Les Éblouissements/Le calme des jardins

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 243-245).

LE CALME DES JARDINS


C’est au printemps, le jour se lève,
L’aube répand sa douce sève,
Les jardins, sans souffle, sans bruits,
Ont encor le calme des nuits.

J’ouvre mes yeux comme des ailes :
Les cerisiers sont des tonnelles,
Il semble qu’on voit voltiger
Leurs fleurs au visage léger.

C’est une moiteur d’arrosage
Sur tout le pâle paysage
Où l’oiseau jette un cri charmant
Qui sort du songe lentement…

La pulpe de la girouée
Et de la tulipe gonflée
Étale sa neuve fraîcheur
Comme une faïence de fleur.


Les jacinthes, molles et belles,
Sont de somptueuses chandelles
Qui brûlent dans le gazon pur
Leur cire de pourpre et d’azur.

Ô petite pelouse ronde,
Sein délicat et frais du monde,
Je pose ma joue et ma main
Dans ton suave et gai chemin !

De quel délice êtes-vous ointe,
Verdure épaisse, sombre, jointe !
– Le souci éclatant et droit
Comme un jaune soleil étroit

Fait tourner sa douce lumière
Sur la pelouse familière,
D’où fusent des parfums soudain
Ô cœur fleuri, cœur des jardins !

Un oiseau prend un bain rapide
Et s’échappe, touffu, liquide,
Du naïf et rond bassin d’eau
Où trempe un bouquet de roseau.

C’est un calme qu’on ne peut dire,
C’est à peine si tout respire,
C’est un bonheur tiède, engourdi,
Comme au milieu du paradis.


Un arbre, où le soleil s’incline,
Est bombé comme une colline ;
Chaque feuillage est entouré
D’un plaisir limpide et doré.

Ah ! quel puissant amour ruisselle !
Toute la force universelle
Glisse au jardin et vient baigner
Les feuilles de mon marronnier…