Les Écumeurs de guerre/Prologue

Éditions Tallandier (p. 3-4).


prologue


Norbert, fils du comte de Chambry, en garnison à Sedan, était lieutenant de dragons au même régiment que Simon Levaillant, le fils du meunier. Élevés ensemble au lycée de Charleville et voisins de campagne — le château de Clairefontaine et les Moulins-Neufs se touchaient — ils professaient l’un pour l’autre une amitié qui n’était qu’apparente, car l’affection fraternelle de Simon s’était toujours heurtée à l’orgueil de Norbert, et ce dernier, devenu homme, prenait ombrage de l’intimité qui unissait sa sœur, Rolande, au fils du meunier.

Cependant le comte de Chambry et Jean-Louis Levaillant, le maître du moulin, s’estimaient et s’aimaient et le gentilhomme avait accepté d’unir Rolande à Simon. Mais une nouvelle était venue bouleverser l’existence du châtelain et de sa fille. Une lettre de la chancellerie de l’ambassade d’Autriche-Hongrie à Paris avait averti le comte qu’un de ses oncles était mort en Bohême, le laissant pour unique héritier. Les intérêts de cet héritage nécessitaient, en Bohême, la présence immédiate du comte.

Rolande et Simon s’étaient revus la veille même du départ. Leur rencontre avait été attristée par les sombres pressentiments de la jeune fille, pressentiments aggravés par les prédictions d’une vieille nomade :

Vous irez jusqu’aux marches d’un trône… du trône d’un des plus puissants empires de l’Europe. Et de par votre seule volonté, vous trébucherez sur la première marche… Vous ne mourrez pas dans votre lit… Autour de votre mort, il y aura du sang…

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Les sinistres prédictions s’accomplissent.

Un jour, en Autriche, dans le domaine de Medgyar, isolé au milieu des forêts, Rolande est attirée dans un guet-apens et victime d’un crime infâme… Elle repousse les offres merveilleuses de l’archiduc François-Ferdinand et se venge en dérobant, à l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie un document politique redoutable.

Le comte de Chambry meurt ; Rolande est expulsée d’Autriche-Hongrie et le ressentiment du prince la poursuit jusqu’en France, jusqu’à Clairefontaine. La vie de la jeune fille devient un tel cauchemar, au milieu des périls dont elle est sans cesse menacée, qu’elle appelle Simon à son secours. En lui remettant les précieux papiers qu’elle a soustraits, elle lui confie la mission redoutable de les garder et de les sauver, au péril même de sa vie.

L’entrevue des fiancés est interrompue par l’arrivée imprévue de Norbert. Afin de ne pas être surpris par lui — car Rolande seule a le droit de dire à son frère pourquoi elle a désiré cet entretien — Simon s’enfuit. Mais il se heurte à de Chambry qui exige des explications. Simon refuse de lui répondre et le prie de s’adresser à sa sœur.

Quand Norbert entre au salon, il trouve la jeune fille gémissante, gisant dans une mare de sang. Il accuse Simon de l’avoir tuée.

Lié par son amour et le serment fait à sa fiancée de ne pas parler du dépôt sacré qu’elle lui a remis, Simon ne peut prouver qu’il n’est pas coupable.

Pour sauver son honneur et celui du régiment, ses chefs l’obligent à apporter dans les huit jours la preuve de son innocence… ou à se suicider.

Simon n’a plus que quelques heures à vivre… mais l’ordre de mobilisation est affiché ; le colonel ne se reconnaît pas le droit de se priver des services d’un de ses officiers, Simon part avec son régiment[1]

  1. Voir le volume ayant pour titre : « L’Arrêt de mort ».