Les épisLa Cie J.-Alfred Guay (p. 199-204).

L’église des Hurons


Là-bas, sur les hauteurs, au pied des Laurentides,
S’élève, solitaire, un modeste hameau.
La rivière Saint-Charles, avec ses eaux limpides
Que voile, en maint endroit, l’ombre d’un jeune ormeau,
Caresse, en murmurant, le seuil de ce village,
Et, quand elle le quitte, on dirait que de rage
Sur son lit de cailloux elle s’agite et fuit,
Comme un daim effaré qu’une meute poursuit.
Dans un gouffre profond qui tout à coup s’entr’ouvre,
L’onde vertigineuse arrive avec fureur,
Rebondit sur le roc, se déchire et le couvre
De flots d’écume et de vapeur.

Le village est paisible et son aspect est triste.
Des enfants basanés, à l’œil noir et mutin,
Y suivent pas à pas chaque nouveau touriste,
Pour lui vendre un panier qu’ils ont fait le matin,

Ou, pour avoir un sou tendent une main sale.
D’autres, un peu plus grands, d’une fierté royale,
Armés d’un arc de frêne et d’un léger carquois,
Semblent chercher encor le féroce Iroquois ;
Car ces jeunes garçons au visage de cuivre,
Ont appris de l’aïeul à détester ce nom.
Et c’est dans ce hameau que nous voyons survivre
Le descendant du vieux Huron.

Comme un phare au milieu de la pauvre bourgade,
Naguère une chapelle, à l’antique façade,
Vers le ciel élevait la croix de son clocher.
En souliers mous, et fiers de leur chemise blanche,
Les hommes s’y rendaient par groupes, le dimanche.
Plus pieuses peut-être on voyait s’approcher,
Même bien avant l’heure où la porte est ouverte,
Les femmes se drapant dans leur sombre couverte.
Avec les flots d’encens et la voix du pasteur,
Bientôt les cœurs émus montaient vers le Seigneur.

Mais hélas ! aujourd’hui le béni sanctuaire
N’est qu’un mûr délabré !
Le sauvage n’a plus son temple tutélaire
Son refuge sacré.

Il erre, sombre et triste, au milieu des ruines
Que l’herbe va couvrir,
Cherchant de quels forfaits les vengeances divines
Ont voulu le punir.

Il n’entend plus la voix de sa joyeuse cloche
Annonçant, tour à tour,
Que déjà du repos l’heure calme s’approche,
Ou qu’enfin il est jour.
Il n’entend plus jamais les chants des brunes vierges
Élevant vers le ciel
Une âme tout en feu, comme les pâles cierges
Qui brûlaient sur l’autel.

Le dimanche, autrefois, c’était fête au village ;
Aujourd’hui tout est deuil.
De son humble maison le timide sauvage
Ne laisse plus le seuil.
Son cœur se refroidit et sa vertu chancelle
Sous le vent du malheur,
Comme on voit chanceler une frêle nacelle
Sur la mer en fureur.

Et l’on dit que le soir, lorsque d’épaisses ombres
Enveloppent ce lieu,

On voit passer souvent, au milieu des décombres
De la maison de Dieu,
Une forme superbe, agile et plus exquise
Que les plus douces fleurs ;
Elle paraît s’asseoir sur une pierre grise,
Et répandre des pleurs.

Et plus loin, sur les bords de la belle cascade,
Quand on approche un peu,
On voit un spectre nain, qui sautille, gambade,
Et de ses yeux de feu
Regarde fixement, riant avec malice,
Le saint temple détruit ;
Puis soudain il s’élance au fond du précipice,
Dès qu’une étoile luit.

Et l’on croit au hameau que cette forme exquise,
Ce fantôme brillant
Qui visite, la nuit, les restes de l’église
Et s’assied en pleurant,
C’est l’ange à qui le ciel a confié la garde
Du village huron ;
Et que le spectre affreux qui rit et le regarde,
Est un méchant démon.


Qui donc sera vainqueur dans cette lutte étrange
Entre l’esprit céleste et le spectre maudit ?
Le sourire du nain ou la larme de l’ange ?
Écoutez ce qu’un jour une femme entendit :

Une jeune Huronne allait seule, en silence,
Pleurant le bien-aimé qui ne doit plus venir.
Sous un feuillage épais que la brise balance
Elle vient s’arrêter pour mieux se souvenir.

Comme un saule rompu son pâle front s’incline ;
Ses regards enivrés commencent à languir.
Tout flotte vaguement. Le jour partout décline.
Elle entend des accords qui la font tressaillir :

« C’est en vain que tu veux, démon de la vengeance,
« À ce peuple ravir sa plus chère espérance
« Et le germe sacré de sa douce croyance.

« De ses débris fumants le temple sortira,
« Au-dessus du hameau la croix sainte luira,
« Et sur l’humble parvis le sauvage priera. »

Et ce chant prophétique était comme un dictame
Pour le cœur affligé de la dolente femme.


Elle vit aussitôt l’ange tout radieux
Essuyer sa paupière et remonter aux cieux.

Sur la chute elle vit alors le nain immonde
Grincer des dents, rugir et s’élancer dans l’onde.

Elle vit s’élever au milieu du hameau,
Sur les cendres du temple un beau temple nouveau.