Les Éblouissements/Le verger de lis

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 263-264).

LE VERGER DE LIS


C’est un verger de lis, fleurs vives, blanches, rousses :
Des lis aussi hauts que mon cœur !
Sous un azur sans pli, sans tache, sans secousse,
Uni comme une longue odeur,

Ces lis sont le printemps, et je ne suis qu’une âme
Qui meurt sur leur calice étroit ;
J’enroule, décollant leurs antennes de flamme,
Du sucre humide sur mes doigts.

Ah ! que c’est peu de chose, une âme avide et tendre
Près du peuple ardent et gluant
Des innombrables lis, où le jour vient étendre
Les langes bleus du matin blanc !

Leur sève est un ruisseau baignant leurs longues tiges
D’un courant toujours frais et vert,
On se sent pris d’un triste et languissant vertige
Au-dessus de leurs cols ouverts.


On se sent pris d’une âpre et délirante angoisse
De ne pouvoir multiplier
Son désir et ses mains autant de fois que croissent
Des lis blancs dans les prés mouillés

Ah pouvoir soulever leur lumineux visage,
Pouvoir leur parler dans le cœur,
Surprendre en leur calice un végétal ramage,
Avoir la gloire chez les fleurs !

Casser leur vive tige, et la portant aux lèvres
Aspirer ce suc et ce vin,
Puis moduler sa joie et ses plaintives fièvres
Aux trous de ces pipeaux divins.

Il n’est pas suffisant qu’on regarde et qu’on touche
Les vergers odorants et verts,
Je voudrais n’être plus qu’une amoureuse bouche
Qui goûte et qui boit l’univers !