Les Éblouissements/Destinée

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 357-358).
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DESTINÉE


Celles qui veulent bien n’avoir pas de bonheur
S’entretiennent avec leur belle conscience,
Et goûtent le plaisir, le calme et la science
Dans le temple léger et doré de leur cœur.

Mais quand on est la vie et la douceur suprême,
Quand c’est notre sagesse et le plus beau destin
D’être pleine d’azur, de rayons et de thym,
D’être joyeuse, heureuse et malheureuse même ;

Quand, aux instants secrets des crépuscules blancs,
L’âme, toute mêlée à l’univers immense,
Semble, dans son antique et neuve impatience
Attendre le bonheur depuis trente mille ans ;

Quand, tandis que l’on songe au bord de la fenêtre,
L’Été mol et fleuri, et qui ne cède pas,
Dans l’ombre langoureuse avance pas à pas,
Et partout chaudement et fortement pénètre,


Quand on est un jardin enduit de douce glu,
Quand le cœur, plus courbé qu’une branche penchante,
Est une tiède nuit où le rossignol chante,
Quand on étouffe, enfin, et quand on n’en peut plus…