Les Éblouissements/Jardin persan

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 261-262).

JARDIN PERSAN


Je rêve d’un jardin, sous ses fleurs expirant,
Près de Baghi-Haram, dans le soir odorant,
Quand un vent tiède, ondé, vient du golfe Persique ;
Jardin près d’un palais orné de mosaïque,
Au temps où les rosiers sont d’ardents bataillons
De pourpre, de parfums, de force et de rayons.
Je serais là l’eau douce, opaque, chaude et verte
Luirait, de petits ponts à moitié recouverte.
Je penserais aux jours d’Assuérus, d’Esther.
Une telle douceur persane emplirait l’air
Que tout aurait pour moi, dans l’ombre cramoisie,
Le parfum de santal des beaux bazars d’Asie.
Un blanc jet d’eau ferait, frappant ses petits coups,
Ce bruit qui donne soif et rend féroce et doux.
Je serais le milieu de la beauté du monde.
Un immense repos glisserait comme une onde
Sur mes yeux enivrés d’un lent, d’un calme émoi.
– Mais quand déjà mon ciel est trop divin pour moi,

Quand déjà les rosiers de mes jardins de France
Nous torturent de vague et de tendre espérance,
Quand déjà leur parfum est sur nous si puissant
Qu’on sent les os se fondre et se mêler au sang,
Quand le jaune jasmin enguirlandant la porte
Se coule dans ma bouche et dans mon cœur descend
Jusqu’à ce que je sois brûlante et demi-morte
À force de plaisir, de soupirs et d’encens,
Se pourrait-il vraiment que notre corps supporte
La beauté d’un jardin dans l’empire persan ?