Le spectre menaçant/02/03

Maison Aubanel père, éditeur (p. 46-47).

III

À neuf heures sonnant, le père Coulombe qui s’était endimanché pour la circonstance, partit avec André pour le « Château ».

Comme le neveu Joseph n’était pas encore arrivé, ils s’assirent sur un grand fauteuil et s’enfoncèrent dans les coussins moelleux, regardant passer les habitués du « Château » dans un va-et-vient continuel.

Le chef de salle arriva un peu en retard et ne fut pas vu par son oncle. Celui-ci s’intéressait tellement à renseigner André sur ce qu’il voyait, qu’il avait presque oublié l’objet de sa visite.

— Bonjour, mon oncle, fit Joseph en l’apercevant. Quel bon vent vous amène ? Y a-t-il longtemps que vous m’attendez ?

— Je sais pas ; ma foi on n’a pas trouvé le temps long. Il passe tant de monde ici !

— Oui, il y a beaucoup d’activité. Je ne veux pas vous presser, mon oncle ; mais comme je commence mon quart dans vingt minutes…

— Ah ! oui, parbleu, j’allais oublier. C’est pour le jeune homme qui m’accompagne. Il cherche du travail et j’ai pensé à toi.

— Vous arrivez bien, mon oncle, j’ai besoin d’un garçon de table pour la grande salle à manger. Avez-vous de l’expérience, dit-il à André en se tournant de son côté.

— Oui, un peu ; je ne suis pas un expert, mais peut-être que je pourrais faire votre affaire, répondit-il tout joyeux ; mais oui, je crois que je ferai votre affaire.

— Vous pourrez commencer demain matin. Apportez vos références et vous vous mettrez à l’œuvre immédiatement.

Pour toute réponse André pâlit et regarda le père Coulombe d’un air suppliant, que celui-ci comprit.

— Tu sais, Joseph, je peux te le recommander, c’est un bien bon jeune homme.

— Oui, je comprends, mon oncle, mais les règlements de la maison exigent des références et il faut bien que je les suive.

— Je reviendrai, alors… dit André hésitant, mais non… vaut mieux vous le dire tout de suite, je n’ai pas de références. Je vous remercie quand même de votre bonne volonté à mon égard.

Sur ce, il sortit avec le père Coulombe, mais ne proféra pas une seule parole, en cheminant du Château à la modeste résidence du vieux bedeau.