Les Éblouissements/Soir romantique

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 317-318).

SOIR ROMANTIQUE


Été, j’ai cherché trop longtemps
À lutter contre votre grâce ;
Ce soir, mon cœur est consentant,
Je suis voluptueuse et lasse.

Je vais près des obscurs lilas,
Dans l’ombre du marronnier tendre,
Comme une âme qui dit « Voilà,
Mon cœur ne veut plus se défendre. »

Tout m’ensorcelle, tout me nuit,
La nue est légère et tremblante.
Le désir, sur la douce nuit,
Glisse comme une barque lente.

Un train passe, brûlant plaisir,
Sa voix transperce l’atmosphère.
Les nerfs brisés l’on veut mourir,
Pourtant l’on veut vivre. Que faire ?


Ah ! je voudrais qu’un jeune cœur
Fût ce soir près de mon épaule,
Il respirerait ma langueur
Plus romantique que le saule.

Je lui dirais : « Ce n’est pas vous,
C’est toute la nuit qui me tente.
C’est elle qui me fait le cou
D’une colombe haletante.

« Vous n’êtes qu’un adolescent,
C’est à la nuit que je dévoile
Mon cœur qui fond, l’or de mon sang,
Et mon corps triste jusqu’aux moelles.

« Tous les arbres sont sensuels,
Toute la nuit est désarmée,
Et ses sanglots continuels
Montent dans le ciel de fumée…

« Voyez comme l’air est fleuri.
Ne dites rien, je ne réclame
Que vous, que vos regards meurtris,
Soyez une âme qui se pâme,
Une bouche pleine de cris,
Et pleurez, mon enfant chéri… »