Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/LeTiersLivre/50


Comment doibt eſtre preparé & mis en œuure
le celebre Pantagruelion.


Chapitre L.


On pare le Pantagruelion ſoubs l’æquinocte automnal en diuerſes manieres, ſcelon la phantaſie des peuples, & diuerſité des pays. L’enſeignement premier de Pantagruel feut, le tige d’icelle deueſtir de feueilles & ſemence : le macerer en Eaue ſtagnante non courante par cinq iours, ſi le temps eſt ſec, & l’eaue chaulde, par neuf ou douze, ſi le temps eſt nubileux, & l’eaue froyde : puys au Soleil le ſeicher : puys à l’vmbre le excorticquer, & ſeparer les fibres (es quelles, comme auons dict, conſiſte tout ſon pris & valeur) de la partie ligneuſe, laquelle eſt inutile, fors qu’à faire flambe lumineuſe, allumer le feu, & pour l’eſbat des petitz enfans enfler les veſſies de porc. D’elle vſent aulcunesfoys les frians à cachetes, comme de Syphons, pour ſugſer & auecques l’haleine attirer le vin nouueau par le bondon. Quelques Pantagrueliſtes modernes euitans le labeur des mains qui ſeroit à faire tel depart, vſent de certains inſtrumens catharactes compoſez à la forme que Iuno la faſcheuſe tenoit les doigts de ſes mains liez pour empeſcher l’enfantement de Alcmene[1] mere de Hercules, & à trauers icelluy contundent & briſent la partie ligneuſe, & la rendent inutile, pour en ſauluer les fibres. En ceſte ſeule præparation acquieſcent ceulx qui contre l’opinion de tout le monde, & en maniere paradoxe à tous Philoſophes, guaingnent leur vie à recullons[2]. Ceulx qui à profict plus euident la voulent aualluer, font ce que l’on nous compte du paſſetemps des troys ſœurs Parces : de l’eſbatement nocturne de la noble Circe : & de la longue excuſe de Penelope enuers ſes muguetz amoureux, pendent l’abſence de ſon mary Vlyxes. Ainſi eſt elle miſe en ſes ineſtimables vertus, des quelles vous expouſeray partie, (car le tout eſt à moy vous expouſer impoſſible) ſi dauant, vous interprete la denomination d’icelle.

Ie trouue que les plantes ſont nommées en diuerſes manieres. Les vnes ont prins le nom de celluy qui premier les inuenta, congneut, monſtra, cultiua, apriuoiſa, & appropria, comme Mercuriale de Mercure : Panacea de Panace, fille de Æſculapius : Armoiſe, de Artemis, qui eſt Diane : Eupatoire, du roy Eupator : Telephium, de Telephus : Euphorbium, de Euphorbus Medicin du roy Iuba : Clymenos, de Clymenus : Alcibiadion, de Alcibiades : Gentiane, de Gentius roy de Sclauonie. Et tant a eſté iadis eſtimée ceſte prærogatiue de impoſer ſon nom aux herbes inuentées, que comme feut controuerſe meue entre Neptune & Pallas de qui prendroit nom la terre par eulx deux enſemblement trouuée : qui depuys feut Athenes dicte, de Athene c’eſt à dire Minerue : pareillement Lyncus roy de Scythie ſe miſt en effort de occire en trahiſon le ieune Triptoleme enuoyé par Ceres pour es homes monſtrer le froment lors encores incongneu : affin que par la mort d’icelluy il impoſaſt ſon nom, & feuſt en honneur & gloire immortelle dict inuenteur de ce grain tant vtile & neceſſaire à la vie humaine. Pour laquelle trahiſon feut par Ceres transformé en Oince, ou Loupceruier. Pareillement grandes & longues guerres feurent iadis meues entre certains Roys de ſeiour en Cappadoce, pour ce ſeul different, du nom des quelz ſeroit vne herbe nommée : laquelle pour tel debat feut dicte Polemonia, comme Guerroyere.

Les aultres ont retenu le nom des regions des quelles feurent ailleurs tranſportées, comme pommes Medices, ce ſont Poncires de Medie, en laquelle feurent premierement trouuées : pommes Punicques, ce ſont Grenades, apportées de Punicie, c’eſt Carthage. Liguſticum, c’eſt Liueſche, apportée de Ligurie, c’eſt la couſte de Genes. Rhabarbe, du fleuue Barbare nommé Rha, comme atteſte Ammianus[3] : Santonicque, fœnu Grec : Caſtanes, Perſicques, Sabine, Stœchas, de mes iſles Hieres anticquement dictez Stœchades, Spica Celtica, & aultres.

Les aultres ont leur nom par Antiphraſe & contrariété : comme Abſynthe, au contraire de pynthe, car il eſt faſcheux à boyre : Holoſteon, c’eſt tout de os : au contraire, car herbe n’eſt en nature plus fragile & plus tendre, qu’il eſt.

Aultres ſont nommées par leurs vertus & operations, comme Ariſtolochia, qui ayde les femmes en mal d’enfant. Lichen qui guerit les maladies de ſon nom. Maulue qui mollifie. Callithrichum, qui faict les cheueulx beaulx. Alyſſum, Ephemerum, Bechium, Naſturtium, qui eſt Creſſon Alenoys : Hyoſcyame, hanebanes, & aultres.

Les aultres par les admirables qualitez qu’on a veu en elles, comme Heliotrope, c’eſt Soulcil, qui ſuyt le Soleil. Car le Soleil leuant, il s’eſpanouiſt : montant, il monte : declinant, il decline : ſoy cachant, il ſe clouſt. Adiantum : car iamais ne retient humidité, quoy qu’il naiſſe pres les eaues, & quoy qu’on le plongeaſt en eaue par bien long temps : Hieracia, Eryngion, & aultres.

Aultres par Metamorphoſe d’homes & femmes de nom ſemblable : comme Daphne, c’eſt Laurier, de Daphne : Myrte, de Myrſine : Pytis, de Pytis : Cynara, c’eſt Artichault : Narciſſe, Saphran, Smilax, & aultres.

Aultres par ſimilitude, comme Hippuris (c’eſt Prelle) car elle reſemble à queue de Cheual : Alopecuros, qui ſemble à la queue de Renard : Pſylion, qui ſemble à la Puſſe : Delphinium, au Daulphin : Bugloſſe, à langue de Beuf : Iris, à l’arc en ciel, en ſes fleurs : Myoſota, à l’aureille de Souriz : Coronopous, au pied de Corneille. Et aultres. Par reciprocque denomination ſont dictz les Fabies, des Febues : les Piſons, des Poys : les Lentules, des Lentiles : les Cicerons, des poys Chices. Comme encores par plus haulte reſemblance eſt dict le nombril de Venus, les cheueulx de Venus, la cuue de Venus, la barbe de Iuppiter, l’œil de Iuppiter, le ſang de Mars, les doigtz de Mercure : Hermodactyles : & aultres.

Les aultres de leurs formes : comme Trefeueil, qui ha trois feueilles : Pentaphyllon, qui a cinq feueilles : Serpoullet, qui herpe concre terre : Helxine, Petaſites, Myrobalans, que les Arabes appellent Béen, car ilz ſemblent à gland, & ſont vnctueux.


  1. Pour empeſcher l’enfantement de Alcmene. « Adsidere gravidis… digitis pectinatim inter se implexis, veneficium est ; idque compertum tradunt Alcmena Herculem pariente. » (Pline, XXVIII, 6).
  2. Ceulx qui… guaingnent leur vie à recullons. Les cordiers.
  3. Comme atteſte Ammianus. Liv. XXII.