P.-G. Delisle (p. 199-201).

UNE FLEUR DU CIEL


À Lady Langevin


C’était l’hiver. Au loin, la neige amoncelée
Enveloppait nos champs, dormant leur lourd sommeil.
La nature, flétrie, inerte, désolée,
Souffrait, comme une veuve en deuil de son soleil !
La sève était sans vie en la forêt muette,
L’arbre sans une feuille, et les oiseaux sans voix.
Dans les jardins glacés pas une fleur discrète,
Pas un ruisseau riant et chantant sous les bois.
Quand le soleil lointain refuse ainsi ses flammes,
Pour nous, tout semble mort. Mais la terre pour Dieu,
Est toujours un jardin où fleurissent les âmes,
Que le divin amour réchauffe de son feu.

Et Dieu dit à son ange :
Et Dieu dit à son « Allez dans ce parterre,
Dont j’aime la culture et la fécondité ;
Allez cueillir pour moi cette fleur printanière » :
Et son doigt paternel montrait notre cité !

L’ange prit donc son vol ; et, planant sur nos têtes,
Il vit un beau lis blanc sur sa tige incliné,
Rayonnant d’espérance, et riant des tempêtes,
De sa beauté native encore illuminé,
Montrant au ciel d’azur sa robe virginale,
Sur laquelle brillait l’innocence en sa fleur.
Et l’ange, interrompant sa course matinale,
S’inclina vers le lis éclatant de blancheur :
Il le prit, et sa main inscrivit au grand livre,
Au Livre D’or du Ciel ce nom chéri : Léa !

Ô mère ! votre fille avait cessé de vivre,
Et remontait heureuse au Dieu qui la créa.
Et maintenant, greffée à l’arbre de la vie,
Qui fleurit au milieu du parterre éternel,
Cette fleur, qu’un désir de Dieu vous a ravie,
Dans le suprême amour puise un suc immortel !
C’est là que vous verrez votre Léa, Madame.
Lorsque se lèvera pour vous le dernier jour.
Vous la retrouverez vivante, et sa belle âme,
En vous voyant entrer dans l’éternel séjour,
Tressaillira de joie et de sainte tendresse.

Ah ! ne la pleurez plus. Gardez son souvenir,
Mais qu’il soit imprégné d’une douce allégresse,
D’espérance et de foi dans la vie à venir !
Le chrétien n’est-il pas un arbre symbolique,
Enraciné sur terre et fleurissant aux cieux ?
Quand sa racine meurt, c’est que sa fleur mystique
Du moissonneur divin a réjoui les yeux.


Québec, Mars, 1879.




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