Éditions Albert Lévesque (p. 108-113).


X



LA CAPOTE MILITAIRE



L’INDIEN filait à travers un sentier battu, La Flèche à ses trousses. Le Sioux s’en aperçut ; il changea soudain de direction et se lança dans la brousse, mais le jeune Canadien, malgré sa blessure, le suivait sans peine et gagnait du terrain. L’Indien donnait des signes de fatigue mais continuait sa course sans arrêt, portant toujours la petite fille dont les cris avaient cessé. Derrière un massif de gros sapins, La Flèche se blottit soudainement ; le sauvage se retourna et parut écouter… Daniel ne bougeait pas ; l’Indien posa l’enfant par terre, elle ne fit aucun mouvement ; le ravisseur scruta le bois de tous côtés, ne voyant rien, n’entendant aucun son, il conclut que le soldat avait sans doute abandonné la poursuite ; il prit une corde et la passant autour du corps de l’enfant, la lia solidement, faisant plusieurs tours autour des jambes de la pauvre petite pour l’empêcher de bouger. Prenant ensuite une gourde il but longuement et à plusieurs reprises, puis il s’étendit sur la mousse au pied d’un arbre, auprès de sa prisonnière. Au bout d’un instant, il s’assit, écouta de nouveau et regarda autour de lui, puis prenant les deux bouts de la corde il les noua autour du tronc de l’arbre et se recoucha de nouveau.

De sa cachette, Daniel pouvait tout voir. Il attendit, l’oreille tendue, l’œil au guet… Il s’aperçut bientôt que l’Indien dormait, sans doute en proie à l’ivresse causée par la boisson qu’il avait bue.

La Flèche avait à sa ceinture la petite dague, cadeau de Montcalm ; il la prit dans sa main, résolu de sauver la petite, à tout prix, même s’il fallait tuer le Sioux. Celui-ci demeurait immobile, plongé dans le sommeil.

La fillette cependant le voyait ; les yeux agrandis par la terreur, elle jeta à Daniel un regard angoissé… il mit un doigt sur ses lèvres… elle comprit et ne fit aucun bruit. Se rappelant l’exploit de Petit-Cerf autrefois, il piqua sa dague sur le bout d’une longue branche et la glissa vers la petite, craignant toutefois qu’elle n’eut pas la force de couper elle-même ses liens, mais elle y réussit facilement, la dague étant acérée comme un rasoir.

À ce moment le sauvage s’éveilla à demi, passa sa main sur l’arbre et y sentit les nœuds de la corde, palpa ensuite la robe de l’enfant à demi morte de frayeur, puis rassuré, il se tourna sur le côté et s’endormit de nouveau.

La Flèche, dans son excitation, n’avait pas pris le temps d’enlever sa capote et elle devenait pesante à mesure que la chaleur du jour augmentait. Une idée lui vint : il détacha la cape et encore au moyen de sa branche, parvint à en glisser un bout jusqu’à la prisonnière, lui faisant signe de se rouler doucement dessus et de s’y cramponner ; puis, de sa cachette, il se mit à tirer l’autre bout du manteau, doucement, doucement, écartant sans bruit les broussailles… petit à petit, l’enfant gagnait le côté de son défenseur… l’Indien se retourna… sans ouvrir les yeux, il tâta de nouveau les nœuds de la corde sur l’arbre, et satisfait, il se rendormit.

La Flèche attendit encore un peu, puis il tira l’enfant à lui, l’enveloppa dans la capote et repartit sans bruit.

La petite ne parlait pas, elle semblait à demi inconsciente, mais à travers le drap de la cape, La Flèche pouvait sentir le tremblement convulsif de ses membres.

La blessure du jeune tambour le faisait cruellement souffrir et le fardeau qu’il portait en augmentait la douleur ; mais il ne s’arrêtait pas, craignant le réveil du sauvage.

Bientôt, il devint fiévreux et sa vue s’embrouilla ; il s’arrêta un instant pour reprendre haleine, puis repartit, trébuchant un peu comme pris de vertige… Tout à coup, au tournant d’un sentier, il aperçut le fort ; s’il pouvait lutter encore quelques minutes… mais le pourrait-il ? Ses lèvres brûlantes de fièvre murmurent : « Seigneur, gardez-moi mes forces… mon Dieu, mon Dieu ! Je n’y vois plus ! » et s’appuyant sur un arbre, il ferma les yeux…

À ce moment l’enfant reprit ses sens et jeta un cri perçant…

La Flèche ranimé par le son de cette voix, balbutia :

— Chut ! Ne crie pas à cause du Sioux… tu es en sûreté… avec… les Français… mais…

Ses forces le trahirent de nouveau… il eut juste le temps de déposer par terre la petite fille enveloppée dans la capote, lorsqu’il s’affaissa lui-même et perdit connaissance !


Le sergent Duperrier qui faisait partie du même détachement que Daniel, désolé d’être impuissant à empêcher les atrocités des sauvages, eut un ordre à donner au jeune soldat. Ne le voyant pas, il commença à être inquiet ; lorsque le calme fut momentanément rétabli et les soldats retournés au camp, Daniel manquait toujours… Où pouvait-il être ? Avait-il été blessé ? Tué ?

Le sergent regardait de tous côtés. Soudain, dans un sentier descendant de la forêt, il aperçut l’uniforme blanc d’un soldat… il marchait lentement, lentement, et portait un fardeau…

Duperrier le regardait toujours descendre ; tout à coup, il le vit s’arrêter, se pencher, puis tomber !

Sans perdre un instant, le sergent s’élança dans le sentier et arriva auprès du soldat affaissé par terre… il reconnut Daniel et auprès de lui, enroulée dans une capote, une fillette blonde qui pleurait !

Le sergent chercha en vain à ranimer Daniel ; voyant qu’il ne pouvait y réussir, il résolut d’aller chercher de l’aide. Il emporta l’enfant au camp tout proche et la remit aux mains des officiers, puis avec des brancardiers il retourna vers le pauvre Daniel évanoui… mais en arrivant à l’endroit où il l’avait laissé, il n’y avait plus personne… Daniel avait disparu !