Les Éblouissements/Les mains

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 343-344).

LES MAINS



Mes mains ont la douceur, la tiédeur et l’éclat
Des sources blanches sous les fraises ;
Elles sont quelquefois comme un bol délicat
En porcelaine japonaise.

Pour avoir tant touché les plantes des forêts
Avec des caresses légères,
Elles ont conservé dans leurs dessins secrets
Le corps des petites fougères.

– Mes mains, pour le plaisir qu’avec vous je cherchais
En vous enfonçant dans des roses,
Vous êtes tous les jours comme deux beaux sachets
Où l’odeur du monde repose.

Mais pour les durs tourments que vous avez connus
En vous appuyant sur ma tête,
Les soirs où notre cœur était saignant et nu
Ah ! quelle peine vous me faites !


Et vous serez un jour, mes douces mains, mes doigts,
Glacés comme la blanche opale,
Comme un morceau d’hiver qui meurt au fond des bois,
Et comme deux petites dalles.

Vous ne tiendrez plus rien, vous en qui le soleil
Se glissait et se plaisait d’être ;
Vous qui jouiez avec l’aube et l’été vermeil
Sur le devant de la fenêtre.

Vous qui vous ouvriez comme un bourgeon étroit
Que l’été gonfle, écarte, écrase ;
Qui fûtes pleines d’âme et d’orgueil, et parfois
Pleines de petites extases.

– Mes mains qui balancez l’azur, l’espoir, l’effort
Comme des bourdons bleus qui sonnent,
Et qui servez aussi la Gloire aux lèvres d’or,
La douce immortelle personne…