Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/LeTiersLivre/50

Alphonse Lemerre (Tome IIp. 230-233).

Comment doibt estre preparé & mis en œuure
le celebre Pantagruelion.


Chapitre L.


On pare le Pantagruelion soubs l’æquinocte automnal en diuerses manieres, scelon la phantasie des peuples, & diuersité des pays. L’enseignement premier de Pantagruel feut, le tige d’icelle deuestir de feueilles & semence : le macerer en Eaue stagnante non courante par cinq iours, si le temps est sec, & l’eaue chaulde, par neuf ou douze, si le temps est nubileux, & l’eaue froyde : puys au Soleil le seicher : puys à l’vmbre le excorticquer, & separer les fibres (es quelles, comme auons dict, consiste tout son pris & valeur) de la partie ligneuse, laquelle est inutile, fors qu’à faire flambe lumineuse, allumer le feu, & pour l’esbat des petitz enfans enfler les vessies de porc. D’elle vsent aulcunesfoys les frians à cachetes, comme de Syphons, pour sugser & auecques l’haleine attirer le vin nouueau par le bondon. Quelques Pantagruelistes modernes euitans le labeur des mains qui seroit à faire tel depart, vsent de certains instrumens catharactes composez à la forme que Iuno la fascheuse tenoit les doigts de ses mains liez pour empescher l’enfantement de Alcmene[1] mere de Hercules, & à trauers icelluy contundent & brisent la partie ligneuse, & la rendent inutile, pour en sauluer les fibres. En ceste seule præparation acquiescent ceulx qui contre l’opinion de tout le monde, & en maniere paradoxe à tous Philosophes, guaingnent leur vie à recullons[2]. Ceulx qui à profict plus euident la voulent aualluer, font ce que l’on nous compte du passetemps des troys sœurs Parces : de l’esbatement nocturne de la noble Circe : & de la longue excuse de Penelope enuers ses muguetz amoureux, pendent l’absence de son mary Vlyxes. Ainsi est elle mise en ses inestimables vertus, des quelles vous expouseray partie, (car le tout est à moy vous expouser impossible) si dauant, vous interprete la denomination d’icelle.

Ie trouue que les plantes sont nommées en diuerses manieres. Les vnes ont prins le nom de celluy qui premier les inuenta, congneut, monstra, cultiua, apriuoisa, & appropria, comme Mercuriale de Mercure : Panacea de Panace, fille de Æsculapius : Armoise, de Artemis, qui est Diane : Eupatoire, du roy Eupator : Telephium, de Telephus : Euphorbium, de Euphorbus Medicin du roy Iuba : Clymenos, de Clymenus : Alcibiadion, de Alcibiades : Gentiane, de Gentius roy de Sclauonie. Et tant a esté iadis estimée ceste prærogatiue de imposer son nom aux herbes inuentées, que comme feut controuerse meue entre Neptune & Pallas de qui prendroit nom la terre par eulx deux ensemblement trouuée : qui depuys feut Athenes dicte, de Athene c’est à dire Minerue : pareillement Lyncus roy de Scythie se mist en effort de occire en trahison le ieune Triptoleme enuoyé par Ceres pour es homes monstrer le froment lors encores incongneu : affin que par la mort d’icelluy il imposast son nom, & feust en honneur & gloire immortelle dict inuenteur de ce grain tant vtile & necessaire à la vie humaine. Pour laquelle trahison feut par Ceres transformé en Oince, ou Loupceruier. Pareillement grandes & longues guerres feurent iadis meues entre certains Roys de seiour en Cappadoce, pour ce seul different, du nom des quelz seroit vne herbe nommée : laquelle pour tel debat feut dicte Polemonia, comme Guerroyere.

Les aultres ont retenu le nom des regions des quelles feurent ailleurs transportées, comme pommes Medices, ce sont Poncires de Medie, en laquelle feurent premierement trouuées : pommes Punicques, ce sont Grenades, apportées de Punicie, c’est Carthage. Ligusticum, c’est Liuesche, apportée de Ligurie, c’est la couste de Genes. Rhabarbe, du fleuue Barbare nommé Rha, comme atteste Ammianus[3] : Santonicque, fœnu Grec : Castanes, Persicques, Sabine, Stœchas, de mes isles Hieres anticquement dictez Stœchades, Spica Celtica, & aultres.

Les aultres ont leur nom par Antiphrase & contrariété : comme Absynthe, au contraire de pynthe, car il est fascheux à boyre : Holosteon, c’est tout de os : au contraire, car herbe n’est en nature plus fragile & plus tendre, qu’il est.

Aultres sont nommées par leurs vertus & operations, comme Aristolochia, qui ayde les femmes en mal d’enfant. Lichen qui guerit les maladies de son nom. Maulue qui mollifie. Callithrichum, qui faict les cheueulx beaulx. Alyssum, Ephemerum, Bechium, Nasturtium, qui est Cresson Alenoys : Hyoscyame, hanebanes, & aultres.

Les aultres par les admirables qualitez qu’on a veu en elles, comme Heliotrope, c’est Soulcil, qui suyt le Soleil. Car le Soleil leuant, il s’espanouist : montant, il monte : declinant, il decline : soy cachant, il se cloust. Adiantum : car iamais ne retient humidité, quoy qu’il naisse pres les eaues, & quoy qu’on le plongeast en eaue par bien long temps : Hieracia, Eryngion, & aultres.

Aultres par Metamorphose d’homes & femmes de nom semblable : comme Daphne, c’est Laurier, de Daphne : Myrte, de Myrsine : Pytis, de Pytis : Cynara, c’est Artichault : Narcisse, Saphran, Smilax, & aultres.

Aultres par similitude, comme Hippuris (c’est Prelle) car elle resemble à queue de Cheual : Alopecuros, qui semble à la queue de Renard : Psylion, qui semble à la Pusse : Delphinium, au Daulphin : Buglosse, à langue de Beuf : Iris, à l’arc en ciel, en ses fleurs : Myosota, à l’aureille de Souriz : Coronopous, au pied de Corneille. Et aultres. Par reciprocque denomination sont dictz les Fabies, des Febues : les Pisons, des Poys : les Lentules, des Lentiles : les Cicerons, des poys Chices. Comme encores par plus haulte resemblance est dict le nombril de Venus, les cheueulx de Venus, la cuue de Venus, la barbe de Iuppiter, l’œil de Iuppiter, le sang de Mars, les doigtz de Mercure : Hermodactyles : & aultres.

Les aultres de leurs formes : comme Trefeueil, qui ha trois feueilles : Pentaphyllon, qui a cinq feueilles : Serpoullet, qui herpe concre terre : Helxine, Petasites, Myrobalans, que les Arabes appellent Béen, car ilz semblent à gland, & sont vnctueux.


  1. Pour empeſcher l’enfantement de Alcmene. « Adsidere gravidis… digitis pectinatim inter se implexis, veneficium est ; idque compertum tradunt Alcmena Herculem pariente. » (Pline, XXVIII, 6).
  2. Ceulx qui… guaingnent leur vie à recullons. Les cordiers.
  3. Comme atteſte Ammianus. Liv. XXII.