P.-G. Delisle (p. 176-179).


NOS PETITS CERCUEILS


I


Chaque fois que je passe auprès du cimetière,
Mes yeux, involontairement,
Y relisent mon nom gravé sur une pierre ;
Et je m’émeus profondément.

Je m’imagine alors qu’au-delà du mur sombre,
Mon nom soudain a résonné,
Et que la mort est là, qui m’appelle dans l’ombre,
Comme si l’heure avait sonné !


C’est la chair de ma chair, qui dans ce lieu sommeille,
Un fils que nous nommions Henri ;
Et l’aspect de sa tombe en mon âme reveille
Son souvenir toujours chéri !

Il était né là-bas, sur le sol de la France ;
Mais de Paris, son lieu natal,
Il avait rapporté ce germe de souffrance
Qui lui devait être fatal.

Je n’oublierai jamais la profondeur étrange
De ses grands yeux d’azur bruni,
Qui semblaient posséder quelque chose de l’ange,
Et regarder vers l’infini !

En vérité, la vie est un pélérinage
Accompagné de bien des deuils !…
Et nul n’y peut longtemps poursuivre son voyage
Sans y semer quelques cercueils !


II


Ils sont trois maintenant qui dans la mort attendent
Les auteurs de leurs jours…
C’est le terme fatal où toutes choses tendent,
Avec tous nos amours !

Au début du voyage, à la céleste voûte
Ils se sont élancés !
Et dans des lieux divers j’ai laissé sur ma route
Leurs tombeaux dispersés.

Boutons à peine éclos à l’arbre de la vie,
Ils s’en allaient fleurir,
Quand les anges de Dieu, pour orner la Patrie,
Sont venus les cueillir !


L’un mourut en naissant. L’autre semblait promettre
De vivre de longs jours,
Lorsqu’un décret subit et sévère du Maître !
Vint en trancher le cours.

Nous l’avons bien pleuré, notre petit Gustave !
Il était si charmant,
Avec ses yeux rêveurs, sa figure suave,
Et son babil constant !

Quand je retourne aux lieux où repose leur cendre
Je sens qu’ils sont heureux,
Et que mes pleurs, hélas ! j’aurais dû les répandre
Sur moi, non pas sur eux !

Que de chagrins mon Dieu ! dans une vie entière !
Si nous comptions nos deuils,
Nous voudrions aller rejoindre au cimetière
Tous nos petits cercueils !


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