P.-G. Delisle (p. 221-224).


L’ACADÉMIE DES FEMMES




La femme n’entend pas rester au même point,
En ce siècle où tout marche, et grandit et progresse !
Pour conduire le monde elle offre son appoint,
Et, s’emparant de tout, sans que cela paraisse,
Elle veut à son tour mener le sexe fort.

Elle fut son esclave ; elle est aujourd’hui reine !
Mais qu’est-ce que régner ? — Il faut un autre sort
À cette ambitieuse et belle Souveraine !
Le roi règne, on le sait, mais ne gouverne pas !
Or, le gouvernement, c’est le vrai point de mire,
Le but suprême et noble auquel tendent ses pas.

Que notre sexe l’aime, et la cherche, et l’admire,
C’est tout simple, il n’a point de mérite à cela ;
Elle est bonne vraiment d’accepter son hommage,
Et d’aller à l’autel lui dire : me voilà !
Qu’elle ordonne à son gré sa maison, son ménage,

C’est son droit le plus clair, et l’on ne trouve plus
Des maris assez sots, pour oser se permettre
Sous le toit conjugal des avis superflus.

Mais, à l’extérieur, qui des deux sera maître ?
Qui gouvernera tout ? Voilà la question !
Déjà dans l’univers s’agite le problème,
Qui recevra plus tard une solution ;
Et pour se préparer à ce combat suprême,
La plus belle moitié du triste genre humain,
Se faisant avocat, écrivain, politique,
Intrigue, parle, écrit, et se trace un chemin
Jusqu’à cette honorable et puissante boutique,
Que dans tous les pays on nomme Parlement !

Or, pour s’habituer aux luttes de tribune,
Un journal féminin dit : que, tout récemment,
Dans un certain pays qui n’est pas dans la lune,
Un groupe fort charmant de femmes beaux-esprits
Voulut s’organiser en une Académie.
C’était un beau projet ; leur cœur en fut épris.
On sait que la vieillesse est leur pire ennemie !
Que pouvaient-elles donc imaginer de mieux
Qu’une institution les faisant immortelles ?
Il en fallait quarante, on en trouva cent deux !

« Vite, organisons-nous, à l’œuvre, » dirent-elles !
Hélas ! ce beau début vit surgir un écueil.
Quand il fallut créer le bureau provisoire,

Et de la Présidence assigner le fauteuil.
Aucune ne voulut accepter cette gloire,
Qui, par le règlement qu’elles n’ignoraient pas,
Appartenait de droit à la doyenne d’âge.
Par un hazard étrange, et très rare ici bas,
Tous les membres brillants de cet aréopage
Avaient un nombre égal d’ans, de mois, et de jours !

Il eût fallu trouver aussi deux secrétaires ;
Mais cet office doit appartenir toujours
Aux membres qui n’ont pas les goûts parlementaires,
Et qui sans pérorer peuvent rester longtemps ;
Or toutes, se levant d’un accord unanime,
Repoussèrent encor ces emplois trop gênants.
Cet échec refroidit leur zèle magnanime ;
Et l’Institut tomba… sans avoir fait ses dents.


envoi


À Madame X…


Il peut d’abord sembler étrange

Que je vous adresse ces vers,
À vous qui me semblez un ange

Au milieu d’un siècle pervers.


Mais des femmes j’aime à médire,
Et trop souvent le vieux dicton :
« Vérité n’est pas bonne à dire »
Me fait parler sur un faux ton.

À vous qui n’avez pas de vices
Je puis franchement adresser
Pour votre sexe mes malices,
Sans crainte de vous offenser.

Avec vos qualités aimables,
Vous rirez, sans malentendu ;
Mais vous me lirez aux coupables,

Et ce sera… du temps perdu !



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