Les Époques de la musique/05
Nous nous proposons d’étudier ici non pas un élément de la musique : récitatif, mélodie ou polyphonie ; mais un genre musical où se rencontrent, soit isolés, soit ensemble, ces élémens divers. L’ordre du sentiment religieux, ou, comme eût dit Renan, la catégorie du divin, comporte en musique deux modes principaux d’expression. Le chant grégorien et la polyphonie vocale alla Palestrina constituent, — nous l’avons vu naguère, — la musique liturgique ou d’église. Plus libre, bien que parfois aussi sainte ; faite au commencement pour le théâtre, ensuite pour le concert, plutôt que pour le culte (bien qu’elle y ait été parfois associée), la musique sacrée va nous occuper maintenant. Elle consiste surtout dans la Cantate et l’Oratorio. Bach et Hændel en furent les dieux au XVIIIe siècle. Au XVIIe, Schütz et Carissimi avaient été leurs précurseurs, et leur prophète, en la dernière année du XVIe, est Emilio del Cavalière.
C’est en 1600, l’année même où parurent à Florence les deux Euridice, que fut donnée à Rome la Rappresentazione di anima e di corpo. « Représentation » complète et spectacle autant qu’audition, car l’Oratorio, dont l’œuvre d’Emilio del Cavalière est le premier exemplaire, fut d’abord et demeura quelque temps un opéra religieux, mais un véritable opéra.
L’origine du genre et l’étymologie du mot sont connues. On sait que saint Philippe de Néri fut à la fois le fondateur de l’Oratoire et de l’Oratorio. « Il aimait fortement la musique, a dit l’un de ses derniers et le plus éminent de ses biographes, et elle fut toujours à la tête de ses pensées[1]. » Oui, même de ses pensées monastiques, et dans le premier chapitre des constitutions de son ordre il est écrit : « Musico concentu excitentur ad cœlestia contemplanda. Il faut, par le chant en commun, s’exciter à la contemplation des choses célestes. » Au nombre de ses amis et pénitens, saint Philippe compta non seulement Palestrina, mais l’un des premiers parmi les musiciens de l’époque, le premier peut-être jusqu’au jour où Palestrina « le chassa du nid, » le pieux et pur Animuccia. Saint Philippe avait fait de lui le maître de chapelle de sa congrégation. Il l’avait également prié de composer quelques œuvres extra-liturgiques pour l’édification et le divertissement des jeunes gens qu’il aimait à rassembler autour de lui. On désignait généralement sous le nom de « Laudes » les diverses pièces de musique destinées à ces réunions, qui ne tardèrent pas à devenir de vrais concerts spirituels. Animuccia lui-même en témoigne dans la préface de son second livre de Laudes : « Il y a déjà quelques années que, pour la consolation de ceux qui venaient à l’oratoire de Saint-Jérôme, je publiai le premier livre des Laudes. Je m’efforçai d’y garder une certaine simplicité qui paraissait convenir aux paroles, à la qualité de ce lieu de prière et à mon dessein, qui était seulement d’exciter la dévotion. Mais le susdit oratoire étant venu par la grâce de Dieu à s’accroître avec le concours de prélats et de gentilshommes très principaux, il m’a paru convenable d’accroître aussi dans ce second livre les harmonies et les accords, variant la musique de diverses façons, la faisant tantôt sur des paroles latines, tantôt sur des paroles italiennes, tantôt avec un plus grand nombre de voix et tantôt un moindre, avec des vers tantôt d’une façon et tantôt d’une autre, m’embrouillant le moins possible avec les fugues et les inventions, pour ne pas obscurcir l’intelligence des paroles ; afin que par leur efficacité, aidées par l’harmonie, elles pussent pénétrer plus doucement le cœur de celui qui écoute[2]. »
Nous avons ici l’idée première et comme l’ébauche de ce que fut, cinq ans après la mort de saint Philippe de Néri, la Rappresentazione di anima e di corpo.
Emilio del Cavalière, intendant de la musique du grand-duc de Toscane, avait été l’un des familiers de la Camerata de Bardi, l’un des créateurs, avec les Péri, les Corsi, les Caccini, de l’opéra récitatif ou florentin. On cite de lui dans ce genre quelques essais profanes. Trois pastorales : il Satiro, la Disperazione di Fileno, il Giuoco della Cieca, précédèrent l’œuvre sacrée qui devait être l’offrande et comme la consécration à Dieu du style nouveau.
Elle a pour sujet le mystère fondamental et le drame par excellence, le mieux fait pour nous intéresser et nous émouvoir, puisque c’est celui de notre nature et de notre destinée. Anima e corpo ; ces deux mots qui, rapprochés ou plutôt opposés, nous disent tout de nous-mêmes, le poète les a délayés en trois actes que gâte trop souvent l’abus de l’allégorie et de l’abstraction.
Un de nos confrères, à qui rien de la musique de ce temps-là n’est étranger, M. Romain Rolland, a publié quelques morceaux de la Rappresentazione. L’un est un quatuor vocal et semble un dernier hommage à cette polyphonie des voix que l’on commençait alors d’abandonner. Une autre page est la plainte vraiment tragique du corps, incertain entre l’âme et les sens. La beauté de ce chant est la beauté sobre, pour ne pas dire pauvre, commune aux œuvres monodiques de ce temps ; elle tient beaucoup moins à la grâce ou à la force de la mélodie, laquelle ne faisait alors que de naître, qu’à la justesse de l’accent et de la déclamation.
Le défaut capital de l’œuvre, et M. Rolland a raison d’y insister, c’est l’abstraction. « Les personnages sont : le Temps, le Corps, l’Ame, la Raison (Intelletto), la Réflexion (Consiglio), le Plaisir avec deux compagnons, le Monde et la Vie mondaine, l’ange gardien, les anges du ciel, les âmes damnées en enfer, les âmes bienheureuses du paradis et le chœur.
La Rappresentazione a trois actes. Il n’y a guère de lien dramatique, ou seulement logique entre les scènes. Dans leur ensemble, on peut dire que le premier acte représente les inquiétudes de l’âme humaine ; le second, les tentations du plaisir et du monde, victorieusement repoussées ; le troisième, le spectacle du paradis et de l’enfer, et l’apothéose de l’âme sauvée[3]. »
À tout ce symbolisme s’ajoute, en dépit de l’apparente contradiction, la figuration matérielle. L’auteur y attache une grande importance. Il en détermine exactement les conditions et les détails mêmes. Quand l’ange gardien de l’âme arrache au Monde et à la Vie mondaine leurs parures, « on voit grande pauvreté, et laideur, et squelette de mort. » Victorieux de la tentation, le Corps se débarrasse de ses vains ornemens : collier d’or et plume au chapeau. L’oratorio comporte même une partie chorégraphique : « des pas graves pendant le chœur, et, dans les ritournelles, des pas de quatre danseurs qui ballino esquisitamente un ballo saltato con capriole[4]. »
Sur certaines questions de théâtre : optique, acoustique, interprétation, Emilio del Cavalière professe déjà les idées wagnériennes. « Il veut que la salle de spectacle ne contienne pas plus de mille personnes, commodément assises ; car dans des salles plus grandes, les paroles ne peuvent être entendues de tous, et le chanteur doit forcer sa voix, ce qui fausse le sentiment. « La musique ennuie, quand on n’entend plus les paroles. » Le chœur doit prendre part à l’action, varier ses mouvemens et ses gestes et ne pas manœuvrer avec l’uniformité d’une troupe d’automates. L’orchestre est invisible, caché derrière un rideau. Il est des plus simples : quelques instrumens à cordes, un clavicembalo et un organo soave… L’essentiel de la tragédie musicale nouvelle était le jeu et la déclamation du chanteur. Cavalière lui demande avant tout de faire bien clairement entendre les paroles et de chanter avec justesse, sans passages d’agrément[5]. »
On reconnaît ici la pure doctrine de Florence. Et puis et surtout certains passages du naïf et vieux mystère en disent assez l’intention sérieuse et vraiment sacrée. Par le sentiment, sinon par l’exécution, tel duo de l’âme et du corps annonce, près de cent cinquante ans à l’avance, les mystiques dialogues de Bach. Il n’est pas Jusqu’à ces deux seuls mots : Anima e Corpo, qui ne nous paraissent un peu comme les deux aspects ou les deux faces de l’art religieux que nous commençons d’étudier. Quatre musiciens illustres se le partagent deux à deux. Carissimi d’abord et plus tard Hændel chanteront de préférence les grands drames et les grandes figures des livres saints, l’histoire extérieure et les héros. Schütz, et Bach après lui, entreront plus avant : ce que cherchera, ce que saisira leur génie, c’est le sens et le goût du divin, c’est le rapport intime entre l’âme et Dieu. Tous les quatre contribueront ainsi à la perfection d’un idéal unique, et le titre même du premier des oratorios définit en quelque sorte à l’avance le programme qu’une double évolution remplira tout entier.
L’exemple d’Emilio del Cavalière fut promptement imité. D’autres œuvres, analogues mais inférieures, suivirent la sienne et pendant un demi-siècle le goût de l’allégorie et de l’abstraction d’une part, de l’autre, l’amour croissant de la représentation théâtrale égara le génie, qui naissait à peine, de la musique sacrée. L’Eumelio d’Agostino Agazzari (1606) n’est qu’une « moralité » pieuse sous des dehors païens. « La mythologie s’insinue dans la tragédie religieuse et le style érudit dans les confessions de l’âme chrétienne[6]. » Rome voit se succéder les oratorios sur le fastueux théâtre créé par les Barberini. C’est, en 1634, le Saut’ Alessio, dont le poète est un cardinal de l’illustre famille, et Stefano Landi le musicien. Les contemporains ont célébré non seulement les paroles et la partition, mais les magnificences de la mise en scène, des décors et de la machinerie : « le vol des anges parmi les nuées, l’apparition de la Religion dans les airs, les spectacles merveilleux de l’Enfer et du Ciel, l’incomparable perspective des jardins et des portiques[7]. »
Il était réservé à un futur pape, au cardinal Giulio Rospigliosi, qui fut Clément IX, de collaborer comme librettiste, avec le compositeur Marazzoli, au chef-d’œuvre de ce genre étrangement religieux. La Vita humana, ovvero Il trionfo della Pietà fut représentée trois fois devant la reine Christine de Suède alors de passage à Rome (1656). Le sujet rappelle celui d’Anima e Corpo. « C’est le combat journalier de l’Ame, symbolisé par les deux castels ennemis de l’Innocence et de la Coulpe, qui se dressent sur la route où passe la Vie humaine, soutenue par l’Entendement[8]. » Quant à la musique, elle est très loin d’égaler celle de Cavalière. Elle ne consiste qu’en « d’interminables mélopées, sans énergie d’accent, sans vérité d’expression, qui alourdissent le poème déjà trop long de Clément IX[9]. »
Ainsi déviait le génie romain. Carissimi paraît alors et le remet sur la voie : une voie véritablement royale, tant elle a de largeur et de majesté. Comme Palestrina jadis était venu des montagnes de Sabine pour réformer la musique d’église, Caris-sima descend des monts Albains, et la musique sacrée est sauvée. En retirant le drame religieux du théâtre, il le purifie de tout alliage matériel. Par la substitution des personnages réels aux vagues entités et des sentimens aux sentences, il le dégage de l’allégorie et de l’abstraction. En deux mots il accroît également dans l’oratorio la part de l’idéal et celle de l’humanité.
Giacomo Carissimi naquit en 1606 à Marino et mourut à Rome en 1674. Il était « de haute stature, maigre, enclin à la mélancolie » et ces traits de sa personne physique et morale ne s’accordent pas mal avec l’élévation et l’austère sobriété de son art. Nous savons peu de chose de sa vie. D’abord maître de chapelle de la cathédrale d’Assise, il revint à Rome en 1630 pour exercer les mêmes fonctions au Collège germanique de Saint-Apollinaire. Il les conserva jusqu’à sa mort. Le Collège germanique avait été fondé en 1552 par saint Ignace de Loyola pour préparer les jeunes Allemands à la prêtrise. La discipline y était sévère et les moindres détails de la règle y témoignaient d’un esprit rigoureux. Un liséré couleur de sang bordait la robe noire des séminaristes, comme le signe et le gage de leur vocation non seulement au sacerdoce, mais, s’il le fallait, au martyre. Les spectacles ou divertissemens profanes, dont la passion et presque la folie avait gagné même les couvens ou les églises de Rome, étaient bannis de l’austère maison. Mais à la musique du moins les Jésuites firent d’abord une place d’honneur. Les offices de Saint-Apollinaire ne tardèrent pas à devenir célèbres et des maîtres tels que le grand Vittoria formèrent les premiers élèves du Collège germanique à la pratique du chant grégorien et du chant à plusieurs voix.
Cet éclat dura peu. Sous les successeurs de Vittoria, il pâlit et menace de s’éteindre : le génie de Carissimi le ranima. « C’est à Saint-Apollinaire et au collège des Allemands que se rassemblent les meilleurs musiciens de Rome » écrit un voyageur anglais vers le milieu du siècle[10]. Sans doute ils y firent entendre maintes fois les oratorios, ou, pour les appeler de leur vrai nom, les « Histoires sacrées » de Carissimi. Œuvres religieuses, mais non liturgiques, « elles ne figuraient point aux offices solennels des jours de fête. Comme les Laudi spirituali d’Animuccia ou les Madrigaux spirituels de Palestrina, leur place était marquée dans les exercices réservés aux fidèles de quelque pieuse confrérie… On trouvait alors un peu partout dans Rome de ces Congregazioni dell’ Oratorio, dont les membres, astreints à certaines pratiques de piété, se réunissaient à jour fixe. » Il y a, rapporte encore un voyageur du temps, « une congrégation des frères du Saint-Crucifix, composée des plus grands seigneurs de Rome, qui par conséquent ont le pouvoir d’assembler tout ce que l’Italie produit de plus rare, et en effet les plus excellens musiciens se picquent de s’y trouver, et les plus suffisans compositeurs briguent l’honneur d’y faire entendre leurs compositions et s’efforcent d’y faire paraître tout ce qu’ils ont de meilleur dans leur étude. Cette admirable et ravissante musique ne se fait que les vendredis de Caresme[11] depuis trois heures jusqu’à six… Les voix commençaient par un psalme en forme de motet, et puis tous les instrumens faisaient une belle symphonie. Les voix après chantaient une Histoire du Vieil Testament, en forme d’une Comédie spirituelle, comme celle de Suzanne, de Judith et d’Holopherne, de David et de Goliath. Chaque chantre représentait un personnage de l’histoire et exprimait parfaitement bien l’énergie des paroles. Ensuite un des plus célèbres prédicateurs faisait l’exhortation, laquelle finie, la musique récitait l’Evangile du jour, comme l’histoire de la Samaritaine, de la Cananée, du Lazare, de la Magdelaine et de la Passion de Nostre Seigneur, les chantres imitant parfaitement bien les divers personnages que rapporte l’Evangéliste. Je ne saurais assez louer cette musique récitative. Il faut l’avoir entendue sur les lieux pour bien juger de son mérite[12]. »
De la nature au moins de cette musique l’intelligent auditeur a bien jugé. « Comédie spirituelle, histoire, imitation ou représentation des personnages, » ces diverses expressions définissent avec justesse un art, un genre dramatique beaucoup plus que lyrique, et tel est en réalité le caractère essentiel des chefs-d’œuvre de Carissimi.
Le génie du maître romain a quelque chose de concret et d’objectif. Il est sensible, comme le sera plus tard le génie de Hændel, à l’extérieur, aux côtés pittoresques et aux dehors éclatans. Carissimi ne s’interdit pas toujours, dans les scènes les plus graves, certains effets ingénieux, ou peut-être ingénus, d’imitation musicale. Dans l’Histoire du mauvais riche, à ces mots : « Hic gaudia in fletus æternos vertentur (c’est là que la joie sera changée en pleurs éternels), » l’idée qui doit dominer et qui domine en effet a beau être celle du changement de la joie en pleurs, le musicien ne peut se défendre, en passant, d’esquisser par un mouvement vif la figuration matérielle et comme physique de la joie. Ailleurs, il essaye également, par un procédé similaire, de représenter aux yeux la disparition du Christ (Et ipse evanuit) après la rencontre et le souper d’Emmaüs.
Mais ces détails ne sont rien auprès de l’admirable décor musical où se passe la tragique histoire de Jephté. Nous trouvons une esquisse des plus somptueuses compositions de Hændel en ces pompes héroïques et sacrées. Les hymnes guerriers y alternent avec les cantiques des vierges. Là se mêlent et se heurtent non pas des phrases, mais des mots, presque des cris (Pugnaret, pugnaret contra eos), comme feront un jour les Alléluia du Messie, ou, dans Israël en Égypte, les paroles triomphales et cent fois répétées : « Il a englouti le cheval, le cheval et le cavalier. » Ici la voix des femmes s’élève : « Fuyez, retirez-vous, impies ! » disent-elles, mais elles le disent sans haine, et leur chant, après les imprécations viriles, semble un conseil de mansuétude et de pitié. Maintenant la jeune fille, la fille unique du héros, s’avance à sa rencontre. Elle chante, et derrière elle les timbales résonnent et ses compagnes chantent aussi. « Occurrens ei filia sua unigenita cum tympanis et choris præcinebat. » En trois mesures, et trois mesures de pure monodie, sans le secours de la polyphonie vocale, de la symphonie ou des timbres, la musique fait image : elle dessine et elle colore. Elle n’a besoin que de l’éclat d’un rythme et de la vivacité d’une modulation ; il lui suffit d’une figure mélodique un peu plus riche, ornée de quelque trait brillant et rapide, et nous croyons, avec le sombre vainqueur :
Entendre le concert qui s’approche et l’honore,
La harpe harmonieuse et le tambour sonore,
Et la lyre aux dix voix et le kinnor léger,
Et les sons argentins du nébel étranger[13].
Ailleurs même que dans Jephté, lorsqu’il traite un sujet non plus historique et qui prête à la décoration, mais surnaturel et tout idéal, comme la Plainte des Damnés, Carissimi cède encore à son goût du mouvement, de l’action et du drame. Il suffit, pour s’en convaincre, de comparer cette Plainte des Damnés avec l’un des plus célèbres motels de Palestrina : Peccantem me quotidie. Par certains côtés, les deux chefs-d’œuvre ne laissent pas de se ressembler un peu. Si le style de Carissimi n’est plus exclusivement polyphonique, ici du moins il emprunte encore sa beauté principale au concert, au conflit des voix qui réagissent ou plutôt renchérissent incessamment les unes sur les autres. « Peccantem me quotidie et non pœnitentem. » Palestrina traduit par la répétition de ces mots l’endurcissement du pécheur et son obstination à ne se point repentir. Et Carissimi recourt au même procédé pour figurer l’éternité des supplices. Mais, au pied de l’autel où se chante le motet palestrinien, l’âme, l’âme seule confesse son crime et le déteste. Dans l’enfer de Carissimi, les corps eux-mêmes souffrent et la chair crie. « En impies, en impies nous avons vécu ! L’iniquité, l’iniquité, nous l’avons commise ! » L’alto, le ténor, la basse se renvoient l’aveu désespéré, et la simple vicissitude, le contraste seul des voix donne à leurs clameurs alternées une atroce éloquence. Un refrain monotone, implacable, hache par momens l’imprécation, et celle-ci, plus libre, plus vague, erre à travers les lieux maudits, en cherche l’issue et ne la trouve jamais. Si nous reprenons maintenant le motet palestrinien, en dépit de son éclat, il nous paraîtra l’œuvre d’un génie plus intérieur, le cri d’une âme qui se replie, se retire et se renferme en soi. Et cette âme, qui s’accuse, ressemble à notre âme ; elle est notre âme elle-même. Au contraire, dans la musique de Carissimi, quelque chose nous demeure non pas indifférent, car elle nous émeut et nous étreint, mais étranger et comme extérieur. C’est un tableau, c’est une scène, encore plus qu’une prière. Carissimi choisit autour de nous des personnages ou des héros qui ne sont pas nous, et, pour cette raison, il est avant tout l’un des maîtres du style qu’on a très bien appelé représentatif, un grand historien, un grand dramaturge sacré.
Il l’est avec autant de sobriété que de puissance. Lorsque Jephté voit paraître sa fille, il la salue en ces termes : « Tu m’as déçu, mon enfant, et te voilà toi-même déçue ! Decepisti me et tu decepta es ! » Et cet euphémisme ou cette litote, que la musique atténue encore, symbolise admirablement la discrétion de l’art carissimien. Je n’en connais pas de plus simple et de plus fort. Dans les Histoires sacrées, l’orchestre a le moindre rôle. Les chœurs ont un peu plus d’importance, bien qu’ils ne soient guère autre chose que « des trios ou des quatuors à peine redoublés dans les grandes occasions[14]. » Au début de Jephté, le chœur des soldats victorieux annonce de loin Hændel ; ceux des vierges plaintives, à la fin, rappellent de plus près Palestrina. On commençait alors, tant l’amour et l’orgueil de la monodie nouvelle enchantaient les esprits, on commençait à mépriser, à traiter d’ « anticaylie » la polyphonie des temps anciens. Carissimi lui-même, entraîné par l’évolution de l’idéal et par le penchant de son propre génie, allait rompre avec elle. Mais une telle rupture ne se fait ni d’un seul coup, ni sans regret. Au moment d’abandonner des formes de beauté si longtemps glorieuses et chères à sa propre jeunesse, le maître craint de paraître ingrat envers elles. Il les évoque une fois encore ; il leur adresse un dernier hommage, un mélancolique et tendre adieu. Et voilà pourquoi, dans les Histoires sacrées de Carissimi, telle ou telle page conserve encore un souvenir et comme un parfum de la polyphonie alla Palestrina.
Mais la monodie y domine. Le récitatif de Florence tient ici toutes ses promesses. Les plus grands maîtres de la déclamation lyrique n’ont rien écrit de supérieur à la plainte de « la vraie mère » dans le Jugement de Salomon. (Nous prenons ici le terme de « plainte » au sens même juridique du mot.) La musique moderne, gênée et lourde de tout ce qu’elle traîne avec elle, ne connaît plus guère cette aisance et ce ton dégagé, cet air libre d’un discours ou d’un style à qui deux élémens suffisent : le mouvement et l’intonation. Un degré de plus ou de moins dans l’élévation de la voix et dans la chaleur du débit ; avec ces humbles moyens, que ne fait-on pas ! Les premières mesures du récit portent une indication qu’on retrouve souvent dans les œuvres de Carissimi : « Commodo, commodément. » A son aise et sans passion d’abord, « la vraie mère » expose les faits de la cause. « Moi et cette femme, dit-elle, nous demeurions dans la même maison. J’eus mon fils la première ; trois jours après, le sien naquit et personne n’habitait avec nous. » Mais déjà voici qu’elle attaque, elle accuse, et plus ce qu’elle va dire sera grave, plus gravement elle le dira. « Or le fils de cette femme mourut, la nuit et pendant son sommeil, car elle l’étouffa. » La voix ralentit sensiblement ici. Elle s’attarde encore davantage à cet endroit : « Alors, se levant dans le silence de la nuit, in noclis silentio. » Le mot silentio, qui flotte sur un accord tenu par l’orgue, cause une impression comparable à celle que produiront, cent cinquante ans après, des paroles et des harmonies analogues : Era già alquanto avanzata la notte, dans le fameux récit de doña Anna. Poursuivons : « Elle prit mon fils à mes côtés et le posa, oui, elle le posa sur son sein. » Par deux fois (et collocavit, et collocavit), les notes montantes profèrent et font monter aussi l’accusation de vol et de sacrilège. « Et son fils à elle, qui était mort, elle le posa sur mon sein, à moi. » Pour le coup, voilà le dernier trait et le suprême reproche. Devant la consommation du criminel échange, voilà la révolte et l’horreur même physique ; voilà le cri de la chair maternelle, dépouillée de son enfant qui vivait, et glacée, et souillée par le contact du cadavre de l’enfant étranger.
Ces quelques lignes sont l’un des chefs-d’œuvre du genre récitatif ; non plus du récitatif encore sommaire des premiers Florentins, mais du récitatif organisé, devenu la hiérarchie, complexe et parfaite jusque dans le détail, des rythmes, des notes et des mots. Relations, proportions, tout est juste. Admirable d’ordonnance et de logique oratoire, ce plaidoyer maternel ne l’est pas moins de vérité sentimentale et dramatique. L’énergie de l’accent n’y a d’égale que l’expression ou l’explosion de la vie et de l’humanité.
Dans l’Histoire d’Ézéchias, dans Jephté surtout, la vie encore se défend et se débat contre la mort. La déploration finale de la jeune fille est un crescendo continu d’épouvante et de désespoir. Résignée d’abord, puis défaillante et bientôt exaltée, la vierge biblique en appelle à toute la nature. Elle veut que les rochers et les forêts gémissent, que les sources et les fleuves pleurent avec elle et sur elle. A chacune de ses apostrophes, sa voix s’élève, s’anime et s’indigne davantage. Mouvement, sonorité, tout redouble et s’exaspère. Une sorte d’émulation farouche s’empare des notes comme des mots et les emporte ensemble jusqu’au sommet d’où, brusquement, en un trait qui siffle et déchire, la voix retombe enfin, épuisée et comme morte.
Cela sans doute est encore du récitatif. Mais, en même temps, c’est déjà de la mélodie. Mélodie encore verbale et récitatif déjà chantant. On voit persister ici la noblesse et la vérité de la déclamation, l’ample et libre métrique du style oratoire. On s’aperçoit aussi que le mélisme ou la mélopée commence à se fixer, à se partager, si ce n’est en strophes, du moins en périodes, et celles-ci, diverses de lignes, se ressemblent par la durée et par la conclusion. Chaque invocation de la fille de Jephté finit par le même éclat ou le même sursaut de douleur. Une certaine régularité, qui n’est pas la rigueur, s’établit ou plutôt s’annonce ; de vagues correspondances s’ébauchent entre des formes similaires et la musique semble d’elle-même appeler, pour s’y soumettre, la grande loi, qui régira la mélodie classique, de la répétition et du retour.
Ainsi la beauté morale, ou l’éthos, de l’art carissimien est avant tout dramatique. Et sa beauté spécifique est faite de quelques souvenirs de l’ancienne polyphonie, du récitatif à sa perfection et de la mélodie à sa naissance.
Nous allons trouver dans l’œuvre de Schütz, avec des élémens analogues, un sentiment nouveau.
Le premier des grands maîtres allemands qu’on peut appeler modernes, Heinrich Schütz, ou Sagittarius, ainsi qu’il signait parfois, en latin, naquit à Köstritz, juste un siècle avant Bach, en 1585. Son grand-père possédait à Weissenfels une auberge dont son propre nom avait fourni l’enseigne : « Zum Schützen (Au Tireur). » Son père était également hôtelier. « Dieu l’avait, a dit Schütz de lui-même, désigné dès le sein de sa mère pour l’état de musicien. » Nulle hérédité ne l’y prédestinait. Sa mère, il est vrai, s’appelait Euphrosyne, d’un nom qui signifie, suivant Pontus de Tyard, « la joie que nous cause la pure délectation de la voix musicale et harmonieuse. » Mais l’enfant ne trouva pas d’autre présage autour de son berceau[15].
De bonne heure il eut une jolie voix. Un jour, un prince allemand qui passait l’entendit et l’emmena. Mais, avant la musique, c’est le droit qu’il lui fit apprendre. A vingt ans seulement, le jeune jurisconsulte fut envoyé par son protecteur à Venise auprès de l’illustre Gabrieli. Il en revint l’égal de son maître. Alors s’ouvrit devant lui la carrière commune aux musiciens des siècles passés. Maître de chapelle des princes et même d’un roi, il vécut, à Cassel, à Dresde, à Copenhague, d’une vie que les malheurs de l’Allemagne (c’était pendant la guerre de Trente ans) firent errante, précaire et douloureuse. A maintes reprises, il alla revoir cette Italie qui lui avait révélé son propre génie. Quand vint la vieillesse, il l’accueillit sans révolte, et la mort même le trouva depuis longtemps préparé. Le prédicateur de la cour de Dresde a raconté ses derniers momens. Ils ressemblèrent à ceux de Palestrina, l’un des maîtres que Schütz admirait le plus. « Le 6 novembre (de l’an 1672), il s’était levé bien portant, s’était vêtu lui-même, quand, après neuf heures, voulant chercher quelque chose dans sa chambre, il fut prit de faiblesse et terrassé par un coup subit d’apoplexie. Ses gens le relevèrent, le mirent au lit, et, après qu’il eut fait entendre ces paroles : « Je remets tout à la grâce et à la volonté de Dieu, » une nouvelle attaque lui enleva l’usage de la parole… Il ne put répondre aux prières et aux exhortations de son père spirituel que par quelques signes de la tête et des mains. Il lui fit entendre ainsi qu’il avait son Jésus dans le cœur, reçut alors sa bénédiction, puis resta calme et sans mouvement. La respiration et le pouls diminuèrent peu à peu et, à quatre heures, il mourut doucement en paix, sans la moindre convulsion, au milieu des chants et des prières des assistans[16]. »
Son œuvre est considérable : elle remplit seize volumes. Sauf l’opéra de Dafne (sur le texte de Rinuccini), qui passe pour le premier opéra allemand, elle est presque tout entière sacrée. Elle comprend, sinon des cantates ou des oratorios proprement dits, au moins des compositions du même genre : Psaumes, Cantiones ou Symphoniæ sacræ, Petits Concerts spirituels et plusieurs Passions.
Le style de Schütz, ainsi que celui de Carissimi, se compose harmonieusement d’élémens divers. L’art ne s’enferme plus alors dans une forme unique : polyphonie pure ou récitatif. Aux chefs-d’œuvre de Schütz l’orchestre a naturellement peu de part encore. L’importance du verbe y est plus grande. Schütz n’est pas de ceux qui laissent la musique « mener beau bruit, aille de la parole selon qu’il plaît à Dieu. » Il exige des chanteurs, avant tout, « qu’ils articulent distinctement, sans hâte, d’une voix claire. Pour le récitatif en particulier, il lui faut un débit aisé, sans contrainte de la mesure, asservi au seul rythme naturel d’un discours bien déclamé. Schütz ne se lasse pas de le redire et son insistance à prévenir toute confusion dans l’émission des paroles est bien naturelle puisque, pour le style récitatif qu’il importe en son pays, la traduction du mot, de la lettre, est le premier devoir du compositeur[17]. » Il recherche même, avec l’ingéniosité, pour ne pas dire la puérilité commune alors, l’imitation littéraire et littérale. Ce n’est point « par hasard que, dans l’Histoire de la Résurrection, Schütz nous peint la fuite de Marie-Madeleine sur un motif précipité, et c’est à bon escient que plus loin, après le solennel : Paix avec vous ! de Jésus aux apôtres, le compositeur anime le chant sur ces mots : « Comme mon père m’a envoyé, » l’accélérant encore lorsque le sens des paroles atteint plus de réalité objective, en cette proposition : « Je vous envoie[18]. »
Mais la beauté verbale est souvent chez lui beaucoup plus sérieuse et profonde. Qui donc a prétendu que la langue allemande est impropre à la musique ? Apparemment des gens qui la connaissent mal ou peut-être même ne l’entendent pas. Elle convient, au contraire, à toute espèce de musique : aussi bien à la mélodie qu’à la déclamation. Elle prête à l’une comme à l’autre ses grands substantifs qui se déroulent magnifiquement. Dans un de ses plus mornes lieder, Schumann a chanté die schöne Waldeinsamkeit (la belle solitude de la forêt) et ce dernier mot se prolonge en résonances infinies. L’effet n’est pas fort différent dans une admirable prière de Schütz : « Exauce-moi, Dieu de ma justification, Erhöre mich, Gott meiner Gerechtigkeit. » Le mot de Gerechtigkeit, étant abstrait, ne saurait naturellement faire image ; mais il donne, ou plutôt il impose à la notation de ses quatre syllabes un air de grandeur et de souveraine majesté.
Schütz écrit tantôt pour une voix et tantôt pour plusieurs. Sa mélodie se meut généralement dans un espace ou, comme on dit, un ambitus encore restreint. Elle ne s’emporte ni ne s’égare. Elle a de beaux débuts et quelquefois ses trois ou quatre premières notes annoncent et semblent déjà contenir son évolution tout entière. Le cantique (pour une voix seule) : Ich will den Herrn loben altezeit, est admirable de liberté, si ce n’est de fantaisie. Il concilie tous les élémens : le récitatif, la mélodie, les vocalises, le retour de périodes presque strophiques ; enfin, — excusez l’apparente contradiction des termes, — l’indépendance ou le caprice du refrain. Car c’est une sorte de refrain mystique, cet Alleluia délicieux qui revient de place en place, mais dont le rythme, l’intonation, renouvellent sans cesse et jamais n’épuisent la changeante et fidèle douceur.
Témoin de la réforme qui s’était accomplie en Italie, Schütz rapporte en Allemagne le principe et la pratique de la monodie. Aussi bien ce genre de compositions « convenait à la pénurie des chapelles allemandes alors dépeuplées[19]. » Mais l’amour de la polyphonie survécut toujours et vers la fin l’emporta peut-être en son cœur. Devenu vieux, infirme, il donne à ses dernières œuvres « la pure forme chorale, mêlée de récitatifs, le tout sans accompagnement… Il semblerait que Schütz ait voulu protester, par une austère et rude vigueur, contre les abus de la nouvelle école italienne. C’est un noble testament qu’il a l’illusion d’écrire dans la langue de Palestrina, tandis qu’il y prépare celle de Bach. En ses dernières années, d’ailleurs, il avait compris qu’il n’en est pas de plus digne de l’Eglise. Pour ses funérailles, il avait demandé à son élève, Christophe Bernhard, de composer un motet à cinq voix dans le style du maître romain. Il en choisit lui-même le texte dans le psaume CXIX, verset 54 : « Vos oracles me servent de cantique de réjouissance dans le lieu de mon exil ![20]. »
Un des plus purs chefs-d’œuvre du vieux maître, le Dialogue de Pâques, est écrit pour quatre voix. C’est bien une « histoire sacrée » que la première rencontre de Marie-Madeleine avec Jésus ressuscité. Mais Carissimi sans doute aurait pris le sujet autrement : il l’eût traité dans un style à demi récitatif et mélodique à demi. Schütz, au contraire, a fait ici de la polyphonie la principale et merveilleuse ouvrière de la beauté. Non pas que sa musique se compose, alla Palestrina, d’accords et de séries harmoniques pures. Elle chante des mélodies véritables, mais qui se reproduisent, qui s’imitent elles-mêmes, et dont le grand intérêt consiste peut-être en cette imitation, dans les diverses combinaisons et les réactions réciproques qui nécessairement en résultent. On dirait que l’écriture à quatre voix de ce dialogue, autrement dit l’attribution de deux voix à chacun des deux personnages, ne diminue la réalité matérielle de la scène que pour en accroître l’idéale vérité. Quelles ressources, quel renfort d’expression ne fournit point ici la polyphonie ! « Toi qui pleures, interroge le Christ, qui donc pleures-tu ? — Hélas ! répond Madeleine, ils ont enlevé le corps du Maître. » Et que ce ne soit point une voix, mais deux, qui font cette demande et surtout cette réponse, cela justement en fortifie, en étend à l’infini la puissance et la beauté. Les deux voix montent, empiètent et renchérissent lune sur l’autre ; il s’établit entre elles un courant et comme une émulation d’angoisse et de douleur. Sous leur double évolution, la question, redoublée aussi, persiste et se fait implacable. Partout elle retentit, provoquant partout la réponse obstinément désespérée, et bientôt ce n’est plus Madeleine seule, ou les Saintes Femmes avec elle, c’est toute l’humanité qui pleure, le croyant à jamais perdu, le bien de sa rédemption.
Ce début sans doute a des dehors éclatans. Et la fin n’est pas moins fulgurante : « Je vais aux cieux près de mon Père et de votre Père, près de mon Dieu, près de votre Dieu. » Tout à l’heure écrasée par le désespoir, la musique à présent triomphe de joie. Les voix, qui s’écroulaient, se relèvent et s’élancent. Des notes martelées et tonnantes font comme un cortège de gloire au Fils unique et divin rentrant dans le soin du divin Père. On pourrait aisément orchestrer la phrase finale, et ce sont les trompettes suraiguës de Bach ou même les tubas de Wagner qu’il faudrait pour accompagner cette radieuse ascension.
Mais où donc, demandera-t-on peut-être, où donc est la vie intérieure, le recueillement et le mysticisme que vous nous aviez promis ? Tout cela se cache en deux seuls mots qui sont le centre ou le cœur du dialogue évangélique et qui surpassent tous les autres : Marie ! Maître ! Les voix alternées les chantent, ceux-là, moins qu’elles ne les murmurent. Plus d’éclat, même plus de mélodie : rien que des harmonies, mais de colles que Chateaubriand appelle, dans le Génie du Christianisme, des harmonies d’immensité ; rien qu’une série d’accords parfaits, étranges et profonds grâce à leur perfection même, dégradés et fondus les uns dans les autres par un chromatisme mystérieux. Comme il vient de loin, de l’autre côté de la mort, cet appel où Jésus met à la fois l’affectueux reproche de ne le point reconnaître et l’austère défense de le trop approcher ! Et dans quel soupir de ravissement et d’extase se résout ou se dissout la réponse de Madeleine ! Rien ici ne déborde ou seulement ne dépasse ; tout se concentre et se reploie ; c’est au dedans, c’est au fond de l’âme que tout s’accomplit. Il y a trois ou quatre années à peine, un jeune et déjà célèbre enfant de l’ardente Italie n’a pas craint de noter à son tour le sublime dialogue. Vous n’avez pas oublié quel admirable cri d’épouvante et d’amour il a fait du Rabboni ! de Madeleine. Action et drame, l’œuvre de don Lorenzo Perosi nous semble en quelque sorte une résultante de l’art italien. Carissimi peut-être eût avoué pour son disciple le pretino de Tortone. Le chef-d’œuvre de Schütz, au contraire, chef-d’œuvre de prière et d’adoration, contient en germe et comme en puissance le plus pur génie allemand. Il suffit de rapprocher l’une et l’autre scène pour discerner deux aspects différens, ou plutôt pour toucher à la fois les deux pôles non seulement d’un sujet, mais d’un sentiment, de tout un ordre de sentimens infinis en beauté.
Spiritus intùs alit. Un esprit intérieur, un esprit de piété, je dirais presque d’oraison, inspire les Concerts spirituels du vieux maître. Rien dans Carissimi ne ressemble au cantique : Ich will den Herrn loben allezeit (Je veux louer en tout temps le Seigneur), que, cent ans plus tard, au contraire, dans une cantate pour le jour de la Pentecôte, un air fameux de Bach rappellera. Mais Bach lui-même n’aura pas plus de force et de carrure ; il aura peut-être (en cette page) moins d’onction. Le cantique de Schütz est composé de versets entre lesquels le mot : Alléluia ! revient sans cesse. Régulière sans doute, la division n’a rien de rigoureux, car les strophes ne sont pareilles que de mouvement et de durée, non de mélodie. Et puis et surtout l’Alléluia pénètre le chant tout entier d’une intime douceur. Rythmé à trois temps, tandis que le reste du morceau lest à quatre, ce changement répété produit un effet délicieux de rémission et de détente ; il suffit de cette légère inflexion pour sauver la ligne générale de la monotonie et de la raideur.
Enfin une figure domine l’œuvre de Schütz comme elle dominera celle de Bach, au lieu que, chez Carissimi de même que chez Hændel, elle ne fait qu’apparaître : c’est la figure de Jésus. Des quatre maîtres que nous étudions en ce moment, deux sont les musiciens de la Bible ; les deux autres, ceux de l’Evangile. O süsser, o freundlicher, o gütiger Jesu Christe ! Ainsi commence un cantique spirituel de Schütz. Les trois invocations montent par degrés chromatiques : elles sont notées en valeurs lentes, comme pour laisser à l’âme le temps de se recueillir et de méditer, avec un amour croissant, chacun de ces noms si doux. Nous sommes ici devant les premiers chefs-d’œuvre du lyrisme sacré ; devant les naïves et pures esquisses de ces cantates de Bach où la musique, un jour, elle aussi, trouvera ses Méditations sur l’Evangile et ses Élévations sur les mystères.
Cette prière est écrite pour une voix seule. Une autre, à trois voix (deux ténors et basse), est plus belle encore, ou belle autrement : non seulement par l’onction, mais aussi par l’éloquence et l’énergie. « Que l’âme du Christ me sauve ! Que le corps du Christ me nourrisse ! Que le sang du Christ m’abreuve ! Que l’eau qui coula de son côté me lave ! Que sa Passion et sa mort me fortifient ! » Si quelques-uns de ces vœux s’expriment humblement et tout bas, d’autres sont proférés avec une sorte de hardiesse. Il arrive que telle cadence donne aux trois voix, toutes masculines, et qui se répondent, un accent non seulement assuré, mais pour ainsi dire impérieux. On trouve ici comme un pressentiment non plus de Bach, mais de Beethoven lui-même ; du Beethoven qui, dans la Messe en ré (voyez le Kyrie ou le Dona nobis pacem de l’Agnus Dei), ira presque jusqu’à sommer le Seigneur de l’entendre et de l’exaucer. Et sans doute l’audace est plus sensible chez Beethoven. Mais déjà, dans la mystique litanie de Schütz, on croit surprendre çà et là quelque trace et comme un éclair de la violence que souffre parfois le royaume des cieux.
Voici, en revanche, une merveille de douceur. Après le Christ triomphant, voici le Christ consolateur. Après l’âme parlant à Jésus, voici que Jésus lui répond, de la voix la plus divine et la plus humaine en même temps que la musique ait encore jamais prêtée au Sauveur. Nous ne sommes plus dans le jardin de Joseph d’Arimathie, où retentissaient naguère les derniers échos de la Résurrection. Mais c’est encore un paysage, un paysage de Galilée, qu’une petite symphonie pour deux violons et l’orgue dessine d’abord en traits fins et purs. Bientôt, de la pastorale naïve se détache la voix du Bon Pasteur : « Venez, chante-t-elle, venez à moi, vous qui travaillez, vous qui êtes chargés, et je vous soulagerai. » Sans hâte, sans bruit, l’incessant appel s’élève, en les effleurant à peine, sur les degrés de l’accord parfait, mineur et majeur tour à tour. Ainsi les deux modes alternés font comme un jeu changeant d’ombres et de lumières, selon que la suave cantilène s’attendrit sur la douleur ou promet de la consoler. Tollite, poursuit la voix, tollite jugum meum, et la musique alors, ingénument imitative, s’échappe et court, avant même que la parole ait dit que ce joug est léger. « Portez mon joug et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. » Les harmonies sont ici les mêmes, — je veux dire aussi profondes et limpides, — que sous les deux noms : Marie ! Maître ! échangés dans le Dialogue de Pâques. Mystérieux privilège des sons ! Les mois ne savent que dire : « Je suis doux, je suis humble. » Mais quelques accords suffisent pour nous rendre en quelque sorte sensibles la douceur et l’humilité mêmes, dans leur essence spirituelle et comme dans leur être pur. Enfin l’appel et la promesse reviennent une dernière fois et la divine homélie s’achève par une suprême effusion de miséricorde. Venite ! Venite ! Après tant de prières des hommes à Dieu, on dirait que Dieu lui-même prie les hommes à son tour ; qu’il les presse de se laisser aimer, secourir et sauver par lui. Voilà ce que Carissimi n’avait pas chanté. Voilà, dans le style sacré, le sentiment ou l’éthos nouveau et la tendresse inconnue. Musicien de l’Evangile, Schütz pourrait l’être aussi de l’Imitation. En son œuvre, c’est tantôt le fidèle qui parle, et tantôt le maître ; désormais, entre Jésus et rame, les mystiques entretiens sont commencés.
Schütz meurt en 1672. En 1674, Carissimi le suit. Et, moins de quinze ans plus tard, dans la même année 1685, à quatre semaines d’intervalle, Hændel et Bach naissent en Allemagne. Il semble que leur commune patrie n’était pas de taille à les contenir ensemble, et c’est pour cela peut-être que Hændel, Allemand de race, vécut et mourut Anglais.
On peut douter si les deux géans se ressemblent ou diffèrent davantage. On les a même parfois l’un à l’autre égalés, et Matheson proposait de ne les ranger que par ordre alphabétique. En tout cas, leur double génie est fondé sur une base commune, — je parle de la practical basis (comme disent nos confrères anglais), — qui, depuis Schütz et Carissimi, s’est étrangement élargie et assurée. Polyphonie et mélodie même, harmonie, orchestre, tous les élémens de la musique se sont accrus et fortifiés ; issue autrefois des vieux artifices canoniques, la fugue est maintenant arrivée à la plénitude de son être et devient, chez Hændel et Bach, l’organe essentiel et prodigieux de cent chefs-d’œuvre sacrés.
S’il fallait en deux mots définir et comparer le génie de Hændel et celui de Bach, on serait tenté de dire que l’un se développe davantage en étendue, l’autre plutôt en profondeur. Et de l’un et de l’autre assurément cela ne dirait pas tout et pourrait même, en certains endroits, être contredit. L’Allegro e Pensieroso de Hændel renferme plus d’une page rêveuse et par où le dernier mot de ce double titre se justifie. Je sais, dans l’oratorio de Samson, telle cantilène de Dalila, que fait étrange et troublante un mélange de repentir hypocrite et de perfide amour. De telles exceptions prouvent que, Hændel étant parmi les génies souverains, presque rien ne lui manque tout à fait et que ce grand maître de la clarté, de l’évidence, a quelquefois soupçonné le charme de l’ombre et du mystère.
Mais il n’a fait que le soupçonner. Le principal trait de sa musique, c’est la projection au dehors, c’est l’expansion et le déploiement au grand jour. On rapporte que Hændel avait dans sa personne même, dans son caractère et ses façons, quelque chose d’exubérant et d’indomptable. Il était corpulent et de haute stature, avec une physionomie énergique et qui pouvait devenir terrible. Son humeur, bonne ou mauvaise, éclatait en brusques saillies. « Charmé de vous voir revenu » (You are wellcome at home), disait-il au violoniste Dubourg, qui, longtemps « perdu » dans une cadence, avait fini par s’y retrouver. Polyglotte autant que son œuvre est polyphone, Hændel parlait plusieurs langues et les parlait quelquefois ensemble. Sa facilité, sa promptitude est demeurée légendaire. Il créait dans un perpétuel transport. Six semaines lui suffisaient pour composer un oratorio ; pour un opéra, c’était assez de quinze jours. « Ami lecteur, s’écrie dans la préface de Rinaldo le librettiste hors d’haleine, M. Hændel, l’Orphée de nos jours, m’a laissé à peine le temps d’écrire mon texte. J’ai vu avec stupeur tout un opéra complètement harmonisé et porté au dernier point de perfection en deux semaines. Que mon travail hâtif trouve donc grâce à tes yeux et, s’il ne mérite pas tes éloges, ne lui refuse pas du moins ta pitié ou plutôt ta justice, eu égard au peu de temps dont j’ai pu disposer pour le terminer[21]. »
Les facultés même physiques de Hændel étaient en rapport avec son génie. La force de ses doigts avait fini par creuser comme des cuillers les touches de son clavecin. Quand il criait : Chorus ! les choristes et les murailles en tremblaient. Sans compter que les solistes ne devaient pas être beaucoup plus rassurés, depuis le jour où le colosse en fureur avait failli jeter une cantatrice, la Cuzzoni, par la fenêtre. Un soir, au restaurant, il commande à dîner pour trois ; on tarde à le servir, il se fâche, et, comme on lui répond : « Nous attendons que votre compagnie soit arrivée. — Alors, servez prestissimo, c’est moi qui suis la compagnie. »
Longue et souvent difficile, sa carrière fui toujours en quelque sorte ouverte ou publique. « Ami, cache ta vie et répands ton esprit. » De ces deux préceptes, Hændel n’a suivi que le dernier. Compositeur officiel et directeur des concerts de la Cour ; infatigable fournisseur de Te Deum, d’antiennes funèbres et nuptiales, de symphonies et de sérénades pour accompagner des feux d’artifice ou des promenades sur l’eau (fireworks and water music) ; l’idole de l’aristocratie anglaise quand il n’en était pas la victime, il fut aussi le directeur, deux fois en faillite, d’un théâtre italien que trente ou quarante opéras de lui, malgré la concurrence et la cabale, firent longtemps glorieux.
Son génie ressemble et sa destinée. Le musicien du Messie, — oui, fût-ce du Messie, — aime l’éclat extérieur, la pompe et les dehors splendides. M. Saint-Saëns nous écrivait un jour : « J’ai beaucoup étudié Hændel et, d’autre part, ayant eu la bonne fortune de fouiller dans la bibliothèque musicale de The Queen à Buckingham-Palace, j’ai eu la curiosité de voir ce qu’écrivaient les contemporains et prédécesseurs du grand homme et de chercher à comprendre pourquoi et en quoi il les avait éclipsés. Je suis arrivé à cette conviction bizarre, que c’est par le côté pittoresque et descriptif, alors tout à fait nouveau et inattendu, qu’il avait conquis l’étonnante faveur dont il a joui. Cette façon magistrale décrire les chœurs, de traiter la fugue, d’autres l’avaient comme lui. Ce qu’il a apporté, c’est la couleur, l’élément moderne, que nous ne savons plus voir en lui, — pour de bonnes raisons. Il ne saurait ici être question d’exotisme. Mais regardez à ce point de vue la Fête d’Alexandre, Israël en Égypte, surtout Allegro e Pensieroso, et tâchez d’oublier tout ce qu’on a fait depuis. Vous trouverez à chaque pas la recherche du pittoresque, de l’effet imitatif. Elle est réelle et très intense pour le milieu où elle s’est produite et où elle semble avoir été inconnue auparavant. »
Souvent mesquine et puérile même, plutôt que tout à fait inconnue avant Hændel, l’imitation, chez lui, peut atteindre au sublime : témoin certain air du Messie, où le Seigneur se vante, au bruit de roulades qui sont de vrais tonnerres, de pouvoir ébranler tout l’univers ; ou tel autre air de basse, dans le Messie encore, dont la mélodie embarrassée et tortueuse figure admirablement « les peuples qui marchent dans l’ombre de la nuit. »
Hændel est un grand décorateur. Il l’est avec une opulence, une fougue, une joie presque italienne, vénitienne même. Il couvre de musique des surfaces immenses. « Sa mélodie toujours également lumineuse et pure déroule ses nobles lignes comme une frise antique dans l’air transparent du Midi[22]. » Certains de ses chœurs par acclamation font songer aux psaumes de Marcello. Ce n’est pas à Dublin, où cependant il fut exécuté pour la première fois, c’est à Venise, un jour d’été, que j’ai rêvé souvent d’entendre le Messie.
Plus que Carissimi, mais comme lui, Hændel est historien et dramaturge. On pourrait définir ses oratorios des « histoires sacrées » élevées à la dernière puissante, portées au comble de la force et de la majesté. Les ressources, les proportions se sont prodigieusement accrues depuis Carissimi ; le sentiment ou l’idéal a peu changé.
Hændel est le musicien d’Israël et de tout Israël : de ses capitaines, de ses prophètes, de son peuple et de son Dieu. Quand les maîtres modernes ont été bibliques, — je pense au Meyerbeer du troisième acte du Prophète et surtout au Saint-Saëns de Samson et Dalila, — c’est de Hændel qu’ils se sont inévitablement souvenus. Hændel, lui aussi, nous a laissé parmi ses oratorios dramatiques un admirable Samson. Il serait facile et curieux de le jouer à l’Opéra. Les deux chefs-d’œuvre se feraient ainsi l’un à l’autre des lendemains glorieux.
On rapporte qu’après la première exécution du Messie, un grand seigneur étant allé féliciter Hændel et le remercier du plaisir qu’il venait de causer à l’assistance : « Je serais bien fâché, mi lord, répondit-il, si je ne faisais que plaisir à l’humanité : je prétends la rendre meilleure. » Il la rendrait héroïque, si l’humanité savait entendre ses chants. Un journal du temps a dit de l’oratorio de Saül « que cette musique mériterait d’être conservée rien qu’à cause de son étonnante puissance à soulager la douleur par la glorification de la douleur. » Le mot de « glorification » résume assez bien le génie de Hændel. Par lui tout devient rayonnant et splendide. Son œuvre, même tragique, est un festival éternel, une apothéose sans fin et presque sans ombre. Glorieuse, — il n’y a décidément pas d’autre mot, — glorieuse est la douleur de Samson aveugle ; glorieuse encore est sa mort. C’est dans le mode majeur que retentit la marche accompagnant ses funérailles, et ce mode seul est le signe d’un trépas sans faiblesse. Un lamento mineur la précède : la foule gémit et pleure ; mais, quand le mort lui-même paraît, alors le majeur éclate. L’héroïsme du héros lui survit, et cela fait penser à certains traits de Bossuet, du Bossuet non pas des Méditations sur l’Évangile, mais des Oraisons funèbres : « On trouve tout consterné, excepté le cœur de cette princesse. »
Judas Macchabée n’est pas moins héroïque que Samson ; il l’est peut-être avec plus d’enthousiasme, avec la verve de la jeunesse et j’allais dire sa folie. Certains maîtres d’autrefois écrivaient sur leurs partitions : Soli Deo gloria. C’est au Dieu des armées que Hændel aurait pu dédier son Judas, la plus guerrière de ses œuvres sacrées.
Autant que des figures individuelles, Hændel en crée de collectives, et colossales toujours. Alors sa force et sa grandeur s’accroissent avec le nombre des personnages. Dans la plupart de ses oratorios, le chœur n’est pas, comme dans les cantates de Bach, composé des fidèles, mais du peuple juif ou des peuples ses ennemis. De là résulte (voyez par exemple Samson) un caractère national autant que religieux et souvent des oppositions de masses et des conflits grandioses. Derrière les héros, le chœur des prêtres ou des guerriers fait comme un fond qui donne aux personnages du premier plan encore plus de relief et de couleur. Le musicien du Messie ou de Judas Macchabée excelle à nous procurer, fût-ce en une phrase, en quelques mesures à peine, l’impression de la foule innombrable autant que de l’étendue infinie. Pleure, race de Juda ! Ainsi commence Judas Macchabée. Et vous vous rappelez les premières paroles du Messie : Comfort you, my people ! Divers de sentiment, les deux impératifs sont également catégoriques et en quelque sorte plus larges l’un que l’autre. Le commandement de douleur regarde toute une race ; c’est à toutes les races que s’adresse l’ordre d’espérer. Et les trois ou quatre notes qui l’édictent ont une telle ampleur qu’elles semblent porter en elles et comprendre pour ainsi dire en leur courbe immense tout le bienfait de la rédemption et le salut du monde entier.
Cette lumière, cette force qu’il répand et qu’il distribue ici, Hændel ailleurs (dans le Messie encore), la ramasse et la concentre. Il crée alors des figures isolées et gigantesques ; il écrit certains airs, comparables pour la taille, et je dirais volontiers pour la plastique, aux fresques de Michel-Ange. Si les prophètes de la Sixtine avaient une voix, j’imagine que c’est du Hændel, — et les airs du Messie, — qu’ils chanteraient.
Vous souvient-il comment Taine a parlé de Dryden, qui parfois inspira Hændel : « Il est soulevé, dit-il, par les beaux sons et les belles formes ; il écrit hardiment, sous la pression d’idées véhémentes ; il s’entoure volontiers d’images magnifiques ; il s’émeut au bruissement de leurs essaims, au chatoiement de leurs splendeurs. » Cela n’est pas moins vrai du musicien que du poète. Il y a, même dans le Messie, une part faite à la magnificence extérieure et à la somptuosité décorative. C’est une espèce de prodigieux plafond musical, que le célèbre Alléluia. Tel autre chœur, moins fameux, serait digne de la même renommée, pour des raisons et des beautés de même nature : je veux parler de l’acclamation multipliée à l’infini, sur les paroles de l’Apocalypse : « A lui toute puissance, tout honneur, toute force, toute gloire et toute louange. » Il y a là comme une surabondance ou plutôt une surenchère prodigieuse de sons et de cris, un redoublement continu d’éloquence et d’enthousiasme. On comprend qu’en peignant à grands traits, et comme à coups de brosse, de pareilles apothéoses, Hændel ait cru voir le ciel ouvert et « le grand Dieu lui-même. » Il ne disait pas « le bon Dieu, » et il avait raison, sensible qu’il fut toujours à la grandeur plutôt qu’à la bonté.
C’est pour cela que, par le sentiment, sans parler ici de la forme, un chef-d’œuvre comme le Messie de Hændel n’a rien de commun avec un chef-d’œuvre tel que la Passion de Bach. L’un est hébraïque et l’autre chrétien. Dans le Messie, le Christ est annoncé, promis ; à peine est-il aimé. Il l’est pourtant quelquefois. La petite pastorale de Noël accueille tendrement l’enfant Jésus. La cantilène fameuse : Il garde ses ouailles, dessine en traits doux et purs la figure du Bon Pasteur. Enfin et surtout certain air de contralto : Il fut méprisé, honni, et l’admirable chœur qui suit, forment assurément l’un des Ecce homo les plus compatissans, les plus indignés de la musique entière. Mais, chez Hændel, et dans celui-là même de ses ouvrages qui pouvait être sinon le plus mystique, au moins le plus pieux, ce n’est là que l’éclair d’une cordialité sublime et rare. Le Messie, en somme, demeure un chef-d’œuvre de chaleur moins que de lumière, et de foi plus que de piété.
Mais la foi l’inspire et le soutient : une foi qui transporte vraiment des montagnes sonores, car la masse de cette musique n’a d’égale que sa mobilité. Et cette musique, — singulier contraste, — exprime souvent par des formes définies et plastiques la conception abstraite et pour ainsi dire l’idée pure, l’idée en soi de Dieu et du divin. Je sais des airs, même des phrases de Hændel, qui révèlent à notre esprit le Dieu métaphysique, mais ne font pas le Dieu personnel sensible à notre âme ou à notre cœur. Il y a dans l’Ancien Testament certaines paroles : « Je suis Celui qui suis », ou « Je te montrerai tout le bien, » dont on ne retrouverait l’équivalent, pour la plénitude « il la totalité, que dans la musique du Messie. Elle a des clartés qui vont jusqu’à l’évidence et des affirmations qui nous donnent la certitude : « I know that my Redeemer lives. Je sais que mon Rédempteur vit. » Qui donc en douterait encore, ayant entendu cet air ? On rapporte que Beethoven, sur le point de mourir, désigna du doigt les partitions de Hændel, qu’il venait de recevoir, et dit : « Là est la vérité. » — Il ne dit pas : « Là est l’amour. »
Des œuvres de Jean-Sébastien Bach il aurait pu le dire.
En relisant tour à tour les deux maîtres, nous nous sommes rappelé souvent quelques lignes du Génie du Christianisme, qui définiraient assez bien l’un par rapport à l’autre le musicien de la Bible et celui de l’Evangile : « Plus fière sous l’ancienne alliance, la musique ne peignit que des douleurs de monarques et, de prophètes ; plus modeste et non moins royale sous la nouvelle loi, ses soupirs conviennent également aux puissans et aux faibles, parce qu’elle a trouvé dans Jésus-Christ l’humilité unie à la grandeur. »
Bach lui-même fut humble autant qu’il fut grand. Enfant de chœur, puis organiste, maître de chapelle et cantor, son existence a quelque chose à la fois de religieux et de caché. L’ombre du sanctuaire l’enveloppe. Elle s’écoule, non dans la solitude (il eut deux femmes et vingt enfans), mais dans la retraite. Elle n’a rien de commun, ni les voyages à l’étranger, ni les hasards, ni les succès ou les revers éclatans, avec la carrière officielle et publique de Hændel.
Autant que de la destinée de Bach, cette intériorité fait l’un des caractères et peut-être le fond même de son génie sacré.
Pourtant, comme Hændel parfois se concentre et se reploie, il arrive aussi que Bach se répand au dehors. Les plus dramatiques oratorios de Hændel le sont peut-être moins que telles pages de la Passion selon saint Matthieu. Bach avait à ce point le sens de sa vie, fût-ce de la vie extérieure, qu’on pourrait trouver, non pas même dans la Passion, mais dans une œuvre de musique pure (certain prélude du Clavecin bien tempéré), le germe rythmique et mélodique de l’un des épisodes les plus vivans et les plus populaires des Maîtres Chanteurs. D’un bout à l’autre de la Passion, la foule, et non seulement la foule d’aujourd’hui, celle des auditeurs ou des fidèles, mais celle des témoins ou des acteurs, celle d’autrefois, participe au drame. Elle y mêle ses mouvemens, dont la vivacité et la force n’ont d’égales que la justesse et la vérité. De cette action dramatique, et je dirais théâtrale, si le mot ne se prenait d’habitude en mauvaise part, les exemples abondent. C’est, pendant la Cène, après l’avertissement de Jésus : « L’un de vous me trahira, » la demande anxieuse des disciples : « Est-ce moi, Seigneur, est-ce moi ? » Plus loin, quand le Christ est arrêté par les soldats sous les oliviers du jardin, c’est la protestation, qui s’élève de toutes parts : « Laissez-le ! Ne le liez pas ! » Devant Caïphe et Pilate et jusque sur le Calvaire, à tout instant la multitude intervient. On a justement observé quelle « réalité terrible » donne la musique aux « cris de rage, » aux « longues clameurs, » aux « huées stupides et sinistres d’un peuple en colère. Et ces effets prodigieux, Bach les obtient aisément, sans jamais se départir des formes les plus rigoureuses. Les moyens employés sont de la plus grande simplicité. Le cri : « Barrabas ! » sur l’accord de septième diminuée, est plus effrayant que ne l’eût été un chœur développé. Si l’Evangile dit que les Juifs criaient encore plus fort : « Crucifiez-le ! » Bach se borne à répéter le chœur précédent, ce qui le rend bien plus strident. Tout cela est fort simple assurément ; le tout était de le trouver[23]. »
La nature elle-même, une fois au moins, est associée dans la Passion au récit dramatique et à la prière. Je ne parle pas ici du voile du temple déchiré, des rochers qui se fendent et de la terre qui tremble. Bach a décrit sommairement les désordres qui suivirent la mort de Jésus. Mais il a, pour ainsi dire, essayé de retenir le moment qui la vit 6accomplir. C’est une chose étrange, peut-être unique par le sentiment et par la sensation, par la rencontre et l’accord de l’un avec l’autre, que cette invocation au soir. A peine le pieux Joseph d’Arimathie a-t-il obtenu de Pilate d’enlever et d’ensevelir le corps du Sauveur qu’un chant mystérieux s’élève. Oui, vraiment, il s’élève comme le souffle de l’heure qu’il chante, heure tardive et fraîche, témoin de tant de mystères : de ceux de nos péchés et de ceux de notre salut. Alors, funestes ou bénis, il semble que tous les soirs fameux de notre destinée viennent aboutir à celui-ci, qui rachète les uns et consomme ou couronne les autres. Et, dans l’histoire de la musique ainsi que dans celle de l’humanité, voilà « le soir » adorable entre tous, le soir divin, par lequel tous les autres, même les plus doux et les plus purs, sont effacés.
Mais ce paysage n’est si beau que parce qu’il ressemble à, une âme, et dans cette âme il faut maintenant pénétrer. Elle ne s’ouvre ou ne se livre pas tout de suite. Bach éclate d’abord aux esprits et par l’esprit. On commence par l’admirer surtout ; ensuite, et de plus en plus, on l’aime. Il a, lui-même, tant aimé ! C’est Bach, encore mieux peut-être que Luther, que Carlyle aurait pu définir : « Un cœur fort, généreux avec tout cela, plein de pitié et d’amour, comme en vérité le cœur vaillant l’est toujours… Je sais peu de choses plus touchantes que ces doux souffles d’affection, doux comme ceux d’un enfant ou d’une mère, dans ce grand cœur sauvage[24]. »
D’autres paroles, et plus saintes, reviennent à la mémoire en lisant la Passion selon saint Matthieu ou les Cantates : « Ce n’est plus moi qui vis ; c’est Jésus-Christ qui vit en moi. » Voilà la vie surnaturelle et vraiment divinisée qui circule en quelque sorte à travers l’œuvre sacrée de Bach. Elle y fait un continuel retour de Dieu à l’homme et de l’homme à Dieu. Hændel, historien et dramaturge, a chanté les prophètes et les guerriers ; lyrique et mystique avant tout, Bach n’a d’autre héros que Jésus-Christ. L’action, la plus grande de toutes, que sa musique excelle à représenter, c’est l’action de Jésus-Christ sur nous, ou plutôt en nous.
Il n’est pas jusqu’aux élémens spécifiques, jusqu’à la base pratique (practical basis) de cet art, qui ne soit établie profondément. Ni la mélodie, ni l’harmonie de Hændel ne pénètre en nous si avant. Tandis que la mélodie de Hændel ne fait guère, — magnifiquement, il est vrai, — que s’étendre et se déployer, celle de Bach s’insinue et creuse. Souvent, ainsi que sa rivale, elle nous attaque de front ; mais maintes fois aussi, moins carrée et plus souple, elle se glisse en nous comme de biais, et, par de secrets passages, avec mille détours que l’autre n’a que rarement connus, elle arrive au centre même de notre âme.
Une différence de nature entre les deux maîtres apparaît ici. Le génie de Hændel, éminemment vocal, se renferme volontiers entre les limites et dans la puissance de la voix. Bach, au contraire, on l’a très bien remarqué, « est parti de la musique instrumentale… Là sont ses racines profondes. Quand, plus tard, il s’est voué avec prédilection à la composition de grandes œuvres chorales, il n’a jamais consenti à abaisser les instrumens au rang de serviteurs ; c’est plutôt la voix qui est traitée en instrument, supérieur, il est vrai, aux autres, mais seulement comme un primus inter pares ; les formes mêmes de ses chœurs sont souvent empruntées à la musique instrumentale[25]. »
Que dire de l’harmonie de Bach, sinon qu’infiniment plus riche, plus délicate et plus divisée que celle de Hændel, elle pénètre aussi plus avant, touche le fond de notre substance et se répand « comme l’huile jusque dans la moelle des os[26] ? »
Enfin un dernier élément, qui manque chez Hændel et que Bach a fait sien ; une dernière source d’émotion personnelle ou subjective et d’intime beauté, c’est le choral. Qu’il succède à d’autres figures ; à d’autres mouvemens sonores, ou qu’il s’y associe ; que, dans le second cas, il se développe au-dessus ou bien au sein de la polyphonie ; qu’il en soit le sommet ou le centre, toujours il la rassemble et, pour ainsi dire, il la compose. Tantôt il suspend l’action et tantôt il la tempère. Il est une halte, un répit favorable à la méditation, à la fois le signal et le symbole du recueillement de l’âme et de sa rentrée en soi.
Dans la Passion selon saint Matthieu, nous l’observions plus haut, l’action est belle ; mais la réaction, le retour de l’auditeur ou du fidèle sur lui-même est plus admirable encore. C’est par l’exaltation et par la sanctification aussi du sens individuel que Bach est, je crois, le plus grand de tous les lyriques sacrés.
« Mes frères, je triomphe de joie, » s’écriait parfois Bossuet. Bach à chaque instant éprouve et nous communique cette joie triomphante. Rappelez-vous l’allure du fameux air de la Cantate pour le jour de la Pentecôte : « Mein glaübiges Herze, Froh locke, sing, scherze ! » Rappelez-vous l’Alleluia final de la Cantate pour tous les temps, et la Cantate : Wachet auf ! tout entière ; enfin, tant de vocalises, de sonneries et de fanfares, et tous les bondissemens, tous les hurlemens d’une sainte et vraiment divine allégresse.
oilà pour l’exaltation de l’âme. Mais ses abaissemens sont peut-être plus admirables encore. Bach a des éclats d’amour ; il en a des soupirs aussi et, dans la Passion, dans les Cantates, son humilité fait sa grandeur. Non pas seulement la sienne, mais la nôtre : tantôt celle de chacun de nous et tantôt celle de nous tous. L’œuvre sacrée de Bach abonde en mystiques et solitaires oraisons. A l’entrée de l’immense vaisseau qu’est la Passion selon saint Matthieu, le double chœur élève ses deux tours. Mais franchissons le seuil formidable : nous trouverons à chaque pas, entre les piliers gigantesques, des chapelles obscures et des recoins d’ombre, faits pour la prière et pour les pleurs. C’est un récitatif, un petit choral, un air, surtout un de ces ariosos, merveilles parmi tant de merveilles, où l’âme, abîmée dans la douleur et dans la tendresse, semble vraiment s’appliquer les souffrances et les mérites du Sauveur.
Plus souvent encore que la Passion, lisons les Cantates. Elles sont vraiment, en musique, le manuel ou le bréviaire de la vie intérieure, un trésor inépuisable de psychologie religieuse. Lisons-les, comme dit l’Imitation, qu’on peut citer à propos d’elles, après avoir fermé sur nous la porte de notre chambre. Tous les mystères y sont médités, et particulièrement celui de l’amour et celui de la mort. L’un et l’autre se trouvent réunis dans l’admirable Cantate : Christ tag in Todesbanden. Un choral unique en fait la matière, identique toujours, mais constamment renouvelée. Ici, par le génie symphonique et presque par le procédé même du leitmotiv, Bach annonce vraiment Wagner. Quelquefois il développe le thème du choral, il l’étend jusqu’aux dimensions d’un air, d’un duo, d’un chœur. Parfois, au contraire, et, par exemple, à la fin, il l’enferme dans la stricte formule du choral même, pratiquant ainsi les deux grandes opérations de l’esprit, l’analyse et la synthèse, avec une maîtrise égale.
Cette cantate est mêlée étrangement de douleur et de joie. Elle a pour sujet la mort du Christ, source et gage de notre vie éternelle. Par-là se justifie, d’un bout à l’autre de l’œuvre, l’alternance des lamentations et des Alleluia. Nulle part cette vicissitude n’est plus émouvante qu’en certain duo pour voix de femmes. Les paroles, qui sont de Luther, disent à peu près ceci : « La mort, nul ne pouvait la vaincre. Parmi les enfans des hommes, il n’y avait que péché ; nulle part ne se rencontrait l’innocence. De là vint la mort, qui reçut pouvoir sur nous. Elle nous tenait en sa puissance. Alleluia ! Alleluia ! » Sur le motif ralenti et, comme on dit en langage technique, « augmenté, » du choral ; sur un accompagnement impassible, une double et funèbre mélodie se déroule ; la parole même de joie, à la fin, languit et meurt. Il résonnait tout autre, ce beau mot d’Alleluia, quand les chœurs de Hændel se le renvoyaient à travers l’infini des cieux. Voici qu’il a perdu son éclat, son allégresse, et, sur la terre, deux humbles voix l’échangent aujourd’hui parmi des paroles de mort. Cette mort, déplorée ici, quelle est-elle ? Non point un de ces trépas glorieux, héroïques, que Hændel encore, le Hændel de Samson, de Saül ou de Judas Macchabée, célébrait avec magnificence. Non : c’est notre obscure, notre commune mort. Chantons l’Alleluia, puisque le Christ est ressuscité, puisque nous vivrons éternellement par lui ; mais que cet Alleluia soit mélancolique et presque douloureux, car il a fallu que le Christ souffrît et mourût ; car, après lui, comme lui, nous avons tous à mourir.
En ces régions profondes où depuis les siècles du plain-chant et le siècle de Palestrina la musique n’avait plus pénétré, Bach ne conduit pas seulement chacun de nous : il nous y fait descendre en quelque sorte tous à la fois. Admirable représentant d’une âme isolée, Bach est un interprète non moins admirable de la foule des âmes. Le principe individuel et le principe social se rencontrent et se font équilibre en ce génie vraiment « religieux, » qui relie Dieu à l’homme et tous les hommes ensemble. Rappelez-vous, dans les Cantates, dans la Passion selon saint Matthieu, tant de dialogues, inconnus avant Bach, entre une voix unique et d’innombrables voix, entre un sublime chorège et des chœurs plus sublimes encore, entre la foule qui prie et pleure et je ne sais quel médiateur ou pontife mystérieux. En ces polyphonies universelles souvent un choral intervient, mais le choral et le chœur ne se meuvent point du même mouvement. Le choral chemine avec plus de lenteur, le chœur se développe sans trêve. Parfois, au contraire, le choral s’interrompt pour reprendre ensuite, et chaque silence donne à chaque reprise plus de beauté. Multiple enfin et pathétique, le chœur est fait de nos plaintes et de nos supplications. Le choral les domine ; au-dessus de la polyphonie et de la passion, il est un et il est calme ; il est la paix, la règle, il est l’élément divin. Ainsi la musique de Bach nous enseigne en même temps avec qui et sous qui nous devons vivre, et cela est tout l’ordre, toute la loi.
Cet amour divin, le seul que son austère génie connut jamais, Bach en a rempli parfois et pour ainsi dire inondé l’âme de l’humanité tout entière. Il a convié les siècles et les peuples à la méditation, à l’adoration des mystères chrétiens. En des pages comme la première et la dernière de la Passion selon saint Matthieu, l’oratorio s’élève et s’agrandit jusqu’à l’épopée. Mais les proportions colossales n’écrasent pas le sentiment exquis ; sous le revêtement ou l’armature énorme, ce n’est pas seulement un grand cœur, c’est le cœur le plus tendre qui bat. Au début de la Passion, Bach nous avait tous appelés au spectacle de la divine tragédie. Maintenant elle est achevée. Devant nous tous, pour nous tous, Jésus a souffert, est mort. Tous, entourant l’adorable dépouille, avant que retombe la pierre, nous prenons congé du Sauveur. « Bonne nuit, doux repos, mon Jésus ! » Partout, autour de la sépulture, flotte l’adieu familier et grandiose des voix et des âmes sans nombre. Ces âmes, pour la dernière fois, nous découvrent leur essence même : toute la fermeté de leur croyance, toute la suavité de leur amour, et, dans l’épilogue universel, mais intime aussi de la Passion, comme en tout chef-d’œuvre du maître, ce que nous admirons davantage, on ne saurait trop le répéter, ce n’est pas l’étendue, mais la profondeur.
Ab exterioribus ad interiora, disent les mystiques. De Carissimi à Schütz, de Hændel à Bach, nous avons essayé de suivre ce chemin. Nous avons vu d’abord le sentiment religieux ou l’idéal sacré nous environner par le dehors ; puis nous l’avons senti pénétrer au dedans et s’attacher aux puissances de notre âme. Et telle est bien sur nous, sur tout notre être, l’action successive et comme la double prise de Dieu.
CAMILLE BELLAIGUE.
- ↑ Vie de saint Philippe Néri, par Son Éminence le cardinal Capecelatro, archevêque de Capoue ; traduction du P. Bezin. 2 vol. Paris, Poussielgue, 1889.
- ↑ Cité par le cardinal Capecelatro.
- ↑ Le Drame religieux au XVIIe siècle, par M. Romain Rolland (Tribune de Saint-Gervais, juin 1899). — Consulter également sur les origines de l’Oratorio, sur les œuvres d’Emilio del Cavalière, de Carissimi, de Schütz, l’ouvrage capital du même auteur : Histoire de l’Opéra en Europe ; Thorin, 1895.
- ↑ M. Romain Rolland, loc. cit.
- ↑ Id., ibid.
- ↑ M. Romain Rolland.
- ↑ Id.
- ↑ M. Romain Rolland, loc. cit.
- ↑ Id.,ibid.
- ↑ Voyez : Giacomo Carissimi, par M. Henri Quittard (Tribune de Saint-Gervais, 1900). Nous ayons emprunté beaucoup à cette intéressante et très complète étude.
- ↑ Suivant d’autres témoignages, les séances étaient plus fréquentes.
- ↑ Maugars, cité par M. Henri Quittard. loc. cit.
- ↑ Alfred de Vigny, la Fille de Jephté.
- ↑ Cité par M. Quittard.
- ↑ Voyez, pour tout ce qui concerne Schütz, la notice historique et critique de M. André Pirro, publiée en tête des Petits Concerts spirituels (édition de la Schola Cantorum).
- ↑ Cité par M. A. Pirro.
- ↑ Id., ibid.
- ↑ Id., ibid.
- ↑ M. A. Pirro, loc. cit.
- ↑ M. A. Pirro, loc. cit.
- ↑ Cité par M. David (G.-F. Hændel).
- ↑ M. T. de Wyzewa.
- ↑ M. William Cart, Etude sur J. S. Bach ; 1 vol. Paris, Fischbacher.
- ↑ Les Héros (Luther, passim).
- ↑ M. W. Cart, op. cit.
- ↑ Ps. CVIII, 18.