Les Éblouissements/Ivresse au printemps

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 9-10).

IVRESSE AU PRINTEMPS


 
Printemps léger, crispé, charnu,
Encor si tremblant et si nu,
Ô douce saison déchirée
Où par chaque fente sacrée
S’efforce une tiède liqueur,
La pourpre ferveur de mon cœur
Ainsi qu’une grenade éclate !
Du sol doré, couleur de datte,
Tout veut fuir, jaillir, épaissir ;
Ô rameau chargé de désir !
Un oiseau sur son vert refuge
Chante, comme après le déluge…
— Printemps secret, sucré, divin,
Que je boive un limpide vin,
Dans la coupe de la tulipe !
Que dans une argentine pipe
Je brûle l’encens et l’anis !
Ô printemps, culte d’Adonis,

Que je célèbre ton ivresse !
Que mon cœur contre toi se presse
Jusqu’à ce qu’il soit tout ouvert !
Que je danse sur le pré vert
Au milieu des pigeons qui flottent,
Ivre comme une jeune ilote,
Dispersant la sève et les grains,
Et prenant, dans l’air qui grelotte,
Tout le printemps pour tambourin !