Le véritable Saint Genest/Acte II

Le véritable Saint Genest
Œuvres de Jean de RotrouTh. DesoerTome V (p. 20-35).
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ACTE II.

Séparateur

Scène première.

(Le théâtre s’ouvre.)
GENEST, s’habillant, et tenant son rôle ; LE DÉCORATEUR.


GENEST.

Il est beau ; mais encore, avec peu de dépense,
Vous pouviez ajouter à la magnificence,
N’y laisser rien d’aveugle, y mettre plus de jour,
Donner plus de hauteur aux travaux d’alentour,
En marbrer les dehors, en jasper les colonnes,
Enrichir leurs tympans, leurs cimes, leurs couronnes,
Mettre en vos coloris plus de diversité,
En vos carnations plus de vivacité ;
Draper mieux ces habits, reculer ces paysages,
Y lancer des jets d’eau et marquer leurs ombrages ;
Et surtout en la toile où vous peignez vos cieux,
Faire un jour naturel au jugement des yeux ;
Au lieu que la couleur m’en semble un peu meurtrie.

LE DÉCORATEUR.

Le temps nous a manqué plutôt que l’industrie ;
Joint qu’on voit mieux de loin ces raccourcissemens,
Ces corps sortant du plan de ces refondremens ;
L’approche à ces desseins ôtent leurs perspectives,
En confond les faux jours, rend leurs couleurs moins vives,
Et, comme à la nature, est nuisible à notre art,
À qui l’éloignement semble apporter du fard :
La grâce une autre fois y sera plus entière.

GENEST.

Le temps nous presse ; allez préparer la lumière.
(Il lit son rôle.)(Le décorateur sort.)
« Ne délibère plus, Adrien, il est temps
» De suivre avec ardeur ces fameux combattans :
» Si la gloire te plaît, l’occasion est belle ;
» La querelle du ciel à ce combat t’appelle,
» La torture, le fer, et la flamme t’attend :
» Offre à leurs cruautés un cœur ferme et constant ;
» Laisse à de lâches cœurs verser d’indignes larmes,
» Tendre aux tyrans les mains et mettre bas les armes ;
» Offre ta gorge au fer, vois-en couler ton sang,
» Et meurs sans t’ébranler, debout et dans ton rang.
(Il répète encore ces quatre derniers vers.)
» Laisse à de lâches cœurs verser d’indignes larmes,
» Tendre aux tyrans les mains et mettre bas les armes ;
» Offre ta gorge au fer, vois-en couler ton sang,
» Et meurs sans t’ébranler, debout et dans ton rang. »



Scène II.

MARCELLE, achevant de s’habiller, et tenant son rôle ; GENEST.
MARCELLE.

Dieux ! comment en ce lieu faire la Comédie ?
De combien d’importuns j’ai la tête étourdie !
Combien à les ouïr je fais de languissans !
Par combien d’attentats j’entreprends sur les sens !
Ma voix rendroit les bois et les rochers sensibles ;
Mes plus simples regards sont des meurtres visibles ;
Je foule autant de cœurs que je marche de pas ;
La troupe, en me perdant, perdroit tous ses appas ;
Enfin, s’ils disent vrai, j’ai lieu d’être bien vaine.
De ces faux courtisans, toute ma loge est pleine ;
Et, lasse au dernier point d’entendre leurs douceurs,
Je les en ai laissés absolus possesseurs.
Je crains plus que la mort cette engeance idolâtre
De lutins importuns qu’engendre le théâtre,
Et que la qualité de la profession
Nous oblige à souffrir avec discrétion.

GENEST.

Outre le vieil usage où nous trouvons le monde,
Les vanités encor dont votre sexe abonde,
Vous font avec plaisir supporter cet ennui,
Par qui tout votre temps devient le temps d’autrui.
Avez-vous repassé cet endroit pathétique
Où Flavie en sortant vous donne la réplique,
Et vous souvenez-vous qu’il s’y faut exciter ?

MARCELLE, lui donnant son rôle.

J’en prendrai votre avis, oyez-moi réciter.
(Elle répète.)
« J’ose à présent, ô ciel, d’une vue assurée,
» Contempler les brillans de ta voûte azurée,
» Et nier ces faux dieux qui n’ont jamais foulé
» De ce palais roulant le lambris étoilé.
» À ton pouvoir, seigneur, mon époux rend hommage ;
» Il professe ta foi, ses fers t’en sont un gage ;
» Ce redoutable fléau des dieux sur les chrétiens,
» Ce lion altéré du sacré sang des tiens,
» Qui de tant d’innocens crut la mort légitime,
» De ministre qu’il fut, s’offre enfin pour victime,
» Et, patient agneau, tend à ses ennemis
» Un col à ton saint joug heureusement soumis. »

GENEST.

Outre que dans la cour que vous avez charmée,
On sait que votre estime est assez confirmée,
Ce récit me surprend, et vous peut acquérir
Un renom au théâtre, à ne jamais mourir.

MARCELLE.

Vous en croyez bien plus que je ne m’en présume.

GENEST.

La Cour viendra bientôt, commandez qu’on allume.
(Il repasse son rôle.)(Marcelle sort.)
« Il serait, Adrien, honteux d’être vaincu ;
» Si ton dieu veut ta mort, c’est déjà trop vécu ;
» J’ai vu, ciel, tu le sais, par le nombre des âmes
» Que j’osai t’envoyer, par des chemins de flammes,
» Dessus les grils ardents, et dedans les taureaux,
» Chanter les condamnés, et trembler les bourreaux.

(Il répète ces quatre vers.)
» J’ai vu, ciel, tu le sais par le nombre des âmes
» Que j’osai t’envoyer par des chemins de flammes,
» Dessus les grils ardens et dedans les taureaux,
» Chanter les condamnés, et trembler les bourreaux. »
Dieux, prenez contre moi ma défense et la vôtre ;
D’effet comme de nom je me trouve être un autre ;
Je feins moins Adrien que je ne le deviens,
Et prends avec son nom des sentiments chrétiens ;
Je sais, pour l’éprouver, que par un long étude
L’art de nous transformer nous passe en habitude ;
Mais il semble qu’ici des vérités sans fard,
Passent et l’habitude et la force de l’art,
Et que Christ me propose une gloire éternelle
Contre qui ma défense est vaine et criminelle ;
J’ai pour suspects vos noms de dieux et d’immortels ;
Je répugne aux respects qu’on rend à vos autels ;
Mon esprit, à vos lois secrètement rebelle,
En conçoit un mépris qui fait mourir son zèle ;
Et, comme de profane enfin sanctifié,
Semble se déclarer pour un crucifié.
Mais où va ma pensée, et par quel privilége
Presque insensiblement passé-je au sacrilége,
Et du pouvoir des dieux perds-je le souvenir ?
Il s’agit d’imiter, et non de devenir.

(Le ciel s’ouvre.)
UNE VOIX.

Poursuis, Genest, ton personnage,
Tu n’imiteras point en vain ;
Ton salut ne dépend que d’un peu de courage,
Et Dieu t’y prêtera la main.

GENEST.

Qu’entends-je, juste ciel, et par quelle merveille,
Pour me toucher le cœur me frappes-tu l’oreille ?
Souffle doux et sacré, qui me viens enflammer,
Esprit saint et divin qui me viens animer,
Et qui me souhaitant m’inspires le courage,
Travaille à mon salut, achève ton ouvrage,
Guide mes pas douteux dans le chemin des cieux,
Et pour me les ouvrir dessille-moi les yeux.
Mais, ô vaine créance, et frivole pensée,
Que du ciel cette voix me doive être adressée !
Quelqu’un s’apercevant du caprice où j’étois,
S’est voulu divertir par cette feinte voix,
Qui d’un si prompt effet m’excite tant de flamme,
Et qui m’a pénétré jusqu’au profond de l’âme.
Prenez, dieux, contre Christ, prenez votre parti,
Dont ce rebelle cœur s’est presque départi ;
Et toi contre les dieux, ô Christ, prends ta défense,
Puisqu’à tes lois ce cœur fait encor résistance ;
Et dans l’onde agitée où flottent mes esprits
Terminez votre guerre, et m’en faites le prix.
Rendez-moi le repos dont ce trouble me prive.



Scène III.

LE DÉCORATEUR, GENEST.
LE DÉCORATEUR.

Hâtez-vous, il est temps ; toute la cour arrive.

GENEST.

Allons, tu m’as distrait d’un rôle glorieux
Que je représentois devant la Cour des cieux,

Et de qui l’action, m’est d’importance extrême,
Et n’a pas un objet moindre que le ciel même.
Préparons la musique, et laissons-les placer.

LE DÉCORATEUR, à part.

Il repassoit son rôle et s’y veut surpasser.

(Ils sortent.)



Scène IV.

DIOCLÉTIEN, MAXIMIN, VALÉRIE, CAMILLE, PLANCIEN, Soldats, Gardes.
VALÉRIE.

Mon goût, quoi qu’il en soit, est pour la tragédie ;
L’objet en est plus haut, l’action plus hardie ;
Et les pensers pompeux et pleins de majesté
Lui donnent plus de poids et plus d’autorité.

MAXIMIN.

Elle l’emporte enfin par les illustres marques,
D’exemples des héros, d’ornement des monarques,
De règle et de mesure à leurs affections,
Par ses événemens et par ses actions.

PLANCIEN.

Le théâtre aujourd’hui, superbe en sa structure,
Admirable en son art, et riche en sa peinture,
Promet pour le sujet de mêmes qualités.

MAXIMIN.

Les effets en sont beaux, s’ils sont bien imités.
Vous verrez un des miens, d’une insolente audace,
Au mépris de la part qu’il s’acquit en ma grâce,

Au mépris de ses jours, au mépris de nos dieux,
Affronter le pouvoir de la terre et des cieux ;
Et faire à mon amour succéder tant de haine,
Que bien loin d’en souffrir le spectacle avec peine,
Je verrai d’un esprit tranquille et satisfait
De son zèle obstiné, le déplorable effet,
Et remourir ce traître après sa sépulture,
Sinon en sa personne, au moins en sa figure.

DIOCLÉTIEN.

Pour le bien figurer, Genest n’oublîra rien ;
Écoutons seulement, et trêve à l’entretien.

(On entend une voix accompagnée d’un luth.)
(LA PIÈCE COMMENCE.)



Scène VII.

Les mêmes, assis ; ADRIEN, sur un théâtre élevé,
représenté par
GENEST.
ADRIEN.

Ne délibère plus, Adrien il est temps,
De suivre avec ardeur ces fameux combattans :
Si la gloire te plaît l’occasion est belle ;
La querelle du ciel à ce combat t’appelle ;
La torture, le fer et la flamme t’attend ;
Offre à leurs cruautés un cœur ferme et constant ;
Laisse à de lâches cœurs verser d’indignes larmes,
Tendre aux tyrans les mains, et mettre bas les armes ;
Toi, tends la gorge au fer, vois-en couler ton sang,
Et meurs sans t’ébranler, debout, et dans ton rang.
La faveur de césar, qu’un peuple entier t’envie,

Ne peut durer au plus que le cours de sa vie ;
De celle de ton Dieu, non plus que de ses jours,
Jamais nul accident ne bornera le cours :
Déjà de ce tyran la puissance irritée,
Si ton zèle te dure, a ta perte arrêtée.
Il seroit, Adrien, honteux d’être vaincu ;
Si ton Dieu veut ta mort, c’est déjà trop vécu.
J’ai vu, ciel, tu le sais par le nombre des âmes
Que j’osai t’envoyer par des chemins de flammes,
Dessus les grils ardens et dedans les taureaux,
Chanter les condamnés et trembler les bourreaux ;
J’ai vu tendre aux enfans une gorge assurée
À la sanglante mort qu’ils voyoient préparée,
Et tomber sous le coup d’un trépas glorieux,
Ces fruits à peine éclos déjà mûrs pour les cieux ;
J’en ai vu que le temps prescrit par la nature
Étoit prêt de pousser dedans la sépulture,
Dessus les échafauds presser ce dernier pas,
Et d’un jeune courage affronter le trépas.
J’ai vu mille beautés en la fleur de leur âge,
À qui jusqu’aux tyrans chacun rendoit hommage,
Voir avecque plaisir meurtris et déchirés
Leurs membres précieux de tant d’yeux adorés.
Vous l’avez vu, mes yeux, et vous craindriez sans honte,
Ce que tout sexe brave et que tout âge affronte !
Cette vigueur peut-être est un effort humain.
Non, non, cette vertu, Seigneur, vient de ta main ;
L’âme la puise au lieu de sa propre origine,
Et, comme les effets, la source en est divine.
C’est du ciel que me vient cette noble vigueur
Qui me fait des tourmens mépriser la rigueur,
Qui me fait défier les puissances humaines,

Et qui fait que mon sang se déplaît dans mes veines,
Qu’il brûle d’arroser cet arbre précieux,
Où pend pour nous le fruit le plus chéri des cieux.
J’ai peine à concevoir ce changement extrême,
Et sens que, différent et plus fort que moi-même,
J’ignore toute crainte, et puis voir sans terreur,
La face de la mort en sa plus noire horreur.
Un seul bien que je perds, la seule Natalie,
Qu’à mon sort un saint joug heureusement allie,
Et qui de ce saint zèle ignore le secret,
Parmi tant de ferveur mêle quelque regret.
Mais que j’ai peu de cœur, si ce penser me touche !
Si proche de la mort, j’ai l’amour en la bouche !



Scène VI.

Les mêmes ; FLAVIE, représenté par SERGESTE, deux Gardes.
FLAVIE.

Je crois, cher Adrien, que vous n’ignorez pas
Quel important sujet adresse ici mes pas ;
Toute la cour en trouble attend d’être éclaircie
D’un bruit dont au palais votre estime est noircie,
Et que vous confirmez par votre éloignement :
Chacun selon son sens en croit diversement ;
Les uns, que pour railler, cette erreur s’est semée,
D’autres, que quelque sort a votre âme charmée,
D’autres, que le venin de ces lieux infectés
Contre votre raison a vos sens révoltés ;
Mais surtout de César la croyance incertaine,
Ne peut où s’arrêter, ni s’asseoir qu’avec peine.

ADRIEN.

À qui dois-je bien de m’avoir dénoncé ?

FLAVIE.

Nous étions au palais, où César empressé
De grand nombre des siens, qui lui vantoient leur zèle
À mourir pour les dieux ou venger leur querelle.
« Adrien, a-t-il dit d’un visage remis,
» Adrien leur suffit contre tant d’ennemis,
» Seul contre ces mutins il soutiendra leur cause ;
» Sur son unique soin mon esprit se repose :
» Voyant le peu d’effet que la rigueur produit,
» Laissons éprouver l’art où la force est sans fruit ;
» Leur obstination s’irrite par les peines ;
» Il est plus de captifs que de fers et de chaînes :
» Les cachots trop étroits ne les contiennent pas ;
» Les haches et les croix sont lasses de trépas ;
» La mort, pour la trop voir, ne leur est plus sauvage ;
» Pour trop agir contre eux, le feu perd son usage ;
» En ces horreurs enfin le cœur manque aux bourreaux,
» Aux juges la constance, aux mourans les travaux.
» La douceur est souvent une invincible amorce
» À ces cœurs obstinés, qu’on aigrit par la force. »
Titien, à ces mots, dans la salle rendu,
« Ah ! s’est-il écrié, César, tout est perdu. »
La frayeur à ce cri par nos veines s’étale,
Un murmure confus se répand dans la salle :
« Qu’est-ce ? a dit l’empereur, interdit et troublé,
» Le ciel s’est-il ouvert ? le monde a-t-il tremblé ?
» Quelque foudre lancé menace-t-il ma tête ?
» Rome d’un étranger est-elle la conquête ?
» Ou quelque embrasement consomme-t-il ces lieux ? »
« Adrien, a-t-il dit, pour Christ renonce aux dieux. »

ADRIEN.

Oui sans doute, et de plus à César, à moi-même,
Et soumets tout, Seigneur, à ton pouvoir suprême.

FLAVIE.

Maximin à ce mot, furieux, l’œil ardent,
Signes avant-coureurs d’un funeste accident,
Pâlit, frappe du pied, frémit, déteste, tonne,
Comme désespéré, ne connoît plus personne,
Et nous fait voir au vif le geste et la couleur
D’un homme transporté d’amour et de douleur.
Et j’entends Adrien vanter encor son crime !
De César, de son maître il paie ainsi l’estime,
Et reconnoît si mal qui lui veut tant de bien !

ADRIEN.

Qu’il cesse de m’aimer, ou qu’il m’aime chrétien.

FLAVIE.

Les dieux, dont comme nous les monarques dépendent,
Ne le permettent pas, et les lois les défendent.

ADRIEN.

C’est le Dieu que je sers qui fait régner les rois,
Et qui fait que la terre en révère les lois.

FLAVIE.

Sa mort sur un gibet marque son impuissance.

ADRIEN.

Dites mieux son amour et son obéissance.

FLAVIE.

Sur une croix enfin…

ADRIEN.

Sur une croix enfin…Sur un bois glorieux ;
Qui fut moins une croix qu’une échelle des cieux.

FLAVIE.

Mais ce genre de mort ne pouvoit être pire.

ADRIEN.

Mais mourant, de la mort il détruisit l’empire.

FLAVIE.

L’auteur de l’univers entrer dans un cercueil !

ADRIEN.

Tout l’univers aussi s’en vit tendu de deuil ;
Et le ciel effrayé nous cacha sa lumière.

FLAVIE.

Si vous vous repaissez de ces vaines chimères,
Ce mépris de nos dieux et de votre devoir
En l’esprit de César détruira votre espoir.

ADRIEN.

César m’abandonnant, Christ est mon assurance ;
C’est l’espoir des mortels dépouillés d’espérance.

FLAVIE.

Il vous peut même ôter vos biens si précieux.

ADRIEN.

J’en serai plus léger pour monter dans les cieux.

FLAVIE.

L’indigence est à l’homme un monstre redoutable.

ADRIEN.

Christ, qui fut homme et Dieu naquit dans une étable.
Je méprise vos biens et leur fausse douceur,
Dont on est possédé plutôt que possesseur.

FLAVIE.

Sa piété l’oblige, autant que sa justice,
À faire des chrétiens un égal sacrifice.

ADRIEN.

Qu’il fasse, il tarde trop.

FLAVIE.

Qu’il fasse, il tarde trop.Que votre repentir…

ADRIEN.

Non, non, mon sang, Flavie, est tout prêt à sortir.

FLAVIE.

Si vous vous obstinez, votre perte est certaine.

ADRIEN.

L’attente m’en est douce, et la menace vaine.

FLAVIE.

Quoi ! vous n’ouvrirez point l’oreille à mes avis,
Aux soupirs de la cour, aux vœux de vos amis,
À l’amour de César, aux cris de Natalie,
À qui si récemment un si beau nœud vous lie ?
Et vous voudriez souffrir que dans cet accident
Ce soleil de beauté trouvât son occident ?
À peine, depuis l’heure à ce nœud destinée,
A-t-elle vu flamber les torches d’hyménée :
Encor si quelque fruit de vos chastes amours
Devoit après la mort perpétuer vos jours !
Mais vous voulez mourir avecque la disgrâce
D’éteindre votre nom avecque votre race,
Et, suivant la fureur d’un aveugle transport,
Nous être tout ravi par une seule mort !
Si votre bon génie attend l’heure opportune,
Savez-vous les emplois dont vous courez fortune ?
L’espoir vous manque-t-il ? et n’osez-vous songer,
Qu’avant qu’être empereur Maximin fut berger ?
Pour peu que sa faveur vous puisse être constante,

Quel défaut vous défend une pareille attente ?
Quel mépris obstiné des hommes et des dieux
Vous rend indifférent et la terre et les cieux ?
Et, comme si la mort vous était souhaitable,
Fait que pour l’obtenir vous vous rendez coupable,
Et vous faites César et les dieux ennemis ?
Pesez-en le succès d’un esprit plus remis ;
Celui n’a point péché qui dans la repentance
Témoigne la surprise et suit de près l’offense.

ADRIEN.

La grâce dont le ciel a touché mes esprits
M’a bien persuadé, mais ne m’a point surpris ;
Et me laissant toucher à cette repentance,
Bien loin de réparer, je commettrois l’offense.
Allez : ni Maximin, courtois ou furieux,
Ni ce foudre qu’on peint en la main de vos dieux,
Ni la cour ni le trône, avecque tous leurs charmes,
Ni Natalie enfin avec toutes ses larmes,
Ni l’univers rentrant dans son premier chaos,
Ne divertiroient pas un si ferme propos.

FLAVIE.

Pensez bien aux effets qui suivront mes paroles.

ADRIEN.

Ils seront sans vertu, comme elles sont frivoles.

FLAVIE.

Si raison ni douceur ne vous peut émouvoir,
Mon ordre va plus loin.

ADRIEN.

Mon ordre va plus loin.Faites votre devoir.

FLAVIE.

C’est de vous arrêter, et vous charger de chaînes,
Si, comme je vous dis, l’une et l’autre sont vaines.

(On enchaîne Adrien.)
ADRIEN.

Faites ; je recevrai ces fardeaux précieux
Pour les premiers présens qui me viennent des cieux,
Pour de riches faveurs et de superbes marques
Du César des Césars et du roi des monarques ;
Et j’irai sans contrainte où d’un illustre effort,
Les soldats de Jésus triomphent de la mort.

(Ils sortent.)
DIOCLÉTIEN.

En cet acte Genest à mon gré se surpasse.

MAXIMIN.

Il ne se peut rien feindre avecque plus de grâce.

VALÉRIE, se levant.

L’intermède permet de l’en féliciter,
Et de voir les acteurs.

DIOCLÉTIEN.

Et de voir les acteurs.Il se faut donc hâter.

FIN DU DEUXIÈME ACTE.