Les épisLa Cie J.-Alfred Guay (p. 9-12).


Le retour


À travers les rameaux d’une forêt épaisse
Le vent faisait entendre un sourd gémissement ;
La neige, en tourbillons, roulait, roulait sans cesse,
Et les ombres du soir montaient au firmament.

Au bord de la forêt était une chaumière,
Qui semblait un vieux nid tombé d’un rameau noir.
Le jour, quatre carreaux lui donnaient la lumière,
Mais nulle lampe, hélas ! ne l’éclairait le soir.

Une femme, encor jeune et portant, comme un voile,
Sur son front incliné les traces du chagrin,
Était assise seule à la porte du poêle,
Et filait sa quenouille en chantant un refrain.


Auprès d’elle un enfant, sur un grabat de mousse,
Doucement s’endormait en priant le bon Dieu.
Ernest avait dix ans : sa parole était douce ;
Il était le meilleur des enfants de ce lieu.

Et puis, de temps en temps, la solitaire femme
Regardait une croix pendant aux murs noircis :
Alors un long soupir s’échappait de son âme,
Et sur sa main tombait son front plein de soucis.

De temps en temps encor, sa paupière baissée
Laissait couler des pleurs qui semblaient superflus.
Elle n’espérait point. D’une voix oppressée
Elle disait : Ô ciel ! il ne reviendra plus !

Or, comme elle chantait, unissant son cantique
Aux grondements amers du vent impétueux,
Un homme vint frapper à sa porte rustique.
Il entra s’appuyant sur un bâton noueux.

Elle trembla de peur ainsi qu’une colombe
Tremble, au fond de son nid, à l’aspect d’un vautour.
— « Femme, dit l’étranger, de fatigue je tombe,
Puis-je ici du matin attendre le retour ? »


Elle lui répondit : « Le Seigneur me préserve
« De rester insensible à la voix du malheur !
« Assoyez-vous, monsieur, et que Dieu vous conserve !
« Qu’il vous donne la paix et calme ma douleur ! »

L’étranger près du feu vint s’asseoir sans attendre.
Une breloque d’or à son gilet pendait ;
Son œil, couleur du ciel, était brillant et tendre ;
Sa barbe à sa poitrine en ondes descendait.

— « Femme, votre douleur est-elle sans remède ?
« Votre cœur abattu ne peut-il espérer ?
« Au temps, vous le savez, toute amertume cède ;
« S’il n’emporte la peine il sait la tempérer.

— « Hélas ! reprit la femme, essuyant une larme,
« J’ai connu le bonheur et j’ai béni mon sort ;
« Mais pour moi, maintenant, le jour n’a plus de charme
Je n’aime plus la vie et pourtant crains la mort.

« Par mon travail constant j’éloigne la misère ;
« Et mon petit Ernest est si beau, si vermeil !
« Pauvre ange, il ne sait pas tous les pleurs que sa mère
« Verse pendant qu’il dort d’un paisible sommeil.


« Le cher petit n’a point souvenir de son père,
« Car il ne laissait pas encore mes genoux
« Quand cet homme adoré, sur la rive étrangère,
« Pour recueillir de l’or, s’en alla loin de nous.

« Nous n’avions pas besoin de ces richesses vaines ;
« Nous nous aimions tous deux et c’était le bonheur.
« Souvent la pauvreté voit des heures sereines,
« Et l’or ne guérit point les blessures du cœur.

« Ah ! si je le voyais avant que de descendre
« Dans le sombre tombeau que m’ouvrent les ennuis !…
« Je prie en vain le ciel ; il ne veut pas m’entendre,
« Et les jours ont pour moi plus d’ombres que les nuits. »

Elle disait ainsi les chagrins de sa vie,
Et des larmes tombaient des yeux de l’inconnu ;
Il se jette soudain à ses pieds et s’écrie :
« Femme, console-toi, ton époux est venu. »