Les Œuvres de François Rabelais (Éditions Marty-Laveaux)/Gargantua/29

Texte établi par Charles Marty-LaveauxAlphonse Lemerre (Tome Ip. 112-113).


Le teneur des lettres que Grandgousier
escripvoit à Gargantua.


Chapitre XXIX.


La ferveur de tes estudes requeroit que de long temps ne te revocasse de cestuy philosophicque repous, sy la confiance de noz amys et anciens confederez n’eust de present frustré la seureté de ma vieillesse. Mais, puis que telle est ceste fatale destinée que par iceulx soye inquieté es quelz plus je me repousoye, force me est te rappeler au subside des gens et biens qui te sont par droict naturel affiez.

Car, ainsi comme debiles sont les armes au dehors si le conseil n’est en la maison, aussi vaine est l’estude et le conseil inutile qui en temps oportun par vertus n’est executé et à son effect reduict.

Ma deliberation n’est de provocquer, ains de apaiser ; d’assaillir, mais defendre ; de conquester, mais de guarder mes feaulx subjectz et terres hereditaires, es quelles est hostillement entré Picrochole sans cause ny occasion, et de jour en jour poursuit sa furieuse entreprinse avecques excès non tolerables à personnes liberes.

«  Je me suis en devoir mis pour moderer sa cholere tyrannicque, luy offrent tout ce que je pensois luy povoir estre en contentement, et par plusieurs foys ay envoyé amiablement devers luy pour entendre en quoy, par qui et comment il se sentoit oultragé ; mais de luy n’ay eu responce que de voluntaire deffiance et que en mes terres pretendoit seulement droict de bienseance. Dont j’ay congneu que Dieu eternel l’a laissé au gouvernail de son franc arbitre et propre sens, qui ne peult estre que meschant sy par grâce divine n’est continuellement guidé, et, pour le contenir en office et reduire à congnoissance, me l’a icy envoyé à molestes enseignes.

«  Pourtant, mon filz bien aymé, le plus tost que faire pouras, ces lettres veues, retourne à diligence secourir, non tant moy (ce que toutesfoys par pitié naturellement tu doibs) que les tiens, lesquelz par raison tu peuz saulver et guarder. L’exploict sera faict à moindre effusion de sang que sera possible, et, si possible est, par engins plus expediens, cauteles et ruzes de guerre, nous saulverons toutes les ames et les envoyerons joyeux à leurs domiciles.

«  Tres chier filz, la paix de Christ, nostre redempteur, soyt avecques toy.

«  Salue Ponocrates, Gymnaste et Eudemon de par moy.

«  Du vingtiesme de Septembre.

«  Ton père, GRANDGOUSIER. »