Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/Sciomachie

Alphonse Lemerre (Tome IIIp. 391-413).

La. Sciomachie & fe-
STINS FAITS A ROME
au Palais de mon seigneur reuerendissime
Cardinal du Bellay, pour l’heureuse
naissance de mon seigneur
d’Orleans.


Le tout extraict d’vne copie des lettres escrites à mon seigneur le reuerendissime Cardinal de Guise, par M. François Rabelais docteur en medicine.


A LYON,
PAR SEBASTIEN GRYPH.

M. D. XLIX.

LA SCIOMACHIE.[1]


Av troiſieme iour de Feurier m. d. xlix. entre trois & quatre heures du matin naſquit au chaſteau de Saint Germain en Laye Duc d’Orleans, filz puiſné du Tres-chreſtien Roy de France Henry de Valois ſecond de ce nom, & de treſilluſtre Madame Catharine de Medicis ſa bonne eſpouſe. Ceſtuy propre iour en Rome par les banques fut vn bruit tout commun ſans autheur certain de ceſte heureuſe naiſſance, non ſeulement du lieu & iour ſuſdits, mais auſſi de l’heure : ſauoir eſt enuiron neuf heures ſelon la ſupputation des Romains. Qui eſt choſe prodigieuſe & admirable, non toutesfois en mon endroit, qui pourrois alleguer par les hiſtoires Grecques & Romaines, nouuelles inſignes, comme de batailles perdues ou gaignees à plus de cinq cens lieües loing, ou autre cas d’importance grande, auoir eſté ſemees au propre & meſme iour, voire deuant, ſans autheur congnu. Encores en veiſmes nous ſemblables à Lyon pour la iournee de Pauie, en la perſonne du ſeu ſeigneur de Rocheſort : & recentement à Paris au iour que combatirent les ſeigneurs de Iarnac, & Chaſtaigneraye : mille autres. Et eſt vn poinct ſus lequel les Platoniques ont fondé la participation de diuinité es Dieux tutelaires, lesquelz noz Theologiens appellent Anges gardians. Mais ce propos excederoit la iuſte quantité d’vne epiſtre. Tant eſt, que lon creut par les banques ceſtes nouuelles ſi obſtinément, que pluſieurs de la part Françoiſe ſus le ſoir en feirent feuz de ioye, & marquerent de croye blanche ſus leurs calendiers ceſte fauſte & heureuſe iournee. Sept iours apres furent ces bonnes nouuelles plus au plein auerees par quelques courriers de banque, venans vns de Lyon, autres de Ferrare.

Mes Seigneurs les Reuerendiſſimes Cardinaux François qui ſont en ceſte court Romaine, enſemble le ſeigneur d’Vrfé Ambaſſadeur de ſa Maieſté, non ayans autre aduis particulier, delayoient touſiours à declairer leur ioye & alaigreſſe de ceſte tant deſiree naiſſance, iusques à ce que le ſeigneur Alexandre Schiuanoia gentilhomme Mantuan, arriua au premier iour de ce mois de Mars expreſſement enuoyé de la part de ſa Maieſté, pour acertainer le Pere ſaint, les Cardinaux François, & Ambaſſadeur, de ce que deſſus. Adonques furent faits de tous coſtez feſtins & feuz de ioye, par trois ſoirs ſubſequens.

Mon Seigneur Reuerendiſſime Cardinal du Bellay non content de ces menues & vulgaires ſignifications de lieſſe pour la naiſſance d’vn ſi grand Prince deſtiné à choſes ſi grandes en matiere de cheualerie, & geſtes heroiques, comme il appert par ſon horoſcope, ſi vne fois il eſchappe quelque triſte aſpect en l’angle Occidental de la ſeptieme maiſon : voulut (par maniere de dire) faire ce que feit le ſeigneur Ian Iordan Vrfin, lors que le Roy François d’heureuſe memoire, obtint la victoire à Marignan. Iceluy voyant par la part ennemie à vn faux rapport eſtre faits feuz parmy les rues de Rome, comme ſi ledit Roy euſt perdu la bataille : quelques iours apres aduerti de la verité du ſucces, & de ſa victoire, acheta cinq ou ſix maiſons contigues en forme d’Iſle, pres mont Iordan, les feit emplir de fagotz, falourdes, & tonneaux, auecques force pouldre de canon, puis meit le feu dedens. C’eſtoit vne nouuelle Aloſis, & nouueau feu de ioye. Ainſi vouloit ledit Seigneur Reuerendiſſime, pour declairer l’exces de ſon alaigreſſe pour ceſtes bonnes nouuelles faire, quoy qu’il couſtaſt, quelque choſe ſpectable non encore veüe en Rome de noſtre memoire. Non la pouuant toutesfois executer à ſa fantaſie & contentement, obſtant quelque maladie ſuruenue en ceſtuy temps, audit ſeigneur Ambaſſadeur, auquel le cas touchoit pareillement à cauſe de ſon eſtat, fut releué de ceſte perplexité par le moyen du ſeigneur Horace Farneſe Duc de Caſtres, & des ſeigneurs Robert Stroſſi, & de Maligni : lesquelz eſtoient en pareille combuſtion. Ilz mirent quatre teſtes en vn chapperon : en fin apres pluſieurs propos mis en deliberation, reſolurent faire vne Sciomachie, ceſtadire, vn ſimulacre & repreſentation de bataille, tant par eaue que par terre.

La Naumachie, ceſtadire le combat par eaue, eſtoit deſigné au deſſus du pont Aelian, iuſtement deuant le iardin ſecret du chaſteau ſaint Ange : lequel feu de memoire eternelle Guillaume du Bellay, ſeigneur de Langey, auoit auecques ſes bandes ſortifié, gardé, & deſſendu bien long temps contre les Lansquenetz, qui depuis ſaccagerent Rome. L’ordre d’iceluy combat eſtoit tel, que cinquante menuz vaiſſeaux, comme Fuſtes, Galiotes, Gondoles & Fregates armees aſſailleroient vn grand & monſtrueux Galion, compoſé de deux les plus grans vaiſſeaux, qui fuiſſent en ceſte marine : lesquelz lon auoit fait monter d’Hoſtie & Porto à force de beufles. Et apres pluſieurs ruſes, aſſautz, repoulſemens, & autres vſances de bataille nauale, ſus le ſoir lon mettroit le feu dedens iceluy Galion. Il y euſt eu vn terrible feu de ioye, veu le grand nombre & quantité de feuz artificielz, qu’on auoit mis dedens. Ia eſtoit iceluy Galion preſt à combatre : les petis vaiſſeaux preſtz d’aſſaillir, & peintz ſelon les liurees des Capitaines aſſaillans : auecques la paueſade & chorme bien galante. Mais ce combat fut obmis, à cauſe d’vne horrible crue du Tybre, & vorages par trop dangereuſes : comme vous ſauez, que c’eſt vn des plus inconſtans fleuues du monde, & croit inopinément non ſeulement par eſgoutz des eaues tombantes des montaignes à la fonte des neiges, ou autres pluies : ou par regorgemens des lacs, qui ſe deſchargent en iceluy : mais encores par maniere plus eſtrange par les vents Auſtraux qui ſoufflans droit en ſa boucque pres Hoſtie, ſuſpendant ſon cours, & ne luy donnans lieu de s’eſcouller en ceſte mer Hetrusque, le font enfler & retourner arriere, auecques miſerable calamité, & vaſtation des terres adiacentes. Adioint auſſi que deux iours deuant auoit eſté fait naufrage d’vne des Gondoles, en laquelle s’eſtoient iettez quelques Matachins imperitz de la marine, cuydans fanfarer & bouffonner ſus eaue, comme ilz font treſbien en terre ferme. Telle Naumachie eſtoit aſſignee pour le dimenche dixieme de ce mois.

La Sciomachie par terre fut faite au ieudi ſubſequent. Pour laquelle mieux entendre eſt à noter, que pour icelle aptement parfaire fut eſlue la place de ſan Apoſtolo, par ce qu’apres celle d’Agone, c’eſt la plus belle & longue de Rome : par ce auſſi, & principalement que le palais dudit Seigneur Reuerendiſſime eſt ſus le long d’icelle place. En icelle donques deuant la grand’porte d’iceluy palais fut par le deſeing du Capitaine Ian Francisque de monte Melino erigé vn chaſteau en forme quadrangulaire, chacune face duquel eſtoit longue d’enuiron vingt & cinq pas : haute la moitié d’autant, comprenant le parapete. A chacun angle eſtoit erigé vn tourrion à quatre angles acutz : desquelz les trois eſtoient proiettez au dehors, le quatrieme eſtoit amorti en l’angle de la muraille du chaſteau. Tous eſtoient percez pour canonnieres par chacun des flans & angles interieurs en deux endroitz, ſauoir eſt au deſſouz & au deſſus du cordon. Hauteur d’iceux auecques leur parapete, comme de ladite muraille. Et eſtoit icelle muraille pour la face principale qui regardoit le long de la place, & le contour de ſes deux tourrions, de fortes tables & eſſes iusques au cordon : le deſſus eſtoit de brique, pour la raiſon qu’orrez par cy apres. Les autres deux faces auecques leurs tourrions eſtoient toutes de tables & limandes. La muraille de la porte du palais eſtoit pour quarte face. Au coing de laquelle par le dedens du chaſteau eſtoit erigée vne tour quarree de pareille matiere, haute trois fois autant, que les autres tourrions. Par le dehors tout eſtoit aptement ioint, collé, & peint, comme ſi ſuſſent murailles de groſſes pierres entaillees à la ruſtique, telle qu’on voit la groſſe tour de Bourges. Tout le circuit eſtoit ceint d’vn foſſé large de quatre pas, profond d’vne demie toiſe & plus. La porte eſtoit ſelon l’aduenue de la porte grande du palais, eſleuee pour le machicoulis enuiron trois piedz plus haut que la muraille : de laquelle deſcendoit vn pont leuis iusques ſus la concreſcarpe du foſſé.

Au iour ſuſdit XIIII. de ce mois de Mars, le ciel & l’air ſemblerent fauoriſer à la ſeſte. Car lon n’auoit de long temps veu iournee tant claire, ſerene, & ioyeuſe, comme icelle fut en toute ſa duree. La frequence du peuple eſtoit incroyable. Car non ſeulement les Seigneurs Reuerendiſſimes Cardinaux presque tous, les Euesques, Prelatz, Officiers, Seigneurs, & Dames, & commun peuple de la ville y eſtoient accouruz : mais auſſi des terres circunuoiſmes à plus de cinquante lieües à la ronde, eſtoient conuenuz nombre merueilleux de Seigneurs Ducz, Comtes, Barons, gentilzhommes, auecques leurs femmes & familles, au bruit qui eſtoit couru de ce nouueau tournoy : auſſi qu’on auoit veu es iours precedens tous les brodeurs, tailleurs, recameurs, plumaciers, & autres de telz meſtiers employez & occupez à parfaire les accouſtremens requis à la feſte. De mode que non les palais, maiſons, loges, galeries, & eſchauffautz ſeulement eſtoient pleins de gens en bien grande ſerre, quoy que la place ſoit des plus grandes & ſpacieuſes qu’on voye : mais auſſi les toitz & couuertures des maiſons & egliſes voiſines. Au mylieu de la place pendoient les armoiries de mon dit Seigneur d’Orleans en bien grande marge à double face, entournoiees d’vn ioyeux feſton de Myrtes, Lierres, Lauriers, & Orangiers mignonnement inſtrophiees d’or clinquant auecques ceſte inſcription :

Creſce infans, fatis nec te ipſe vocantibus aufer.

Sus les XVIII. heures, ſelon la ſupputation du païs, qui eſt entre vne & deux apres mydi, ce pendant que les combatans ſoy mettoient en armes, entrerent dedens la place les deux Caporions Colonnois auecques leurs gens embaſtonnez, aſſés mal en poinct. Puis ſuruindrent les Suiſſes de la garde du Pape auecques leur Capitaine tous armez à blanc, la picque au poing, bien en bon ordre, pour garder la place. Alors pour temporiſer & eſbacre l’aſſemblee magnifique, furent laſchez quatre terribles & fiers taureaux. Les premier & ſecond furent abandonnez aux gladiateurs & beſtiaires à l’eſpee & cappe. Le tiers fut combatu par trois grans chiens Corſes, auquel combat y eut de paſſetemps beaucoup. Le quart fut abandonné au long bois, ſauoir eſt picquees, partuſanes, halebardes, corſecques, eſpieuz Boulonnois : parce qu’il ſembloit trop furieux, & euſt peu faire beaucoup de mal parmy le menu peuple.

Les taureaux deſconfitz, & la place vuyde du peuple iusques aux barrieres, ſuruint le Moret archibouffon d’Italie, monté ſus vn bien puiſſant rouſſin, & tenant en main quatre lances liees & entees dedens vne, ſoy vantant de les rompre toutes d’vne courſe contre terre. Ce qu’il eſſaya, fierement picquant ſon rouſſin, mais il n’en rompit que la poignee, & s’accouſtra le bras en coureur buffonique. Cela fait, en la place entra au ſon des fifres & tabours vne enſeigne de gens de pied, tous gorgiaſement accouſtrez, armez de harnois presque tous dorez, tant picquiers qu’eſcoulpetiers en nombre de trois cens, & plus. Iceux furent ſuiuis par quatre trompettes, & vn eſtanterol de gens de cheual, tous ſeruiteurs de ſa Maieſté, & de la part Françoiſe, les plus gorgias, qu’on pourroit ſouhaiter : nombre de cinquante cheuaux, & d’auantage. Lesquelz la viſiere haulſee feirent deux tours le long de la place en grande alaigreſſe faiſans poppizer, bondir, & penader leurs cheuaux, vns parmy les autres, au grand contentement de tous les ſpectateurs. Puis le retirerent au bout de la place à gauche vers le monaſtere de ſaint Marcel. D’icelle bande pour les gens de pied eſtoit Capitaine le ſeigneur Aſtorre Baglion. L’enſeigne duquel, & eſcharpes de ſes gens, eſtoit de couleurs blanc & bleu. Le ſeigneur Duc Horace eſtoit chef des hommes d’armes, desquelz voluntiers i’ay cy deſſouz mis les noms, pour l’honneur d’iceux.

L’Excellence dudic ſeigneur Duc.

Paul Baptiſte Fregoſe.

Flaminio de Languillare.

Alexandre Cinquin.

Luca d’Onane.

Theobaldo de la Molare.

Philippe de Serlupis.

Dominique de Maſſimis.

P. Loïs Capiſucco.

P. Paule de la Cecca.

Bernardin Piouene.

Ludouic Coſciari.

Ian Paule eſcuier de ſon Excellence.

Tous en harnois dorez, montez ſus gros Courſiers, leurs pages montez ſus Genetz, & cheuaux Turcs, pour le combat à l’eſpee.

La liuree de ſon Excellence eſtoit blanc, & incarnat, laquelle pouuoit on voir es habillemens, bardes, caparaſſons, pennaches, panonceaux, lances, fourreaux d’eſpees, tant deſſuſdits cheualiers, que des pages & eſtaffiers, qui les fuyuoient en bon nombre. Ses quatre trompettes veſtuz de caſaquins de velours incarnat decouppé, & doublé de toille d’argent. Son Excellence eſtoit richement veſtue ſus les armes d’vn accouſtrement fait à l’antique de ſatin incarnat broché d’or, couuert de croiſſans eſtoffez en riche broderie de toille & canetille d’argent. De telle parure eſtoient ſemblablement veſtuz & couuers tous les hommes d’armes ſuſdits, & leurs cheuaux pareillement. Et n’eſt à obmettre qu’entre les ſuſdits croiſſans d’argent à haut relief, par certains quadres eſtoient en riche broderie poſees quatre gerbes recamees à couleur verde, autour desquelles eſtoit eſcrit ce mot, flavescent. Voulant ſignifier (ſelon mon opinion) quelque ſienne grande eſperance eſtre prochaine de maturité & iouiſſance.

Ces deux bandes ainſi eſcartees, & reſtant la place vuyde, ſoudain entra par le coſté droit du bas de la place vne compagnie de ieunes & belles Dames richement atournees, & veſtues à la Nymphale, ainſi que voyons les Nymphes par les monumens antiques. Desquelles la principale plus eminente & haute de toutes autres, repreſentant Diane, portoit ſus le ſommet du front vn croiſſant d’argent : la cheuelure blonde eſparſe ſus les eſpaules, treſſee ſus la teſte auecques vne girlande de laurier toute inſtrophiee de roſes, violettes, & autres belles fleurs : veſtue ſus la ſottane & verdugalle de damas rouge cramoiſi à riches broderies, d’vne fine toille de Cypre toute battue d’or : curieuſement pliee, comme ſi fuſt vn rochet de Cardinal, deſcendant iusques à my iambe, & par deſſus vne peau de Leopard bien rare & precieuſe attachée à gros boutons d’or ſus l’eſpaule gauche. Ses botines dorees, entaillees, & nouees à la Nymphale auecques cordons de toille d’argent : ſon cor d’Iuoire pendant ſouz le bras gauſche, ſa trouſſe precieuſement recamee & labouree de Perles pendoit de l’eſpaule droite à gros cordons & houppes de ſoye blanche & incarnate. Elle en main droite tenoit vne dardelle argentee. Les autres Nymphes peu differoient en accouſtremens : exceptez qu’elles n’auoient le croiſſant d’argent ſus le front. Chacune tenoit vn arc Turquois bien beau en main, & la trouſſe comme la premiere. Aucunes ſus leurs rochetz portoient peaux d’Africanes, autres de Loups ceruiers, autres de Martes Calabroiſes. Aucunes menoient des leuriers en leſſe, autres ſonnoient de leurs trombes. C’eſtoit belle choſe les voir. Ainſi ſoy pourmenans par la place en plaiſans geſtes comme ſi elles allaſſent à la chaſſe, aduint qu’vne du trouppeau ſoy amuſant à l’eſcart de la compagnie pour nouer vn cordon de ſa botine, fut prinſe par aucuns ſoudars ſortiz du chaſteau à l’improuille. A ceſte prinſe fut horrible effroy en la compagnie. Diane hautement cryoit, qu’on la rendiſt, les autres Nymphes pareillement en cris piteux & lamentables. Rien ne leur fut reſpondu par ceux qui eſtoient dedens le chaſteau. Adonques tirans quelque nombre de fleſches par deſſus le parapete, & fierement menaſſans ceux du dedens, s’en retournerent portans face & geſtes au retour autant triſtes & piteuſes, comme auoient eu ioyeuſes & gayes à l’aller.

Sus la fin de la place rencontrans ſon Excellence, & ſa compagnie, feirent enſemble cris effroyables. Diane luy ayant expoſé la deſconuenue, comme à ſon mignon & favorit, teſmoing la deuiſe des croiſſans d’argent eſpars par les accouſtremens, requiſt ayde ſecours & vengeance. Ce que luy fut promis & aſſeuré. Puis ſortirent les Nymphes hors la place. Adonques ſon Excellence enuoye vn heraut par deuers ceux qui eſtoient dedens le chaſteau, requerant la Nymphe rauie luy eſtre rendue ſus linſtant. Et en cas de refus ou delay les menaſſant fort & ferme de mettre eux & la fortereſſe à feu & à ſang. Ceux du chaſteau feirent reſponſe, quilz vouloient la Nymphe pour ſoy, & que s’ilz la vouloient recouurir, il failloit iouer des couſteaux, & n’oublier rien en la boutique. A tant non ſeulement ne la rendirent à ceſte ſommation, mais la monterent au plus haut de la tour quarree en veue de la part foraine. Le heraut retourné & entendu le refus, ſon Excellence tint ſommairement conſeil auecques ſes Capitaines. Là fut reſolu de ruiner le chaſteau, & tous ceux qui ſeroient dedens.

Auquel inſtant, par le coſté droit du bas de la place entrerent au ſon de quatre trompettes, fifres & tabours vn eſtanterol de gens de cheual, & vne enſeigne de gens de pied, marchans furieuſement, comme voulans entrer par force dedens le chaſteau au ſecours de ceux qui le tenoient. Des gens de pied eſtoit Capitaine le ſeigneur Chappin Vrfin, tous hommes galans, & ſuperbement armez tant picquiers que harquebouſiers en nombre de trois cens & plus. Les couleurs de ſon enſeigne, & eſcharpes eſtoient blanc & orangé. Les gens de cheual faiſans nombre de cinquante cheuaux & plus, tous en harnois dorez, richement veſtuz, & enharnachez eſtoient conduits par les ſeigneurs Robert Stroſſi, & Maligni. La liuree du ſeigneur Robert de ſon accouſtrement ſus armes, des bardes, capparaſſons, pennaches, panonceaux, & des cheualiers par luy conduits, des trompettes pages & eſtaffiers eſtoit des couleurs blanc, bleu, & orangé. Celle du ſeigneur de Maligni, & des gens par luy conduits, eſtoit des couleurs blanc, rouge, & noir. Et ſi ceux de ſon Excellence eſtoient bien & aduantagement montez, & richement accouſtrez, ceux cy ne leurs cedoient en rien. Les noms des hommes d’armes i’ay icy mis à leur honneur & louenge.

Le ſeigneur Robert Stroſſi.

Le ſeigneur de Maligni.

S. Auerſo de Languillare.

S. de Malicorne le ieune.

M. iean Baptiſte de Victorio.

S. de Piebon.

M. Scipion de Piouene.

S. de Villepernay.

Spagnino.

Baptiſte, picqueur du ſeigneur Ambaſſadeur.

Le caualcador du ſeigneur Robert.

Iean Baptiſte Altouiti.

S. de la Garde.

Ces deux derniers ne furent au combat, par ce que quelques iours dauant la feſte, ſoy eſſayans dedens les thermes de Diocletian auecques la compagnie, au premier fut vne iambe rompue, au ſecond, le poulſe taillé de long. Ces deux bandes donques entrans fierement en la place furent rencontrees de ſon Excellence & de ſes compagnies. Alors fut l’eſcarmouche attaquée des vns parmy les autres en braueté honnorable, ſans toutesfois rompre lances ny eſpees. Les derniers entrez touſiours ſoy retirans vers le fort : les premiers entrez touſiours les pourſuyuans, iusques à ce qu’ilz furent près le foſſé. Adonques fut tiré du chaſteau grand nombre d’artillerie groſſe & moyenne, & le retira ſon Excellence, & ſes bandes en ſon camp : les deux bandes dernieres entrerent dedens le chaſteau.

Ceſte eſcarmouche finie ſortit vn trompette du chaſteau enuoyé deuers ſon Excellence, entendre ſi ſes cheualiers vouloient faire eſprouue de leurs vertus en Monomachie, c’eſtadire homme à homme contre les tenans. Auquel fut reſpondu, que bien voluntiers le feroient. Le trompette retourné ſortirent hors le chaſteau deux hommes d’armes ayans chacun la lance au poing, & la viſiere abbatue. Et ſe poſerent ſus le reuelin du foſſé en face des aſſaillans. De la bande desquelz pareillement ſe targerent deux hommes d’armes, lance au poing, viſiere abattue. Lors ſonnans les trompettes d’vn coſté & d’autre les hommes d’armes ſoy rencontrerent piquans furieuſement leurs dextriers : puis les lances rompues tant d’vn coſté, comme d’autre, mirent la main aux eſpees, & ſoy chamaillerent l’vn l’autre ſi brusquement, que leurs eſpees volerent en pièces. Ces quatre retirez, ſortirent quatre autres, & combatirent deux contre deux, comme les premiers : & ainſi conſequentement combatirent tous les gens de cheual des deux bandes controuerſes.

Ceſte Monomachie paracheuee, ce pendant que les gens de pied entretenoient la retraite, ſon Excellence, & ſa compagnie changeans de cheuaux reprindrent nouuelles lances, & en trouppe ſe preſenterent deuant la face du chaſteau : les gens de pied ſus le flanc droit couuers d’aucuns rondeliers apportoient eſchelles, comme pour emporter le fort d’emblee : & ia auoient planté quelques eſchelles du coſté de la porte, quand du chaſteau fut tant tiré d’artillerie, tant ietté de mattons, micraines, potz, & lances à feu, que tout le voiſinage en retondiſſoit, & ne voioyt on autour que feu, flambe, & fumee, auecques tonnoires horrifiques de telle canonnerie. Dont furent contraints les forains ſoy retirer, & abandonner les eſchelles. Quelques ſoudars du fort ſortirent ſouz la fumee, & chargerent les gens de pied forains de maniere qu’ilz prindrent deux priſonniers. Puis ſuyuans leur fortune ſe trouuerent enueloppez entre quelque eſquadron des forains caché comme en embuſcade. Là craingnans que la bataille enſuiuiſt, ſe retirent au trot & perdirent deux de leurs gens, qui furent ſemblablement emmenez priſonniers. A leur retraite ſortirent du chaſteau les gens de cheual cinq à cinq par ranc, la lance au poing. Les forains de meſmes ſe preſenterent, & rompirent lances en tourbe, par pluſieurs courſes. Qui eſt choſe grandement perilleuſe. Tant y ha que le ſeigneur de Maligni ayant fait paſſee ſans attainte contre l’eſcuier de ſon Excellence, au retour le choqua de telle violence, qu’il rua par terre homme & cheual. Et en linſtant mourut le cheual, qui eſtoit vn bien beau & puiſſant courſier. Celuy dudit S. Maligni reſta eſpaulé.

Le temps pendant qu’on tira hors le cheual mort, ſonnerent en autre & plus ioyeuſe harmonie les compagnies des muſiciens, lesquelz on auoit poſé en diuers eſchauffautz ſus la place : comme hautbois, cornetz, ſacqueboutes, flutes d’Allemans, doucines, muſettes, & autres, pour eſiouir les ſpectateurs par chacune poſe du plaiſant tournoy. La place vuidee, les hommes d’armes tant d’vn coſté comme d’autre, le S. de Maligni monté ſus vn genet frais, & l’eſcuier ſus vn autre (car peu s’eſtoient bleſſez) laiſſans les lances combatirent à l’eſpee en tourbe les vns parmy les autres aſſés felonnement. Car il y eut tel qui rompit trois & quatre eſpees : & quoy qu’ilz fuſſent couuers à l’aduancage, pluſieurs y furent deſarmez.

La fin fut qu’vne bande de harquebouſiers forains chargerent à coups d’eſcoulpettes les tenans, dont furent contraintz ſoy retirer au fort, & mirent pied à terre. Sus celle entrefaice au ſon de la campanelle du chaſteau, fut tiré grand nombre d’artillerie : & ſe retirerent les forains, qui pareillement mirent pied à terre, & delibererent donner la bataille, voyans ſortir du fort tous les tenans en ordre de combat. Pourtant prindrent vn chacun la picque mornee en poing, & les enſeignes deſployees, à deſmarche graue & lente ſe preſenterent en veüe des tenans, au ſeul ſon des fifres & tabours, eſtans les hommes d’armes en premiere filliere, les harquebouſiers en flanc. Puis marchans oultre encore quatre ou cinq pas, ſe mirent tous à genouilz, tant les forains que les tenans, par autant d’eſpace de temps en ſilence, qu’on diroit l’oraiſon dominicale.

Par tout le diſcours du tournoy precedent fut le bruit & applauſion des ſpectateurs grand en toute circunference. A ceſte precation, fut ſilence de tous endroits, non ſans effroy, meſmement des Dames, & de ceux qui n’auoient autre fois eſté en bataille. Les combatans ayans baiſé la terre ſoudain au ſon des tabours ſe leuerent, & les picques baiſſees en hurlemens eſpouuentables vindrent à ioindre, les harquebouſiers de meſmes ſus les flans tiroient infatigablement. Et y eut tant de picques briſees, que la place en eſtoit toute couuerte. Les picques rompues mirent la main aux eſpees, & y eut tant chamaillé à tors & à trauers, qu’à vne fois les tenans repoulſerent les forains plus de la longueur de deux picques : à l’autre les tenans[2] furent repoulſez iusques au reuelin des tourrions. Lors furent ſauuez par l’artillerie tirant de tous les quantons du chaſteau, dont les forains ſe retirerent. Ce combat dura aſſés longuement. Et y fut donné quelques eſraflades de picques & eſpees, ſans courroux toutesfois, n’affection mauuaiſe. La retraite faite tant d’vn coſté comme d’autre, reſterent en place à trauers les picques rompues & harnois briſez deux hommes morts, mais c’eſtoient hommes de ſoin : desquelz l’vn auoit le bras gauche couppé, & le viſage tout en ſang, l’autre auoit vn tranſon de picque à trauers le corps ſouz la faute du harnois. Autour desquelz fut recreation nouuelle ce pendant que la muſique ſonnoit. Car Frerot à tout ſon accoutrement de velours incarnat fueilleté de toille d’argent, à forme d’æſles de Souris chauue, & Fabritio auecques ſa couronne de laurier, ſoy ioingnirent à eux : l’vn les admoneſtoit de leur ſalut, les confeſſoit, & abſouloit comme gens morts pour la foy : l’autre les taſtoit aux gouſſetz & en la braguette pour trouuer la bourſe. En fin les deſcouurans & deſpouillans monſtrerent au peuple que ce n’eſtoient que gens de foin. Dont fut grande riſee entre les ſpectateurs, ſoy eſbahiſſans comment on les auoit ainſi là mis & iettez, durant ce furieux combat.

A ceſte retraite, le iour eſclarci & purgé des fumees & perfums de la canonnerie, apparurent au mylieu de la place huit ou dix gabions en renc, & cinq pieces d’artillerie ſus roue : lesquelles durant la bataille auoient eſté poſees par les canonniers de ſon Excellence. Ce qu’eſtant apperceu par vne ſentinelle monté ſus la haute tour du chaſteau au ſon de la campanelle fut fait & ouy grand effroy & hurlement de ceux du dedens : & fut lors tiré tant d’artillerie par tous les endroits du fort, & tant de ſciopes, fuſees en canon, palles, & lances à feu vers les gabions poſez, qu’on n’euſt point ouy tonner du ciel. Ce nonobſtant, l’artillerie poſee derriere les gabions tira furieuſement par deux fois contre le chaſteau, en grand eſpouuentement du peuple aſſiſtant. Dont tomba par le dehors la muraille iusques au cordon : laquelle, comme ay dit, eſtoit de brique. De ce aduinc que le foſſé fut remply. A la cheute reſta l’artillerie du dedens deſcouuerte : vn bombardier tomba mort du haut de la groſſe tour. Mais c’eſtoit vn bombardier de foin reueſtu. Ceux du dedens adonques commencerent à remparer derriere ceſte breche en grand effort & diligence. Les forains ce pendant feirent vne mine, par laquelle ilz mirent le feu en deux tourrions du chaſteau, lesquelz tombans par terre à la moitié, feirent vn bruit horrible. L’vn d’iceux bruſloit continuellement, l’autre faiſoit fumee tant hydeuſe & eſpaiſſe, qu’on ne pouuoit plus voir le chaſteau.

Derechef fut faite nouuelle batterie, & tirerent les cinq groſſes pieces par deux fois contre le chaſteau. Dont tomba toute l’eſcarpe de la muraille : laquelle, comme ay dit, eſtoit faite de tables & limandes. Dont tombant par le dehors feit comme vn pont tout couurant le foſſé iusques ſus le reuelin. Reſta ſeulement la barriere & rempart, que les tenans auoient dreſſé. Lors pour empeſcher l’aſſaut des forains lesquelz eſtoient tous en ordonnance au bout de la place, furent iettees dix trombes de feu, canons de fuſees, palles, mattons, & potz à feu : & du rempart fut ietté vn bien gros ballon en la place, duquel à vn coup ſortirent trente bouches de feu, plus de mille fuſees enſemble, & trente razes. Et couroit ledit ballon parmy la place, iettant feu de tous coſtez, qui eſtoit choſe eſpouuentable. Foit par l’inuention de meſſer Vincentio Romain, & Francisque Florentin, bombardiers du Pere ſaint. Frerot faiſant le bon compagnon courut apres ce ballon, en l’appellant gueulle d’enfer, & telle de Lucifer, mais d’vn coup qu’il frappa deſſus auecques vn tranſon de picque, il ſe trouua tout couuert de feu, & crioit comme vn enragé, fuyant deça & delà, & bruſlant ceux qu’il touchoit. Puis deuint noir comme vn Ethiopien, & ſi bien marqué au viſage, qu’il y paroiſtra, encores d’icy à trois mois. Sus la conſommation du ballon fut ſonné à l’aſſaut, de la part de ſon Excellence, lequel auecques ſes hommes d’armes à pied couuers de grandes targes d’arain doré à l’antique façon, & ſuiuy du reſte de ſes bandes entra ſus le pont ſuſdit. Ceux du dedens luy feirent teſte ſus le rempart & barriere. A laquelle fut combatu plus felonnement que n’auoit encores eſté. Mais par force en fin franchirent la barriere, & entrerent ſus le rempart. Auquel inſtant lon veit ſus la haute tour les armoiries de ſa Maieſté enleuees auecques feſtons ioyeux. A dextre desquelles peu plus bas eſtoient celles de mon ſeigneur d’Orleans, à gauche celles de ſon Excellence. Qui fut ſur les deux heures de nuict. La Nymphe rauie fut preſentee à ſon Excellence, & ſus l’heure rendue à Diane, laquelle ſe trouua en place comme retournant de la chaſſe.

Le peuple aſſiſtant, grans & menuz, nobles & roturiers, reguliers & ſeculiers, hommes & femmes bien au plein eſiouiz, contens, & ſatisfaits feirent applauſement de ioye & alaigreſſe, de tous coſtez à haute voiz crians & chantans Viue France, France, France, viue Orleans, viue Horace Farneſe. Quelques vns adiouſterent, Viue Paris, viue Bellay, viue la coſte de Langey : nous pouuons dire ce que iadis lon chantoit à la denonciation des ieuz Seculares : Nous auons veu ce que perſonne en Rome viuant ne veit, perſonne en Romme viuant ne verra.

L’heure eſtoit ia tarde & opportune pour ſoupper, lequel pendant que ſon Excellence ſe deſarma, & changea d’habillemens enſemble tous les vaillans champions & nobles combatans, fut dreſſé en ſumptuoſité & magnificence ſi grande, qu’elle pouuoit effacer les celebres banquetz de pluſieurs anciens Empereurs Romains & Barbares : voire certes la patine & cuiſinerie de Vitellius, tant celebree, qu’elle vint en prouerbe, au banquet duquel furent ſeruies mille pieces de poiſſon. Ie ne parleray point du nombre, & rares eſpeces des poiſſons icy ſeruiz : il eſt par trop exceſſif. Bien vous diray, qu’à ce banquet furent ſeruies plus de mille cinq cens pièces de four : i’entens patez, tartes, & dariolles. Si les viandes furent copieuſes, auſſi furent les beuuettes numereuſes. Car trente poinſons de vin, & cent cinquante douzaines de pain de bouche ne durerent gueres, ſans l’autre pain mollet & commun. Auſſi fut la maiſon de mon dit Seigneur Reuerendiſſime ouuerte à tous venans, quelz qu’ilz fuſſent, tout iceluy iour. En la table premiere de la ſalle moyenne furent contez douze Cardinaux, ſauoir eſt,

Le Reuerendiſſime Cardinal Farneſe.

R. C. de ſaint Ange.

R. C. ſainte Flour.

R. C. Sermonette.

R. C. Rodolphe.

R. C. du Bellay.

R. C. de Lenoncourt.

R. C. de Meudon.

R. C. d’Armignac.

R. C. Piſan.

R. C. Cornare.

R. C. Gaddi.

Son Excellence, le Seigneur Stroſſi, l’Ambaſſadeur de Veniſe. Tant d’autres Euesques & Prelatz. Les autres ſalles, chambres, galeries d’iceluy palais eſtoient toutes pleines de tables ſeruies de meſmes pain, vin & viandes. Les nappes leuees pour lauer les mains furent preſentees deux fontaines artificielles ſus la table toutes inſtrophiees de fleurs odorantes auecques compartimens à l’antique. Le deſſus desquelles ardoit de feu plaiſant & redolent compoſé d’eaue ardance musquee : au deſſouz par diuers canaux ſortoit eaue d’Ange, eaue de Naphe, & eaue Roſe. Les graces dites en muſique honnorable, fut par Labbat prononcee auecques ſa grande Lyre, l’Ode que trouuerez icy à la fin, compoſee par mondit Seigneur Reuerendiſſime.

Puis les tables leuees entrèrent tous les Seigneurs en la ſalle maiour, bien tapiſſee & atournee. Là cuydoit on que fuſt : iouee vne Comedie, mais elle ne le fut, par ce qu’il eſtoit ia plus de minuict : & au banquet que mon Seigneur Reuerendiſſime Cardinal d’Armignac auoit fait au parauant en auoit eſté iouee vne, laquelle plus facha que ne pleut aux aſſiſtans, tant à cauſe de ſa longueur & mines Bergamasques aſſés fades, que pour l’inuention bien froide, & argument triuial. En lieu de Comedie au ſon des cornetz, hautzbois, ſacqueboutes, &c. entra vne compagnie de Matachins nouucaux, lesquelz grandement delecterent toute l’aſſiſtance. Apres lesquelz furent introduites pluſieurs bandes de masques, tant gentilzhommes que Dames d’honneur à riches deuiſes & habillemens ſumptueux. Là commença le bal, & dura iusques au iour. Lequel pendant meſdits Seigneurs Reuerendiſſimes, Ambaſſadeurs, & autres Prelatz ſoy retirerent en grande iubilation & contentement.

En ces tournoy & feſtin ie notay deux choſes inſignes. L’vne eſt qu’il n’y eue noiſe, debat, diſſention, ne tumulte aucun : l’autre que de tant de vaiſſelle d’argent en laquelle tant de gens de diuers eſtatz furent ſeruiz, il n’y eut rien perdu n’eſgaré. Les deux ſoirs ſubſequens furent faits feuz de ioye en la place publique deuant le palais de mon dit Seigneur Reuerendiſſime, auecques force artillerie, & tant de diuerſitez de feuz artificielz, que c’eſtoit choſe merueilleuſe, comme de gros ballons, de gros mortiers iettans par chacune fois plus de cinq cens ſciopes & fuſees, de rouetz à feu, de moulins à feu, de nues à feu pleines d’eſtoilles coruſcantes, de ſciopes en canon, aucunes pregnantes, autres reciprocantes, & cent autres ſortes. Le tout fait par l’inuention dudit Vincentio, & du Bois le Court, grand Salpetrier du Maine.


  1. La sciomachie. L’édition originale, dont nous reproduisons le titre, se compose de 31 pages in-8. Elle est d’une extrême rareté. À la vente La Vallière cette précieuse plaquette ne s’était vendue que trois livres, mais en 1864, à la vente de M. Léopold Double, elle a monté jusqu’à 520 francs. L’exemplaire que possède dans sa réserve la Bibliothèque nationale est coté Ln 27 15462, On trouve un autre ouvrage sur le même sujet dans le Recueil de poésies françoises, par Montaiglon, t. X, p. 20.
  2. Tenans. Il y a ici, mais à tort, forains, dans le texte original.