Les Îles de la Madeleine et les Madelinots/12

Imprimerie Générale de Rimouski (p. 108-128).

ÉMIGRATION

L’idée d’émigrer s’empara violemment des Madelinots vers 1848. Résumons les principales causes de cet exode : Coffin veut faire reconnaître et accepter ses titres de seigneur ; nos Madelinots s’y refusent avec opiniâtreté ; il leur demande une rente exagérée pour quelques arpents de terre ; il les poursuit, leur enlève leurs propriétés ou les tient dans une inquiétude constante. Quelques marchands sans conscience leur font payer les articles les plus indispensables à la vie 75 à 100% plus cher qu’à Québec ; loin de les encourager à cultiver la terre, ils cherchent plutôt à les en détourner ; ils leur font trop de crédits et les tiennent systématiquement enchaînés dans les dettes. Les étrangers viennent s’emparer des meilleurs fonds de pêche, des grèves, même de toutes les Îles dans la belle saison ; et aucun pouvoir civil ne protège les insulaires qui sont obligés d’aller chercher à la Baie Saint-Georges et sur la Côte-Nord le poisson qu’ils pourraient prendre aisément à leur porte, n’étaient ces nuées de pirates qui s’abattent sur leur territoire. Dans ces courses lointaines, ils font des marchés plus avantageux qu’aux Îles, rencontrent des lieux habitables et en rapportent la description à leurs familles émerveillées. Une disette, une famine, qui plongea toute la population dans la misère noire en l’hiver 1847-48, en décide enfin un grand nombre à s’expatrier.

À la Baie Saint-Georges

Voici en quels termes pathétiques l’abbé Bélanger décrit la situation au mois de mai 1848 :

« Fatigués de souffrir de la faim et ne voyant devant elles que la fâcheuse perspective de souffrir encore davantage à l’avenir, un grand nombre de familles originaires de ces îles émigrent sur les plages arides, hâves et sauvages de la Baie Saint-Georges. Quinze familles sont parties la semaine dernière de mes anciennes missions ; autant d’autres de ma mission actuelle s’embarquent aujourd’hui avec leur pauvre bagage pour faire voile vers le même lieu. Leur séparation de leurs parents, et amis est pitoyable. Leurs adieux sont des gémissements et des larmes. Ces pauvres gens s’éloignent de nos rivages sans espoir de revenir jamais s’y fixer.

« Je vis hier un respectable vieillard âgé de quatre-vingts ans, marchant avec peine appuyé sur sa canne. Il me dit qu’il était sur le point de partir. Touché de compassion de le voir s’expatrier à la veille de la mort, je lui dis qu’il allait mourir dans une terre étrangère où il serait privé de tous les secours de la religion et où il ne trouverait seulement pas un petit coin de terre bénite pour y faire déposer ses os. Il me témoigna de bons attachements pour la religion et pour ses ministres en me répondant avec cette belle et antique foi des Acadiens : « Je pars pour suivre mes enfants, unique ressource de ma vieillesse, mais je vous déclare que la mort me serait plus douce que le départ. Vous voyez que je puis à peine me traîner sur mes cannes (jambes). Eh bien ! si le bon Dieu ne m’ôte pas la vie cet hiver et si je trouve une occasion, quand même je ne pourrais plus marcher qu’à quatre pattes, je vous promets que je reviendrai le printemps prochain pour faire mes Pâques ici et pour vous voir encore une fois. » Je fus profondément ému en entendant l’expression sincère des sentiments de son cœur. Je lui enseignai la manière de s’exciter à la contrition parfaite accompagnée du désir de recevoir les sacrements, en cas de danger de mort. Je lui délivrai un certificat de bonne conduite, et il me quitta en pleurant et en me serrant la main.

« Peu de maladies et de mortalités. Mais bien des faces blêmes et livides portant l’empreinte d’une extrême misère. Personne n’a de patates pour planter, ni aucune espèce de grain pour semer. La moitié des gens ne pourront point avoir chez les marchands des avances pour la pêche. Toutes les maisons sont vides de provisions. Plus d’un tiers sans moyen quelconque pour en acheter. Plusieurs ont détruit et mangé tous leurs bestiaux cet hiver. »

Le 15 juillet 1849, écrivant à Monseigneur Turgeon, il ajoutait : « La moitié de nos insulaires est décidée d’aller se fixer sur la côte ouest de Terre-Neuve. Ils sont fatigués de la misère : la terre et la mer ne leur donnent que miette à miette les choses indispensables à la vie. Pour achever de les déterminer il faudrait un prêtre. Ils me supplient de les accompagner pour fonder une mission à la Baie-des-Îles. » Au printemps de 1850, avant de partir pour la Baie-des-Îles et la Baie Saint-Georges, il écrit : « La plupart des Madelinots s’y transporteront au cours de l’été. Monseigneur Flemming leur tend les bras. »

Ces prévisions ne se réalisèrent pas tout à fait. Maintes gens à la veille de partir virent leurs barques et leur butin saisis par les marchands vampires de l’endroit. Et il n’apparaît pas que le courant d’émigration fut bien fort de ce côté. Il prit plutôt la direction du nord.

L’expédition de Pic-de-Lis se composait de Jean Cormier, Vital Chevarie, Fabien Lapierre, Isidore Vigneau et leurs familles. Le petit Poirier de l’Étang-du-Nord et Michel Lapierre les ont traversés dans le mois de mai, Vital Chevarie et Isidore Vigneau ont été à la Baie Saint-Georges et les deux autres à Pic-de-Lis. Michel Lapierre est retourné les chercher le même automne. Ils avaient eu de la misère à vivre l’été, étant obligés de lever des « coqs » pour se faire de la soupe ; et, sans les Français établis à l’Île Rouge, pas loin de là, lesquels leur fournirent des provisions, ils auraient cruellement souffert de la faim. (Renseignements fournis par Placide Vigneau qui les eut de Nelson Giasson, renseigné lui-même par Nazaire Cormier, ancien habitant du Havre-Aubert).

Sur la Côte-Nord

Avant de donner quelques détails sur l’émigration des Madelinots vers la Côte-Nord, il est bon de faire connaître la situation de cette partie du pays à cette époque. Depuis le cap Whittle jusqu’à Tadoussac, c’est-à-dire sur un parcours d’environ 300 milles, on ne rencontrait que les postes de la Compagnie de la Baie d’Hudson, tels que Port-Neuf, Bethsiamits, Godbout, Sept-Îles, Mingan, Natashquan, Masquaroo, etc. Les autres, de moindre importance, étaient des postes de pêche en été et de chasse en hiver. L’Honorable Compagnie avait aussi une ou plusieurs chaloupes armées pour faire la police le long des côtes. Pendant les années 1853 et 54, quelques firmes jersiaises, possédant des pêcheries dans la Baie des Chaleurs et autres localités des côtes gaspésiennes, fondèrent des établissements de pêche à Sheldrake, Rivière-au-Tonnerre, Longue-Pointe-de-Mingan et aux environs. Le bail de la Compagnie allait expirer, et les agents s’étaient considérablement relâchés de leur morgue insolente et de leur sévérité tyrannique envers ceux qui avaient la malencontreuse audace de s’aventurer sur leur domaine. Les Madelinots étaient de ceux-là.

Blanc-Sablon et ses alentours étaient habités depuis avant 1800 par les établissements de pêche des Jersiais : de Quetteville,[1] Le Brocy, le Boutillier, Syvret, Guillaume LeGressley. Vers 1840, le capitaine Le Scelleur, agent de Quetteville, s’avisa d’aller engager des pêcheurs des Îles de la Madeleine pour pêcher au cent. LeBoutillier suivit son exemple. Ils leur fournissaient barge, bouette, etc., et leur payaient une piastre, moitié en effets, moitié en argent, pour cent morues rondes jetées sur le chaffaud… Les années où la morue donnait abondamment, d’aucuns faisaient des affaires d’or. Un vaisseau les allait chercher aux Îles au commencement de juin pour les y ramener vers la fin d’août. Il s’engageait aussi des trancheurs pour un salaire de $30 à $35 par mois à bord des Américains qui les débarquaient aux Îles en s’en retournant dans leur pays. Les Madelinots avaient ainsi l’avantage de connaître toute cette partie de la Côte-Nord, du Labrador et de Terre-Neuve ; mais ils n’allaient pas au delà de Natashquan. Telle fut l’origine de leur émigration sur la Côte-Nord.

En 1854, Jean Boudreau mit le cap sur Kégaska. Il était accompagné de Narcisse Hervé, Laurent Gallant, Isidore Chiasson, Urbain et Laurent Bourgeois et leurs familles, tous de l’Étang-du-Nord. La même année, Lazare Petitpas partit du Cap-aux-Meules pour s’établir à Blanc-Sablon.

En 1855, Paul, Jean, Hilaire, Placide et Ignace Vigneau, Victor Cormier et son fils Rémi, Jean Chiasson et Pierre Lapierre, tous avec leurs familles, se fixèrent à Natashquan. En même temps d’autres familles de l’Étang-du-Nord s’en vont à Kégaska : Patrice Chiasson, Boniface Bourgeois, Jude Poirier, Bertrand Déraps.

En 1856, Charles Vigneau, Paul Landry, Louis Talbot, Prosper Bourgeois, Thimothé Chiasson, tous du Havre-Aubert, vont rejoindre leurs compatriotes de Natashquan.
Le Havre-aux-Maisons

En 1857, quinze familles du Havre-aux-Maisons et du Cap-aux-Meules fondent la capitale du Nord : la Pointe-aux-Esquimaux. — Havre Saint-Pierre depuis 1924. — Pour se faire une petite idée de ce qu’étaient ces gigantesques équipées vers le nord, ouvrons le journal, si exact et si palpitant d’intérêt, tenu à jour par Placide Vigneau, le distingué historiographe de la Côte-Nord ; qu’il daigne agréer mes chaleureux remerciements pour tous les précieux documents qu’il a si cordialement mis à ma disposition.

« Départ, 27 ou 28 mai 1857 ; chaloupe Mariner, capitaine-propriétaire, Firmin Boudreau ; familles, Nathaël, fils du capitaine, Benjamin Landry, son gendre, François Petitpas, Louis Cormier, son beau-frère, John Boudreau (Madoise) et quelques jeunes gens dont les familles avaient l’intention de traverser bientôt.

« Le Mariner fait voile vers la Côte-Nord en quête d’une situation favorable pour le nouvel établissement. Il atterrit à la Rivière-aux-Corneilles, à quelques milles à l’est de l’île Sainte-Geneviève, vers le soir, y ancre pour la nuit. Le lendemain, le chaloupe appareille en route vers l’ouest, passant au large des îles de Betchouans et de Saint-Charles et arrive le soir dans l’anse de l’ouest de l’île du Havre de la Pointe-aux-Esquimaux pour y passer la nuit. Au petit jour, en avant entre les îles et la terre ferme. Ils parviennent ainsi à Mingan qui conquit du premier coup toutes les sympathies. Ils s’empressent de débarquer avec enthousiasme les bestiaux, effets, etc., lorsque l’agent de la Compagnie de la Baie d’Hudson s’y oppose formellement. Devant la force pas de résistance. Découragés et tout en larmes. ils songent à regagner le sol natal, quand ils rencontrent le Révérend Père Charles Arnaud, o.m.i. (d’Avignon, France) chargé des missions montagnaises de la Côte-Nord et le capitaine Placide Lemarquand qui les encouragent et les relèvent de leur abattement, en leur faisant entrevoir la possibilité de trouver entre Mingan et Sainte-Geneviève un emplacement favorable. Fortifiés, ils font voile à l’est, passent la Pointe-aux-Esquimaux, sans songer à s’y arrêter et arrivent aux Betchouans, le 9 juin. Ils mouillent l’ancre, descendent et visitent : havre excellent, terrain pierreux, une seule source d’eau potable. Devant cette situation peu alléchante, quelques femmes font remarquer timidement qu’elles ont observé, à mi-chemin entre Betchouans et Mingan un site qui leur a beaucoup plu. Après quelques heures de réflexion, on se rend à ce dernier parti et le lendemain, 10 juin, un mercredi, veille de la Fête-Dieu, on hisse les voiles. Vers midi, le Mariner jette l’ancre devant la Pointe. Après un rapide coup d’œil, tout l’équipage est conquis, et, séance tenante, bestiaux, effets et matériaux, tout est débarqué. On bâtit à la hâte quelques cabanes pour l’été, pour y abriter les vieillards, les femmes et les enfants. Après cette sommaire prise de possession, tous les hommes sous le commandement de Nathaël se rendent à Sheldrake pour la pêche ».

Chaque année ensuite, d’autres familles s’ajoutent aux premières. Le gros de l’émigration se porte surtout vers la Pointe-aux-Esquimaux. Le poste de Kégaska ne dure que 23 ans. Pendant ce temps les Acadiens l’abandonnent, en vendant leurs propriétés à des Irlandais venus de Terre-Neuve, et vont fonder Betchouans d’où ils lèvent le camp en 1887 pour s’éparpiller un peu partout.

Natashquan était le poste le plus avantageux pour la pêche. Les gens y vivaient dans l’abondance ; tous avaient le précieux bas de laine chargé d’épargnes : point de dettes. Leur situation s’était considérablement améliorée depuis leur départ des Îles. C’était l’âge d’or : la mer leur donnait le poisson qui se vendait bien ; la forêt, le bois et les insurpassables pelleteries du Nord. La paix régnait parmi eux. Il en était de même à la Pointe où une église et une école s’érigeaient déjà au milieu du gracieux et coquet village. Un missionnaire y résidait en 1860 et le premier instituteur en 1862. L’immigration continua son cours, si bien qu’en 1865, il y avait plus de 120 familles acadiennes sur la Côte. En 1872 les Sept-Îles furent fondées par Dominique Chiasson, du Bassin, qu’on appelait Dominique à Jean Natha, Benj. Montigny et quelques autres familles, des Lebel et des Hébert, qui en revinrent deux ans plus tard. D’autres de la Pointe fondèrent Washtawaka en 1874, mais déguerpirent en 1886 pour la Beauce. Ainsi, il s’est établi des Madelinots tout le long de la côte : à Auguanish, Piastrebaie, Rivière-au-Tonnerre, Sheldrake, Moisie, Sainte-Marguerite, Pentecôte, etc… Mais à la fin il n’est resté que trois postes importants : Natashquan, la Pointe-aux-Esquimaux et les Sept-Isles.

L’abbé Ferland qui visitait ces gens en 1859, eut un bon mot à leur endroit : c’est « une population vigoureuse, morale et franchement catholique. Les hommes en général sont forts et robustes. Ils sont surtout de hardis navigateurs ; les mères de famille sont bien instruites des vérités de la religion et savent élever leurs enfants dans la crainte de Dieu… Les maisons sont propres à l’extérieur et à l’intérieur ; la bonne tenue qui y règne prouve que les habitants ont joui d’une certaine aisance dans leur ancienne patrie ». À Natashquan, il dit la messe chez la patriarche du lieu. Victor Cormier, « famille extrêmement respectable ». Il apprend d’un pêcheur que ce sont les plaies d’Égypte qui les ont fait décoller des Îles de la Madeleine : « Les trois premières, ce sont les mauvaises récoltes, les seigneurs et les marchands ; les quatre autres ont fait leur sinistre apparition avec les gens de loi. Du moment que les avocats ont paru, impossible d’y tenir plus longtemps ! »

De fait, ça ne pouvait pas être le manque d’espace, puisque les Îles ne contenaient qu’une population d’environ 2000 âmes, à cette époque. En vérité, il fallait bien les plaies d’Égypte pour forcer ces gens d’abandonner le sol qu’ils avaient défriché, leurs maisons, leur prêtre et se réfugier en intrus dans la sauvagerie du nord, loin des secours spirituels, sur une seigneurie[2] encore moins avantageuse que la première, parce qu’il leur était tout à fait impossible d’avoir des titres de possession. (Depuis longtemps déjà, ils les obtiennent en bonne et due forme).

C’est pourquoi l’abbé Ferland élève la voix, afin que le gouvernement protège ces colons « formés aux durs travaux de la terre et de la mer, appartenant au pays, parlant le doux parler de France, fermement attachés à la religion de la majorité des habitants du pays, capables de mettre en valeur les pêcheries, de fournir de bons marins, de lutter pour conserver au Canada ses droits et ses privilèges contre les envahissements des spéculateurs des États-Unis ». Nous verrons dans un autre chapitre, quelle protection fut tardivement accordée aux Îles de la Madeleine ; ce ne fut pas mieux sur la Côte-Nord. Ils s’y sentaient tout de même plus à l’aise au point de vue matériel. La pêche dans le nord, que les Madelinots menaient alors sur une grande échelle, entretenait les relations entre ces deux colonies acadiennes et accentuait le courant d’émigration. De telle sorte que les expatriés continuaient de respirer l’atmosphère du pays natal dont ils se croyaient à peine distants, malgré les 300 milles qui les séparaient de leurs chères îles.

Jusqu’en 1880, cette population s’accrut continuellement, car il n’y avait pas de perte. Les enfants se mariaient et s’établissaient autour de leurs parents. Mais voici les mauvaises années, le poisson qui manque, la misère qui s’en vient au triple galop ! Que faire ? Évidemment il faut encore transporter ses pénates ailleurs, mais où aller ? Retourner aux Îles ? Mais on en est parti parce qu’on n’y pouvait plus tenir !…

Dans la Beauce

En 1885, l’abbé Boutin, vicaire à Saint-Georges de Beauce, fut chargé de la desserte de onze missions sur la Côte-Nord, avec pied à terre à Notre-Dame-de Natashquan. En voyant ces pauvres pêcheurs plongés dans la misère, il eut l’excellente idée de travailler à les sortir de ce marasme. Il connaissait bien les plaines si fertiles de la Beauce et il savait que la place ne manquait pas pour de nouveaux colons. Il propose donc à ses gens d’aller s’établir sur des terres où ils deviendront cultivateurs. La perspective de posséder un lot et d’y vivre sans l’inquiétude harassante du pêcheur leur sourit. Le projet ébauché, il fallait l’approbation de Mgr Bossé, préfet apostolique du Golfe St-Laurent, et l’aide du gouvernement pour le réaliser. Cela s’obtint sans misère. Le premier ministre, l’hon. J. J. Ross, promit d’accorder des titres aux conditions ordinaires, d’aider à bâtir une maison en bois rond sur chaque lot et de nourrir les familles durant le premier hiver. Jusque là, c’était parfait, mais le moyen de transporter tout ce monde ? Le gouvernement de Québec ne voulant rien faire en ce sens, l’abbé Boutin s’adressa alors à Ottawa, et fut exaucé. Le Napoléon III, en revenant de desservir les phares du Golfe, conduirait tous ces futurs colons à Québec. La majorité des émigrants partit de Natashquan. « Avant de s’embarquer, ils entendirent tous la sainte messe puis se rendirent au cimetière, afin de prier une dernière fois sur la tombe de leurs chers défunts et aussi pour leur dire un dernier adieu en ce monde. » (Boutin).

Ils étaient une trentaine de familles : Hilaire, Eusèbe, Isidore, Charles, Ignace, Alexandre, Hippolyte et Nathaël Vigneau ; William, Émile, Henri, Nazaire Cormier et un de ses fils marié ; Abel et Hippolyte Chevarie et un autre Chevarie dont le prénom est perdu ; Gilbert, Henri et Thimothée Chiasson ; Siméon Lapierre et deux autres du même nom ; Joseph et Syllas Bourque ; Placide Talbot, Élie Landry, David Richard, Alcide Bourgeois et Jules Gaudet.

De l’Isle-à-Michon : Vilbon Petitpas, Xavier et Dominique Boudreau, Cléophas et Joseph Allard, Boniface et Alfred Bourgeois, un Vallée et quelques autres.

D’Aguanish : Onésime Hébert, Alfred Cormier et deux ou trois autres. Micheau Rochette de la Rivière Nopissipi, Philippe Hervé et un Champion de la Pointe-aux-Esquimaux complétèrent le nombre. En tout, près de cinquante. Elles arrivèrent à Québec le 6 octobre 1886 et trouvèrent un abri dans les hangars des émigrés à Lévis où elles durent attendre une dizaine de jours, avant que le gouvernement ne put les faire transporter, par le Québec Central, à Saint-François-de-Beauce où les gens de Saint-Georges et de Saint-Côme les prirent dans leurs voitures et les menèrent à cinq milles plus haut que l’église de Saint-Côme, sur le chemin de Kénébec. » (l’abbé Boutin). Il y avait là une immense maison de 100 pieds de longueur, à trois étages, avec une aile en arrière, construite autrefois par une compagnie minière de Boston. La divine providence l’avait conservée pour cette circonstance, car presque toutes ces familles purent s’y loger pendant que les hommes construisaient leurs maisons en bois rond, terminées vers la fin de décembre. Au mois de janvier, le ministère Ross tomba ; l’honorable M. Taillon forma un cabinet éphémère et fut remplacé par l’honorable Honoré Mercier. Celui-ci n’approuva pas tout de suite l’initiative du gouvernement Ross à l’endroit des Acadiens de la Côte-Nord et menaça même de couper les secours promis. La situation devenait critique, mais grâce au dévouement de M. l’abbé Boutin, après un incident piquant avec l’honorable Mercier, ce dernier, non seulement accorda ce qui avait été promis, mais il ajouta $1000 pour commencer les routes. C’était le salut…[3]

Ces pêcheurs n’avaient aucun entraînement pour le travail du colon, aussi eurent-ils à souffrir grandement de leur inhabileté. Mais, encouragés et soutenus par l’abbé Boutin, ils se firent assez vite à leur nouveau genre de vie et s’attachèrent au sol de la Beauce. Ils y sont aujourd’hui (1922) 70 familles.

Dans la Matapédia

Dans le même temps, le poisson se fit plus abondant autour des Îles de la Madeleine et la situation des insulaires s’améliora. Se pliant philosophiquement aux événements, ils abandonnèrent leurs goélettes et organisèrent la pêche sédentaire. Dès lors, la navigation dans le nord fut interrompue et, par le fait même, l’émigration. (Ce n’est que vers 1900 qu’une autre petite colonie du Havre-Aubert et de l’Étang-du-Nord alla tenter fortune à Aguanish). La protection du gouvernement commença à se faire sentir et, les Américains étant tenus à distance, la paix et la prospérité vinrent enfin visiter les insulaires. Pour plusieurs années, il ne se fit pas ou point d’émigration : la population s’accrut rapidement.

Mais voilà qu’un jour l’honorable E. J. Flynn, ministre des terres de la couronne dans le cabinet Taillon et député de Gaspé, eut l’idée de transformer en colons-défricheurs les pêcheurs madelinots. C’était à l’époque où le courant de colonisation commençait son sillon dans la vallée de la Matapédia. Les descriptions poétiques, les circulaires alléchantes, les nombreux rapports envoyés aux Îles exagéraient les avantages de cette nouvelle région. L’honorable Monsieur Flynn encouragea particulièrement les Madelinots à tenter cette entreprise et leur promit son puissant appui. Cela leur sourit. En gens avisés, ils envoyèrent préalablement des éclaireurs se rendre compte de la situation. Louis Arsenault et André Thériault s’y rendirent aux frais de la communauté. Ils partirent des Îles le 30 mai 1896 à bord de la Mary-Jane qui allait à Chatham, sous le commandement du capitaine Amédée Cyr. De là, ils montèrent à Amqui, en chemin de fer. Ils visitèrent Amqui, Saint-Léon, Cedar Hall, Causapscal et Sainte-Florence, mais n’y trouvèrent pas ce qu’ils cherchaient, car ils voulaient un territoire assez grand pour y acheter une quarantaine de lots ensemble, afin d’y grouper autant de familles des Îles. Sans plus de succès, un peu découragés, ils arrivèrent dans leur pays par le même chemin, le 14 juin suivant. Leurs compatriotes les attendaient anxieusement. Le rapport de leurs émissaires les désappointa un peu, mais ne les dissuada pas. Ils décidèrent de renvoyer une autre expédition, plus nombreuse, avec mission de trouver un territoire inhabité pour y former une bonne paroisse acadienne. Louis Arsenault fut choisi de nouveau comme chef, auquel on adjoignit Samuel Jomphe, Célestin Lafrance, Marc et Fidèle Arsenault. Ils s’embarquèrent le 30 juin à bord de la goélette Una, capitaine Chevarie, qui allait à New-Castle et descendirent à Amqui le 5 juillet. Ils se mirent à explorer les cantons quand, le cinquième jour, ils rencontrèrent un arpenteur, M. Morency, qui faisait le relevé des frontières du canton Amqui. Il conseilla à ces gens d’aller visiter le sud du Lac-au-Saumon, leur fournit un plan et leur donna quelques indications. Ils étaient sur la piste. Les voilà partis à la recherche de la terre promise, sac au dos, à travers la forêt. Ils arrivèrent chez J.-B. Poitras, établi au bord du Lac. Ils y reçurent une aimable hospitalité dont ils profitèrent pendant la construction de leurs campements. Enfin, ils avaient trouvé un espace libre à deux milles du chemin de fer. Ils achetèrent immédiatement vingt lots et se mirent en frais d’y construire quelques « camps » pour les premières familles arrivées. Mais quels camps ! « Pauvres campes, me disait Louis Arsenault ; de temps à autre, il venait un homme voir ce que nous faisions et il ne pouvait s’empêcher de rire aux éclats, et nous, bons enfants, notre meilleur parti était de faire comme lui. » Imaginez des gens qui n’ont jamais vu la forêt et qui essaient de faire des campements de bûcherons. C’était leur cas. Très habiles sur la mer, ils avaient d’immenses progrès à réaliser dans les bois. Ils se gaudissent encore aujourd’hui quand ils racontent à leurs enfants les aventures de leurs premiers défrichements Malgré tout, le 26 juillet, ils télégraphient à leurs familles de venir. C’est la Canadienne, sous les ordres du capitaine Hénérie Bourque, qui transporte à Campbelton, les sept premières familles acadiennes à destination du Lac-au-Saumon. Ces familles étaient celles de Louis et de Marcel Arsenault, Samuel Jomphe, Célestin Lafrance, Amédée et André Thériault et Raphaël Turbide. Elles arrivèrent au mois d’octobre et hivernèrent dans les fameux campes. Quatre familles de l’Étang-du-Nord : Édouard et Louis Cyr, John Leblanc et Achille Verrault hivernèrent à Amqui et allèrent se fixer sur leurs lots dès le printemps suivant.

L’honorable E.-J. Flynn, devenu premier ministre au mois de mai 1896, apprit avec satisfaction la nouvelle de l’expédition des Madelinots et se rendit les voir à l’œuvre le 3 août de la même année. Il les encouragea beaucoup à poursuivre leur entreprise, s’occupa d’eux et leur réserva un territoire spacieux et fertile. Ils bénissent encore la mémoire de l’Honorable Flynn qui a toujours été pour eux un ami sincère et dévoué.

Ces détails m’ont paru nécessaires pour bien illustrer la première tentative de colonisation par des pêcheurs des Îles de la Madeleine, tentative couronnée de succès ; Lac-au-Saumon est aujourd’hui une paroisse prospère qui renferme 92 familles acadiennes.

Sur les bords de la Miramichi

En même temps que l’enthousiasme pour la Vallée battait son plein, une autre expédition fut organisée pour visiter les terres de Miramichi. Les esprits étaient en ébullition. La perspective d’émigrer sur des terres où on pourrait cultiver de vastes domaines défrayait toutes les conversations. Les navigateurs, dans leurs voyages en la Baie de Miramichi, avaient entendu parler de belles terres vacantes à la Baie-du-Vin. Ils rapportèrent ces nouvelles à leurs gens qui résolurent d’aller se renseigner sur place. Ils déléguèrent donc le capitaine Pierre Richard et Cyriac Richard qui furent pilotés par le capitaine Robt McLean de Hardwick. Fascinés et séduits par le site enchanteur, ils s’en retournèrent, et la même année (1899) cinq familles, celles de Luc Richard et de son fils Cyriac, de John Schofield et de son fils Joseph et celle de Samuel Turbide quittèrent le pays natal pour la Miramichi.

Ayant pêché tout l’été aux Îles de la Madeleine, ils n’arrivèrent à la Baie des Ouines qu’à la fin de septembre, juste à temps pour habiter la maison que Édouard Schofield et Denis Richard avaient préalablement construite. La petite caravane s’arrêta un soir chez un vieillard hospitalier du voisinage, Amand Cyr (aujourd’hui âgé de 88 ans) qui leur donna leur premier repas en terre étrangère.

Vite on termine tant bien que mal l’habitation pour l’hivernement ; on érige une petite étable pour abriter les divers bestiaux qu’on avait amenés ; on pourvoit aux nécessités de la saison prochaine, puis les hommes s’en vont gagner leur hiver à charrier des madriers sur leur dos, pour cinquante sous par jour, dans les scieries de Loggieville, à vingt-cinq milles de là. Deux fois la semaine, ils franchissent à pied cette distance pour venir consoler leurs familles souffrant de nostalgie dans ce pays sauvage et inconnu.

Le vieux Cyr fut un bon voisin, très serviable, pour ces nouveaux venus qu’il appelait les Îles à Madeleine. Que de fois il trouva les femmes tout en larmes, s’ennuyant à mourir des parents et des amis laissés là-bas au cher pays natal, de l’école, de l’église surtout ; il s’efforçait par sa constante bonne humeur, de les raisonner et de les encourager dans leur détresse… mais en pure perte… Et nos mater dolorosa inconsolables de crier à tue tête leurs interminables jérémiades : « Qu’allons-nous devenir ? pas de prêtre, jamais de messe ; pas d’écoles, nos enfants vont rester ignorants Quel triste pays ! »

Une chose cependant les consolait dans leur affreuse Thébaïde, il y avait du bois en abondance et on se chauffait à bon marché : « Si nous pouvions en passer quelques bargées aux gens de chez nous, disait Édouard ; ça me fait-il deuil de voir gaspiller du bois comme cela quand on en avait si peu aux Îles », reprenait sa sœur.

L’acclimatation se fit peu à peu, par les petits. L’été suivant, on se mit à l’œuvre plein d’ambition et d’espoir sur le lot choisi ; on jeta en terre un peu de grain et quelques légumes ; on défricha quelques arpents tout en sortant son bois de charpente pour la maison à construire. À l’automne, on s’engagea dans la pêche à l’éperlan avec quelques Anglais de l’endroit ; on réalisa de jolis profits qui permirent de consacrer l’été suivant à la culture. Mais une terrible épreuve vint fondre sur la colonie naissante et ruiner de fond en comble, cet établissement embryonnaire. Un incendie épouvantable ravagea toute la forêt d’alentours, détruisit le bois de charpente rendu sur place, toute la récolte prochaine et plusieurs animaux dont deux énormes cochons gras qui rôtirent dans leur tet (soue) qu’on avait oublié d’ouvrir. Quand on s’en aperçut le rôti était carbonisé. À peine put-on défendre l’habitation contre l’acharnement du feu à tout dévorer sur son passage, même les habits de nos vaillants et indomptables pompiers. Les femmes s’étaient sauvées à travers la rivière à l’Anguille. Résultat : aucune perte de vie humaine, mais un pays rasé, dénudé comme un désert plein de désolation et de deuil. Quel rude coup pour ces pionniers qui ne reçurent aucun secours des pouvoirs publics !

Sans se décourager, ils se remirent quand même à l’œuvre avec une nouvelle énergie. Le bon Dieu ne les abandonna pas dans leur immense malheur, car l’hiver suivant ce fut une pêche miraculeuse qui les aida puissamment à se rebâtir plus confortablement.

Quelques autres familles viennent s’ajouter aux premières ; mais aux Îles, on ne semble pas très enthousiaste pour la Baie-du-Vin : trente-deux familles seulement s’y sont établies jusqu’ici.

Quand les Madelinots abordèrent dans ces parages délaissés du Nouveau-Brunswick, ils trouvèrent parmi les Anglais quelques familles acadiennes, rares débris des anciennes familles qui s’étaient échappées de la vallée d’Annapolis et réfugiées là au temps de la persécution anglaise. Depuis plus de cent ans, elles avaient vécu en marge de la société, dans de misérables cabanes de bois rond, loin de l’église et de l’école, ne voyant de missionnaire qu’à de très rares intervalles. C’était fatalement et à brève échéance le retour à la vie primitive. Quelques rarissimes exceptions s’étaient livrées de toute leur âme à la culture du sol et avaient, comme toujours, réussi à se créer une modeste et honorable aisance, tels David Savoie et ce vieux Cyr qui hébergea si fraternellement et si cordialement les Îles à Madeleine ; le grand nombre étaient des meurt-de-faim qui ne mangeaient du pain qu’aux grandes fêtes chômées, et encore ; qui cultivaient misérablement quelques sillons de pommes de terre et qui n’allaient pêcher ou couper du bois que par nécessité extrême. La paresse les rongeait : c’était inévitablement l’indigence la plus complète au milieu de l’abondance même dans un pays de cocagne.

Leurs mœurs s’étaient relâchées avec le reste : la paresse est la mère de tous les vices… Aucune tentative n’avait été faite pour les tirer de cette avilissante abjection où ils croupissaient ; et, livrés à eux-mêmes, ils étaient incapables de se relever ; ils n’en avaient point l’énergie

Cette lamentable situation de gens qui devenaient leurs concitoyens, leurs futurs co-paroissiens, désola et dégoûta au dernier point nos Madelinots, accoutumés à un meilleur voisinage. Grâce à l’instruction et à l’éducation si solidement chrétienne, grâce à l’esprit de prosélytisme qu’ils tenaient de leur pays d’origine, ils prirent l’apostolique résolution de tout tenter pour relever et réhabiliter ces pauvres et tristes épaves. N’étaient-ils pas comme eux de nobles descendants des saints martyrs de l’Acadie, traqués, dépouillés, chassés, exilés, massacrés, pour leur attachement indomptable à la Foi catholique et à leur Roi bien-aimé ?

Coûte que coûte, il leur faut un prêtre résident au milieu d’eux ; ils vont en délégation auprès de Mgr Barry, de Chatham, qui, hélas ! ne peut accueillir favorablement leur très légitime demande : pas de prêtre disponible. Ils auront au moins une école et en donneront la direction à un des leurs, William Chiasson.

Durant onze années, ils iront à la messe à Escuminac, sept milles plus bas, à pied bien souvent, ou en petites charrettes à la façon des Îles, mais sans y manquer un seul dimanche. Quelle foi héroïque, digne des premiers temps de l’Église ! quelle piété intense ! On a même vu de pauvres femmes franchir allègrement et à jeun cette grande distance pour recevoir la Sainte communion…

Enfin, après mille et mille ennuis, grâce à l’indémontable ténacité de l’abbé Nazaire Savoie, leur tout dévoué curé acadien, (actuellement curé du Petit-Rocher, N. B.) ils finissent par arracher, en 1911, la permission de se construire une église à eux, ce qu’ils font sans retard à la Baie Sainte-Anne.

Aujourd’hui, vingt-sept ans après leur arrivée, cette paroisse de Sainte-Anne est parfaitement organisée : une belle grande église en pierre de taille, finie à l’extérieur et un magnifique presbytère, sans un sou de dette, plusieurs écoles florissantes, un curé et des institutrices de leur langue, etc… Vivent nos trente-deux Madelinots de la Baie Sainte-Anne ! C’est à eux que nous sommes redevables de tous ces merveilleux progrès. Et que serait-ce donc, si, comme leurs chanceux compatriotes de la Matapédia, ils avaient réussi à décrocher les encouragements et les faveurs des pouvoirs publics ? Par exemple, le développement des voies ferroviaires de Bathurst, Caraquet, Shippagan, Tracadie, jusqu’à Néguac, Pointe-Sapin, Escuminac, Baie Ste-Anne, pour aboutir à Newcastle, en sillonnant la région si merveilleusement fertile de l’incomparable Miramichi.

Ce sont les deux seuls groupements de Madelinots émigrés sur des terres. Pourquoi ces deux courants n’ont-ils pas été plus forts et pourquoi n’ont-ils pas continué à charrier vers d’autres terres neuves le trop plein de cette magnifique population ? C’est, je crois, le manque d’organisation. Si une société de colonisation avait canalisé et dirigé le surplus de la population des Îles de la Madeleine vers les terres neuves de notre province, elle aurait pu arracher aux centres industriels et au gouffre déprimant des grandes cités des milliers de gens qui y sont allés, parce qu’ils n’avaient pas d’autres débouchés. Une caractéristique : peut-être plus particulière aux Acadiens qu’à d’autres, c’est qu’ils aiment à être groupés : c’est probablement à cause de leur sens profond de la vie familiale. Et ils émigrent plutôt par groupes qu’individuellement. Bel avantage pour fonder une paroisse !

Au Royaume du Saguenay

L’industrie de la pulpe s’étant développée dans la Baie des Sept-Isles, l’émigration vers le nord reprit son cours. Des jeunes gens d’abord, puis des hommes mariés, puis des familles entières allaient passer deux, trois, quatre ans à Clarke-Cité, pour y faire un peu d’argent et revenir vivre plus heureux aux Îles. Un va et vient s’établit ainsi entre les Îles et la Côte-Nord. Mais voilà que des gens du Saguenay qui travaillaient avec ceux des Îles se mettent à parler de leur féérique Empire du Saguenay avec force louanges, et encouragent ces Acadiens, en quête d’un nouveau centre, à aller s’y établir. C’était vers le temps où se fonda Kénogami (1912-13). La main-d’œuvre abondait et il y avait beaucoup plus d’avantages qu’à Clarke-Cité. Voilà donc nos Madelinots qui envahissent Kénogami. D’abord des jeunes gens ; Alphée Richard, Elphège Bourgeois, Simon Lapierre, Bill. Bourque, etc., etc. ; puis des familles complètes : celles de Sylvio Turbide, de Toni Chevarie, d’Azade, de Philéas et de Charles Lapierre, de Jos Renaud, de Jean Arseneault, etc., etc… D’autres vinrent de la Beauce retrouver leurs anciens compatriotes, puis le courant s’établit directement des Îles à Kénogami. Il en vint chaque année des bargées de tous les points de l’archipel. Aujourd’hui (fév. 1925), ils y sont au nombre de 140 familles, toutes bien estimées de leur si dévoué et si digne curé, M. l’abbé Joseph Lapointe qui a su se les attacher par la mansuétude de son apostolat débordant de charité. C’est comme un des leurs… Le rapprochement des deux rameaux français tant souhaité ailleurs ne saurait là être plus complet… Bravo ! Bravo !

De là, par le même procédé, ils se rendirent au Cap de la Madeleine, où ils sont déjà 40 familles (1924). Ce qui fait une série de dix groupes acadiens-madelinots de Montréal où ils sont en trop grand nombre, en passant par les Trois-Rivières, Québec, Kénogami, la Côte-Nord, pour revenir aux Îles et continuer jusqu’à Miramichi, Lac-au-Saumon, Edmundston, la Beauce. À part cela, il y a quelques familles ici et là, dans la province de Québec, à Rimouski, Sandy-Bay, Chambord, Rivière-Bleue, etc., quelques-unes à Ottawa et dans l’Ouest, plusieurs groupes assez importants dans les ports de mer et les villes minières de la Nouvelle-Écosse. Quelques petits groupes se sont fourvoyés aussi dans les villes américaines de Boston, Salem, Gloucester. Mais un fait digne de remarque, c’est que l’émigration madelinote s’est presque complètement dirigée vers notre province. Qu’il est donc regrettable qu’on ait laissé l’industrie s’emparer de ces forces faites pour conquérir les terres neuves !

  1. De Quetteville faisait annuellement pour plus de cent mille piastres d’affaires, de chaque côté du détroit de Belle-Isle, depuis Mécatina, sur la Côte-Nord, jusqu’à la Baie des Isles, Terre-Neuve. Il fut ruiné vers 1873 dans le krach de la Banque Union, la principale banque de Jersey, dont il était l’un des premiers actionnaires.
  2. La Seigneurie n’englobait pas toute la Côte-Nord et s’étendait seulement du Cap Cormoran à Aguanish : 150 milles. Les Sept-Isles, Natashquan n’en faisaient pas partie.
  3. Toutes ces notes sur Saint-Théophile ont été puisées aux archives de cette paroisse, grâce à la bonne obligeance du généreux curé de l’endroit…