſiours vn,
Il meut inceſſamment cette machine ronde,
Vous la mouuez auſſi d’une force ſeconde :
Nous receuons l’eſprit de ſa Diuinité
Nous receuons le corps de voſtre humidité.
Vous auez le pouvoir, o belles ſources vives,
D’amender la fortune avec l’or de voz riues,
De charmer les ennuys, d’appaiſer les douleurs,

D’acquerir des amis, d’oublier les malheurs :
Fortes, vous inſpirez vne ame prophetique,
Vous augmentez auſſi la fureur Poëtique,
He ! que diray-ie plus ? Eaux ſainctes, nous devons
A voz ondes l’honneur du bien que nous auons.
Ie vous rens grace donc, o ſources perennelles,
Qui gardez du seigneur les vertus eternelles,
Et ſans commancement, ſans fin, & ſans millieu,
Repreſentez icy l’image du grand Dieu.