Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/LeTiersLivre/33

Alphonse Lemerre (Tome IIp. 161-164).

Comment Rondibilis medicin
donne remede à Coquage.


Chapitre XXXIII.


On temps (diſt Rondibilis) que Iuppiter feiſt l’eſtat de la maiſon Olympicque, & le calendrier de tous ſes Dieux & Déeſſes : ayant eſtably à vn chaſcun, iour & ſaiſon de la feſte : aſſigné lieu pour les oracles & voyages : ordonné de leurs ſacrifices : Feiſt il poinct (demanda Panurge) comme Tinteuille euesque d’Auxerre ? Le noble Pontife aymoit le bon vin, comme faict tout home de bien ; pourtant auoit il en ſoing & cure ſpeciale le bourgeon pere ayeul de Bacchus. Or eſt que pluſieurs années il veid lamentablement le bourgeon perdu par les gelées, bruines, frimatz, verglatz, froidures, greſles & calamitez aduenues par les feſtes des S. George, Marc, Vital, Eutrope, Philippe, ſaincte Croix, l’Aſcenſion, & aultres, qui ſont on temps que le Soleil paſſe ſoubs le ſigne de Taurus. Et entra en ceſte opinion, que les ſaincts ſuſditz eſtoient ſaincts greſleurs, geleurs, & guaſteurs du bourgeon. Pourtant vouloit il leurs feſtes tranſlater en hyuer, entre Noël & l’Epiphanie[1] : les licentiant en tout honneur & reuerence, de greſler lors, & geler tant qu’ilz vouldroient. La gelée lors en rien ne ſeroit dommageable, ains euidentement profitable au bourgeon. En leurs lieux mettre les feſtes des ſainct Chriſtophle, ſainct Ian decollaz, ſaincte Magdalene, ſaincte Anne, ſainct Dominicque, ſainct Laurens, voire la Myouſt colloquer en May. Es quelles tant s’en fault qu’on ſoit en dangier de gelée, que lors meſtier on monde n’eſt, qui tant ſoit de requeſte : comme eſt des faiſeurs de friſcades, compoſeurs de ioncades, agenſeurs de feueillades, & refraiſchiſſeurs de vin.

Iuppiter (diſt Rondibilis) oublia le paouure Diable Coqüage, lequel pour lors ne feut præſent : il eſtoit à Paris on Palais ſollicitant quelque paillard procés pour quelqu’vn de ſes tenanciers & vaſſaulx. Ne ſçay quans iours après Coqüage entendit la forbe qu’on luy auoit faict : deſiſta de ſa ſollicitation par nouuelle ſollicitude de n’eſtre forclus de l’eſtat : & comparut en perſone dauant le grand Iuppiter, alleguant ſes merites præcedens, & les bons & agreables ſeruices que aultres foys luy auoit faict, & inſtantement requerant qu’il ne le laiſſaſt ſans feſte, ſans ſacrifices, ſans honneur. Iuppiter ſe excuſoit remonſtrant, que tous ces benefices eſtoient diſtribuez, & que ſon eſtat eſtoit clous. Feut toutesfoys tant importuné par meſſer Coqüage, que en fin le miſt en l’eſtat & catalogue, & luy ordonna en terre honneur, ſacrifices & feſte. Sa feſte feut, pource que lieu vuide & vacant n’eſtoit en tout le calendrier, en concurrence & au iour de la Déeſſe Ialouſie : ſa domination, ſus les gens mariez, notamment ceulx qui auroient belles femmes : ſes ſacrifices, ſoubſon, defiance, malengroin, guet, recherche, & eſpies des mariz ſus leurs femmes. Auecques commendement riguoureux à vn chaſcun marié, de le reuerer & honorer, celebrer ſa feſte à double : & luy faire les ſacrifices ſuſdictz. Sus peine & intermination, que à ceulz ne ſeroit meſſer Coqüage en faueur, ayde, ne ſecours, qui ne l’honoreroient comme eſt dict : iamais ne tiendroit de eulx compte : iamais n’entreroit en leurs maiſons : iamais ne hanteroit leurs compaignies : quelques inuocations qu’ilz luy feiſſent : ains les laiſſeroit eternellement pourrir ſeulz auecques leurs femmes ſans corriual aulcun : & les refuyroit ſempiternellement comme gens Hæreticques & ſacrileges. Ainſi qu’eſt l’vſance des aultres Dieux, entiers ceulx qui deuement ne les honorent : de Bacchus, enuers les vignerons : de Ceres, enuers les laboureux : de Pomona, enuers les fruictiers : de Neptune, enuers les nautonniers : de Vulcan, enuers les forgerons : & ainſi des aultres. Adioincte feut promeſſe au contraire infallible, qu’à ceulx, qui (comme eſt dict) chommeroient ſa feſte, ceſſeroient de toute negociation, mettroient leurs affaires propres en non chaloir, pour eſpier leurs femmes, les referrer & mal traicter par Ialouſie, ainſi que porte l’ordonnance de ſes ſacrifices, il ſeroit continuellement fauorable : les aymeroit, les frequenteroit, ſeroit iour & nuyct en leurs maiſons : iamais ne ſeroient deſtituez de ſa præſence. I’ay dict.

Ha, ha, ha, (diſt Carpalim en riant) voyla vn remede encores plus naïf que l’anneau de Hans Carüel. Le Diable m’emport, ſi ie ne le croy. Le naturel des femmes eſt tel. Comme la fouldre[2] ne briſe & ne bruſle, ſinon les matieres dures, ſolides, reſiſtentes : elle ne ſe arreſte es choſes molles, vuides, & cedentes : elle bruſlera l’eſpée d’aſſier, ſans endommaiger le fourreau de velours : elle conſumera les os des corps ſans entommer la chair qui les couure : ainſi ne bendent les femmes iamais la contention, ſubtilité, & contradidion de leurs eſpritz, ſi non enuers ce que congnoiſtront leurs eſtre prohibé & defendu. Certes (diſt Hippothadée[3]) aulcuns de nos docteurs diſent, que la premiere femme du monde, que les Hebrieux noment Eue, à poine euſt iamais entré en tentation de manger le fruict de tout ſcauoir, s’il ne luy euſt eſté defendu. Qu’ainſi ſoit, conſyderez comment le Tentateur cauteleux luy remembra on premier mot la defenſe ſus ce faicte, comme voulent inferer : il t’eſt defendu, tu en doibs doncques manger : ou tu ne ſerois pas femme.


  1. Entre Noël & l’Epiphanie. 1546 : entre Noel & la Tiphaine (ainſi nommait il la mere de troys Roys).
  2. Comme la fouldre. Plutarque, Propos de table, IV, 2.
  3. Hippothadée. Dans 1546, il est toujours appelé : Parathadée.