Les Éblouissements/Les plaisirs païens

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 101-103).

LES PLAISIRS PAIENS



Je rêve d’un couvent ombragé d’un cédrat,
Petite villa chaude et peinte,
Sur le bord azuré des mers de Marmara,
Ou dans le golfe de Corinthe ;

Un couvent langoureux, bourdonnant, délicat,
Clair comme une aubépine frêle,
Où dans l’aube on peut voir passer Nausicaa,
Baisant sa blanche tourterelle.

L’anémone, le thym, la menthe, le lis brun
Fleurissant les mauves collines,
Abaisseront sur nous leur amoureux parfum,
A l’heure où la brise s’incline.

Comme un insecte ardent dirige vers l’azur
Ses fines et chaudes antennes,
Nos mains jointes iront bénir dans le ciel pur
Les dieux qui règnent sur Athènes.


Une cloche d’or vif chaque soir sonnera
Pour la prière d’Aphrodite,
Et des pâtres viendront nous presser dans leurs bras,
Sous les bosquets de clématites.

Les cellules auront, sur leurs murs blancs, égaux,
Pareils à de la neige neuve,
Des faïences de Perse, où l’œillet indigo
A des bourgeons bleus comme un fleuve.

Je vivrai là, tenant entre mes doigts distraits,
Un chapelet lourd de lumière,
Formé de petits fruits, humides, ronds et frais,
Cueillis dans l’aube printanière.

Je rêverai au temps de triomphe et d’ardeur,
Lorsque Sophocle à Salamine,
Souhaitait de presser en hâte sur son cœur
Un cœur que l’amour illumine.

Il était jeune, beau, plein de ravissement,
Il s’en allait à la victoire,
Je l’aurais rencontré dans le matin charmant
Lorsque l’abeille aux fleurs vient boire.

Ô plaisir de quitter soudain un doux repos,
Quand déjà la flotte tressaille,
Et de sentir frémir un bondissant héros,
A la veille de la bataille !


Plaisir de sangloter d’ardeur, de volupté,
Avant le combat, sous la tente,
Et de voir, en secret, sur le globe irrité,
Sourire Vénus consentante.

Ivresse de céder au bonheur sensuel,
Insondable et tremblant abîme,
Quand, déjà, ivre d’air, d’azur, de vent, de sel,
Déchaînée, errante, sublime,

La guerrière déesse a répandu sur nous
Sa sombre et joyeuse présence,
Et qu’un divin destin mêle son gai courroux
À la plaintive complaisance.