Les Éblouissements/Le fruitier de septembre

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 246-248).

LE FRUITIER DE SEPTEMBRE


La chaleur voile l’horizon.
Chaleur d’été, molle toison !
L’air est épais, sans nulle fente…
– J’ai quitté l’allée étouffante
Où, comme de vifs tisserands,
Les guêpes des fruits odorants
Elancent bruyamment la soie
De leur active et brusque joie.
J’ai quitté l’allée, et voici
Qu’au bout du sentier indécis
Baigné de vigne-vierge verte,
Je trouve cette porte ouverte :
La bêche, un râteau, l’arrosoir
Sont là, dans la couleur du soir,
Sur le pas de l’humble demeure
Que le jaune soleil effleure…
– Et j’entre dans le frais réduit.
Quelle divine odeur de fruit !

Je suis là, j’hésite, j’écoute.
Nul souffle sous la fraîche voûte ;
Nul son, nul souci, nul débat.
Et c’est un couvent frais et bas,
Une obscure et calme cellule
Où l’odeur de l’été pullule
La tiédeur des jardins, des eaux,
Est là, enfermée, au repos.
Paix d’église, candides sommes !
– De naïves poires, des pommes,
Ô voisinage familier !
Mûrissent loin de l’espalier,
Sur des planches, dans l’ombre vide…
Épanchement mielleux, acide,
Parfum stagnant comme un bassin !
Une guêpe fait un dessin
En épuisant sa douce rage
Sur l’étroit carré du vitrage
Loin de toute âme, de tous bruits…
– Ô peuple parfumé des fruits,
Vous que le chaud été compose
De cieux bleus et de terre rose,
Vous qui portez réellement
L’aurore dans un corps charmant,
Vous parfums, vous rayons, vous fleuves
De délices fraîches et neuves,
Vous, sève dense, sucre mol,
Nés des jeux de l’air et du sol,
Vous qui vivez dans une crèche,

Petits dieux de la paille fraîche,
Compagnons de l’arrosoir vert,
Des hottes, des bêches de fer,
Gardez-moi dans la douce ronde
Que forme votre odeur profonde !
– Ah rêver ici tous les soirs,
Près des paniers, des arrosoirs,
Des doux objets du jardinage !
Ô souvenirs de mon jeune âge,
Sanglots exprimant le bonheur,
Vous voulez jaillir de mon cœur !
Je vois, je comprends, je devine
La vie aimable, douce, fine
De la nature, du verger
Où le silence vient loger.
J’écarte l’ardeur violente
Par qui ma vie est si brûlante.
– Désirs, allez-vous-en de moi !
Je danse avec les douze mois,
Avec le geai, le rouge-gorge,
Avec les dieux couronnés d’orge,
Avec la cigale au front vert,
Avec tout le ciel découvert
Qu’embaume, si noble, si bonne
La suave et calme Pomone !…